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Frédéric Buck | |
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Prénom | Frédéric |
Nom | Buck |
Sexe | masculin |
Naissance | 21 novembre 1913 (Ittenheim) |
Décès | 28 septembre 2006 (Strasbourg) |
Profession du père | Maître-boucher |
These | Le traitement des pieds gelés par les infiltrations anesthésiques du sympathique lombaire (Université de Lyon, 1940) |
Directeur de thèse | René Leriche |
Titre | Dr. med. |
Spécialités | Chirurgie |
Frédéric Buck (1913-2006) est un médecin et chirurgien alsacien qui a été en poste à l’hôpital civil de Strasbourg malgré trois changements d’administration : dans l’entre-deux-guerres (années 1930), en période allemande (1940-1944) et après la Libération (1944-1948). Issu d’une lignée de maîtres-bouchers alsaciens, Frédéric Buck naît dans le Reichsland Elsaß-Lothringen avec la nationalité allemande qu’il conserve jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale. Il grandit en Alsace avec son frère cadet, Paul Buck (1915-1998), qui est également devenu chirurgien et qui a accompli un parcours similaire à l’hôpital civil français avant la guerre, puis à la Reichsuniversität Strassburg (jusqu’en septembre 1942), et enfin à nouveau à la clinique chirurgicale française de Strasbourg après 1945.
Dans les années 1930, Frédéric Buck fait ses études de médecine à la faculté de médecine française de Strasbourg « dans de très bonnes conditions ». Il se retrouve très tôt confronté à la pratique clinique de la médecine et à la recherche scientifique, obtenant un poste de préparateur d’histologie dès 1933. D’abord nommé interne par intérim en 1935, il est ensuite titularisé dans la fonction d’interne des hôpitaux après avoir fini quatrième de sa promotion au concours de 1936. Travaillant pendant une année en clinique gynécologique (1937), il est ensuite appelé sous les drapeaux pour accomplir son service militaire, étant alors versé dans le corps médical comme médecin-lieutenant et débute la chirurgie. Affecté dans un hôpital militaire durant la guerre de 1939-1940, Frédéric parachève sa formation médicale en soutenant sa thèse de doctorat de médecine fin avril 1940 devant la faculté de médecine et de pharmacie de Lyon. Réalisée sous la direction du professeur René Leriche (1879-1955), sa thèse porte sur « le traitement des pieds gelés par les infiltrations anesthésiques du sympathique lombaire ». Fait prisonnier à Besançon par les troupes allemandes, il est placé dans un camp de prisonniers de guerre pendant une très courte période, si bien que les Allemands le relâchent dès le mois de juillet 1940. De retour en Alsace, Frédéric Buck est très rapidement réhabilité par les autorités nationales-socialistes qui lui confient d’abord un poste de chirurgien à la clinique chirurgicale B de l’hôpital civil allemand durant l’année préparatoire à l’installation de la Reichsuniversität Strassburg (1940-1941). Avec l’inauguration de cette université modèle du IIIe Reich en novembre 1941, Frédéric Buck poursuit sa carrière médicale à la clinique chirurgicale placée sous la direction du professeur allemand Ludwig Zukschwerdt (1902-1974) et travaille un certain temps avec son frère Paul Buck (1915-1998) : il intègre tour à tour le service de policlinique chirurgicale, le service aseptique, le service septique, puis le centre de traumatologie (Unfallkrankenhaus), étant même nommé à un poste de direction à l’hôpital de Bischwiller en 1944. Multipliant les activités de résistance au régime nazi à l’hôpital, il aide des jeunes Alsaciens à se soustraire à l’incorporation de force dans la Wehrmacht – alors qu’il avait lui-même été enrôlé –, et aide des évadés français à rejoindre des filières d’évasion. Arrêté et incarcéré pour ces agissements, Buck est menacé des poursuites répressives et disciplinaires, mais celles-ci n’ont jamais abouti grâce à la Libération.
Après la Seconde Guerre mondiale, Frédéric Buck est à nouveau réemployé à la clinique chirurgicale B par l’université française qui se réinstalle à Strasbourg. Pendant trois ans, de 1945 à 1948, il occupe une fonction de chef de clinique sous la direction du professeur Alfred Weiss (1898-1979), avant d’obtenir un poste de chirurgien à l’hôpital de Sélestat (Bas-Rhin) en 1948. Il joue alors un grand rôle dans la transformation et la modernisation du service chirurgical de cet hôpital, participant notamment à la mise en route du Centre hospitalier de Sélestat en 1962. Pendant plus de trente ans, du 1er octobre 1948 au 1er décembre 1978, Frédéric Buck est le chef du service de chirurgie de l’hôpital de Sélestat, gagnant l’estime, la considération et l’appréciation de ses patients, de ses collègues et des autorités de la République grâce à ses compétences et sa réputation qui ont fait de lui un « chirurgien de valeur ».
Biographie
Un médecin issu d’une famille alsacienne modeste
Né en 1913 dans une Alsace intégrée au Reichsland Elsass-Lothringen depuis 1871, Frédéric Buck est issu d’une lignée de maîtres-bouchers alsaciens. Durant les premières années de son enfance, il vit, grandit et débute sa scolarité dans son village natal, à Hurtigheim, situé à l’ouest de Strasbourg. À l’adolescence, il se rend à Colmar, où il entre dans le secondaire et fréquente le lycée Bartholdi jusqu’à l’obtention du baccalauréat. Dans les années 1930, il fait des études de médecine à l’université française de Strasbourg et s’avère être un étudiant « brillant », étant major de sa promotion, réussissant le concours d’externat, puis d’internat des hôpital et achevant son cursus par la soutenance d’une thèse de doctorat sous la direction du professeur René Leriche (1879-1955) à Lyon en avril 1940.
La famille et la scolarité de Paul Buck
La famille Buck
Frédéric Buck est né le 21 novembre 1913 à Ittenheim, un petit village alsacien situé dans le Kochersberg, à l’ouest de la ville de Strasbourg, qui compte environ 800 habitants. Il naît avec la nationalité allemande, puisqu’à ce moment-là, l’Alsace et la Moselle formaient le Reichsland Elsass-Lothringen, c’est-à-dire qu’elles étaient rattachées au Reich allemand de Guillaume II en vertu du traité de Francfort du 10 mai 1871 qui avait mis fin à la guerre franco-prussienne de 1870-1871. Avec son frère cadet Paul (né en 1915), Frédéric Buck est issu d’une famille alsacienne qui avait choisi la nationalité allemande après la guerre de 1870. De confession protestante, la famille Buck est établie en Alsace depuis plusieurs générations, dans la petite ville bas-rhinoise de Bouxwiller sous l’Empire de Napoléon I, puis dans le petit village d’Ittenheim vers la moitié du XIXe siècle. De plus, dans la famille Buck, la profession de boucher est un héritage ancestral, plusieurs membres masculin de la lignée possédant ce savoir-faire et devenant même « maître-boucher » . Bien qu’allemand de naissance, leur père, Charles (Karl Johann) Buck, né le 26 juin 1890 est lui-même issu d’une famille française. En effet, les grands-parents paternels des frères Buck sont deux Alsaciens nés sous la Deuxième République. Le grand-père, également prénommé Charles Buck, est né le 27 novembre 1850 à Ittenheim et exerçait la profession de maître-boucher (Metzgermeister). Au moment de la conscription, il était affecté comme zouave au 2e régiment à Oran en Algérie française, mais avec la cession de l’Alsace au Reich allemand, Charles Buck fait partie de ceux qui ont « opté » pour la nationalité allemande le 3 juin 1872. De retour dans son village natal alsacien devenu allemand, il développe son activité de boucher et fonde un foyer en épousant sa fiancée, Barbara Hamm (3 mai 1853, Handschuheim – 25 décembre 1920, Ittenheim), qui est déjà enceinte d’une première fille. De cette union, célébrée à Ittenheim le 24 juillet 1876, naissent six enfants, quatre filles et deux garçons, parmi lesquels Charles Buck – le père des deux médecins, Frédéric et Paul Buck – est le benjamin de la fratrie. Charles Buck père, premier gérant de la boucherie, meurt le 9 octobre 1927, après avoir cédé son affaire à son fils, Charles Buck fils.
Justement, ce dernier suit fidèlement les traces de son père en devenant lui-aussi maître-boucher. À l’âge de vingt-trois ans, il épouse à Ittenheim Maria Siess, une jeune femme de deux ans son aînée issue d’une famille de paysans et d’agriculteurs (Landwirt). Née le 23 août 1888 à Vendenheim au nord-ouest de Strasbourg, Maria Siess est la fille du paysan Georg Siess (28 novembre 1857, Waltenheim – 25 novembre 1923, Vendenheim) et de Carolina Lobstein (10 août 1868, Vendenheim – 7 octobre 1923, Vendenheim), des Alsaciens d’origine et de confession protestante. En réalité, quand Charles Buck épouse Maria Siess le 21 août 1913, cette dernière porte déjà le premier enfant du couple, Frédéric, qui voit le jour le 21 novembre 1913. Environ un an et demi plus tard, le 24 mai 1915, le couple donne naissance à un second enfant, prénommé Paul, qui a également accompli ses études de médecine à Strasbourg et qui a fait carrière comme chirurgien à Strasbourg entre les années 1930 et les 1980. Ajoutons efin que les parents Buck décèdent tous les deux après la Seconde Guerre mondiale : le père dans sa soixante et unième année le 20 février 1952 et la mère le 12 décembre 1970 à l’âge de quatre-vingt-deux ans.
L’enfance et la scolarité
À la suite de l’armistice du 11 novembre 1918 qui met un terme à la Première Guerre mondiale, l’Alsace et la Moselle redeviennent françaises. La famille Buck reste établie dans la région de Strasbourg et il y a tout lieu de penser que Frédéric Buck – comme son frère – obtient la nationalité française « par réintégration » en en application du traité de Versailles. Ainsi, dans l’entre-deux-guerres, les frères Buck suivent l’intégralité de leur scolarité dans le système éducatif français, fréquentant apparemment des cercles français voire francophiles, comme cela a été reproché à Paul par les nazis en 1941. Pendant quelques années, Frédéric est d’abord scolarisé à l’école élémentaire de son village natal à Ittenheim, avant de s’inscrire dans le secondaire au lycée Bartholdi de Colmar (Haut-Rhin). Accomplissant une scolarité « brillante », Frédéric réussit l’examen du baccalauréat au début des années 1930 qui lui vaut le « prix Bartholdi », après quoi il entame aussitôt des études supérieures afin de devenir médecin.
Les études de médecine à l’université de Strasbourg
Les études de médecine
Une fois son baccalauréat obtenu, Frédéric Buck s’inscrit à l’université française de Strasbourg. Les dates exactes de son cursus universitaire ne sont pas connues, mais par comparaison avec son frère cadet, plus jeune de deux ans, il est fort probable qu’il ait débuté ses études en 1931, à l’âge de dix-huit ans. Comme de coutume en France, il a commencé ses études en préparant le certificat d’études physiques, chimiques et naturelles (PCN) à la faculté des sciences. Instauré sous la Troisième République par un décret du 31 juillet 1893, ce diplôme était un prérequis aux formations médicales, marquant plus précisément l’entrée en première année de médecine. La réorganisation du cursus universitaire de médecine prévoyait désormais que l’obtention de ce diplôme – en plus de la réussite préalable à l’examen du baccalauréat – était obligatoire au futur médecin pour prétendre à la première inscription en médecine. En fait, étant donné que son frère ait effectué cette année de préparation entre le mois d’octobre 1933 et le mois de juillet 1934, on peut aisément supposer que Frédéric ait obtenu son certificat PCN à l’été 1932. Ce serait donc à compter de la rentrée universitaire suivante que Frédéric Buck ait débuté son cursus médical à proprement parler. À cette époque, la durée des études médicales avait été allongée d’une année supplémentaire depuis 1909, portant désormais la durée totale du cursus à cinq ans. Il était aussi prévu que les études cumulent à la fois des enseignements théoriques, pratiques ainsi que des activités hospitalières, ces dernières étant rendues obligatoires à partir de la troisième année de la formation. Ainsi, année du PCN comprise, le cursus complet durait six ans. En se tenant à ce cadre légal d’organisation des études, Frédéric Buck aurait été inscrit à l’université de Strasbourg entre 1931 et 1937, ce qui semble être confirmé (indirectement) par les sources. En tous les cas, ainsi que l’écrit le doyen de la faculté de médecine de Strasbourg en janvier 1946, « Buck a fait toutes ses études médicales à la faculté de médecine de Strasbourg dans de très bonnes conditions ». Un article nécrologique publié dans le journal régional Les Dernières Nouvelles d’Alsace précise également qu’il avait été « major de sa promotion », donc qu’il avait accompli brillamment son cursus.
Comme le prévoyait la législation, parallèlement à l’enseignement théorique qu’il reçoit lors des cours magistraux et des travaux dirigés sur les bancs de l’université française, Frédéric Buck complète sa formation médicale en étant confronté très tôt à la pratique quotidienne de la médecine au sein des cliniques universitaires. Il entre également très rapidement dans le domaine de la recherche scientifique et médicale et entrant à l’institut d’histologie dès l’année 1933. En effet, à la suite du décès de Monsieur Buchheim le 13 juillet 1933, Frédéric Buck est délégué dans les fonctions d’aide préparateur entre le 1er octobre 1933 et le 30 septembre 1934, recevant alors une indemnité s’élevant à 3000 francs. Sa délégation est renouvelée pour une année supplémentaire, avant d’être chargé du remplacement pendant deux mois de M. Jacob – nommé boursier à Paris – en qualité d’interne à la clinique médicale A, entre janvier et février 1935. Cette nomination intervient sur décision du recteur à la mi-janvier 1935, lui attribuant pour cela un traitement de 4500 francs. Ensuite, à compter du 1er octobre 1935, il cède sa place d’aide préparateur d’histologie à son confrère Frédéric Stéphan. L’année suivante, Frédéric Buck est nommé « interne titulaire » après avoir été reçu quatrième de sa promotion au concours d’internat des hôpitaux en octobre 1936. En 1937, il travaille comme interne à la clinique de gynécologie, puis accomplit son service militaire dès l’année suivante.
Le service militaire, la guerre et la thèse de doctorat de médecine
Né en 1913, Frédéric Buck appartient à la classe de mobilisation de 1933. Avec le report de service obtenu en raison de son cursus universitaire de médecine, il n’est appelé sous les drapeaux français qu’en octobre 1937, à l’issue de son année d’internat à la clinique gynécologique. Il accomplit à la fois un service militaire « en temps de paix » et un service militaire « en temps de guerre », puisqu’avec la mobilisation générale de septembre 1939, Frédéric Buck est bien mobilisé dans l’armée française avec le grade de médecin lieutenant de réserve. Selon un rapport du sous-préfet visant à appuyer sa candidature d’entrée dans l’ordre de la Légion d’honneur, « lors de la débâcle [de 1940], le Dr. Buck est resté comme volontaire avec les blessés à l’hôpital de Besançon, où il a été fait prisonnier comme par les troupes allemandes ». Cela sous-entend que Frédéric Buck, visiblement affecté dans un hôpital militaire, s’est volontaire pour rester auprès des blessés et a considéré qu’il était de son devoir de continuer à pratiquer son art autant qu’il le pourrait.
Il est enfin intéressant de remarquer qu’en pleine guerre, Frédéric Buck parvient à conclure son travail de doctorat réalisé sous la direction du professeur René Leriche (1879-1955). Alors qu’il était l’un de ses élèves à Strasbourg, Buck suit visiblement Leriche lorsque celui-ci a quitté Strasbourg à la fin du mois d’août 1939 pour rejoindre Lyon. Leriche avait alors été nommé directeur d’un centre de chirurgie vasculaire spécialement créé pour lui à Lyon. Rien n’indique que Buck ait travaillé avec lui ou qu’il ait été détaché dans le même centre chirurgical pour un certain temps durant le service militaire, mais Frédéric soutient finalement sa thèse à la faculté de médecine et de pharmacie de Lyon le 29 avril 1940. Sa thèse est intitulée « Le traitement des pieds gelés par les infiltrations anesthésiques du sympathique lombaire », ce qui laisse subodorer qu’ Buck ait collaboré assez étroitement avec Leriche dans l’entre-deux-guerres, puisque l’anesthésie locale et régionale est une méthode largement employée et développée à Strasbourg, tout particulièrement sous l’impulsion du professeur Leriche. Finalement, c’est à Besançon que Frédéric est fait prisonnier de guerre par l’armée allemande. Il ne reste qu’une très courte période dans un camp de prisonniers de guerre, puisqu’il est libéré par les Allemands (et officiellement « démobilisé ») dès le mois de juillet 1940.
La réhabilitation à l’hôpital civil allemand
Une fois libéré du camp de prisonniers de guerre en juillet 1940, Frédéric Buck obtient un poste de chirurgien à la clinique chirurgicale de l’hôpital civil alors placé sous administration allemande comme le reste de l’Alsace. Faisant partie des tout premiers médecins en poste dans cette période-clé de l’histoire régionale, il réussit à poursuivre sa carrière à Strasbourg, étant bien vu par l’Occupant. D’une clinique chirurgicale encore embryonnaire en juillet 1940, il intègre la chirurgie B et reste en fonction au cours de la phase de transition et d’installation de la Reichsuniversität Strassburg (inaugurée en novembre 1941).
Le réemploi à l’hôpital civil allemand
Le retour en Alsace
Avec l’annexion de fait de l’Alsace et de la Moselle au Reich allemand à l’été 1940 s’engage une politique de germanisation, de nazification et plus généralement de mise au pas de la population alsacienne et du territoire reconquis. Comme son frère cadet, Frédéric Buck reste tout au plus quelques semaines dans un camp de prisonniers de guerre, à une époque où la libération des Alsaciens et des Mosellans représente l’une des premières mesures appliquées par les Allemands. Comme le rappelle l’historien Jean-Noël Grandhomme, d’un point de vue national-socialiste, ces soldats « d’origine allemande » avaient été enrôlés dans une armée dite « étrangère » (l’armée française). Très rapidement donc – dès l’été 1940 –, leur extraction des Stalag et des Oflag avait été planifiée et exécutée par les Allemands. Il faut rappeler qu’à cette époque, notamment en raison de l’évacuation de l’Alsace et du repli du personnel soignant, des malades et du matériel vers Clermont-Ferrand et Clairvivre, il y avait un besoin « urgent » (drigend) de personnel médical pour assurer les soins de la population civile en Alsace. Ainsi, dès la mi-juillet 1940, le département médical (Gesundheitswesen) de la nouvelle administration civile en Alsace – ou Gauleitung –, dirigée par le Gauleiter Robert Wagner, s’affaire à obtenir des autorités militaires au sujet de la libération des médecins militaires alsaciens et mosellans retenus dans les camps. Dans ce contexte singulier, Frédéric et son frère Paul Buck font partie des tout premiers médecins alsaciens à retrouver un emploi à l’hôpital civil de Strasbourg devenu allemand, dès l’été 1940. De plus, si Frédéric Buck a pu obtenir un poste si vite, c’est uniquement parce que la nouvelle administration nationale-socialiste établie en Alsace l’avait bien voulu. En effet, le département médical de Gauleitung avait en effet promulgué une ordonnance dès le 13 juillet 1940 en vertu de laquelle tous les médecins et autres personnels médicaux rentrant à Strasbourg et désireux d’ouvrir un cabinet étaient obligés de recevoir au préalable une autorisation en bonne et due forme par les services du Gauleiter. Dès lors, seuls les médecins agréés par les fonctionnaires nazis pouvaient exercer leur art en Alsace, ce qui constituait une première étape de sélection.
Début de carrière à l’hôpital civil allemand comme chirurgien
Dans son curriculum vitae, Paul Buck indique avoir débuté à travailler en chirurgie à l’hôpital civil dès le 15 juillet 1940. Si cette information est sans doute vraie pour Paul, elle l’est peut-être également pour son aîné, Frédéric, qui est aussi l’un des premiers médecins, chirurgiens et personnels soignants qui intègrent les services de l’hôpital civil. Le premier document officiel retrouvé attestant de leur présence est une liste du personnel médical établie par le directeur général des hospices civils, le Dr. Josef Oster, et transmise aux services de la nouvelle administration nazie en Alsace (Gauleitung). Ainsi, il est certain que Frédéric Buck obtient son poste au plus tard au 15 août 1940, date du premier recensement du personnel médical de l’hôpital. À ce moment-là, le service hospitalier est en pleine restructuration et le personnel manque encore fortement, d’autant que les bâtiments sont réquisitionnés pour l’armée et les soins aux militaires. Ainsi, la clinique chirurgicale (Chirurgische Abteilung) est alors située à l’école des sages-femmes (Hebammenschule) et que les praticiens hospitaliers ne sont, en totalité, qu’au nombre de vingt-quatre. Plus précisément, la chirurgie strasbourgeoise, qui compte huit médecins (soit un tiers de l’effectif médical des hospices), est dirigée par le professeur Edmond Allenbach (1885-1968) qui est secondé par son premier médecin assistant (1. Assistenzarzt), le Dr. Theodor Biedermann (1911-1985). Quatre médecins assistants (Assistenzärzte) complètent les rangs à savoir les frères Buck, Frédéric (1913-2006) et Paul (1915-1998), le Dr. Robert Ungerer et le Dr. Paul Steimlé (1912-2004). Enfin, les Drs. Frédéric Bilger (1894-1981) et Frédéric Froehlich (1908-1989) sont respectivement affectés aux services de policlinique chirurgicale et d’urologie .
La liste du personnel médical en poste à l’hôpital au 28 août 1940 apporte des renseignements très intéressants sur ce contexte de réorganisation des établissements hospitalo-universitaires par les Allemands. En quinze jours, neuf nouveaux médecins ont été employés, ce qui porte leur nombre total à trente-trois, dont treize sont employés en chirurgie (39%). Il est également indiqué qu’à partir 2 septembre 1940, la clinique chirurgicale A rouvrait ses portes. Désormais, deux cliniques sont créées, toutes deux dénommées sous le titre de « chirurgische Abteilung », l’une – la chirurgicale B – restant dans le bâtiment de l’ancienne école des sages-femmes (frühere Hebammenschule), tandis que l’autre se séparant physiquement et reprenant sa place dans le bâtiment de la clinique chirurgicale A. Dirigée par le Chefarzt Edmond Allenbach, la première est composée du Dr. René Keller (1907-1985) à la policlinique et des médecins-assistants Paul Steimlé, Theodor Biedermann, Frédéric Buck et Ungerer. La seconde, dirigée par Frédéric Froehlich, emploie le Dr. Gaston Pfister en policlinique, les médecins-assistants Éric Hurter, Frédéric Stéphan, Paul Buck, Kopp, ainsi que le Dr. Frédéric Bilger en urologie. Après avoir travaillé quelques semaines ensemble, les frères Buck sont alors séparés : Paul retourne dans la spécialité par laquelle il avait débuté sa première année d’externat en 1936-1937 en chirurgie A, tandis que Frédéric rejoint la chirurgie B.
Tous deux poursuivent leur carrière scientifique et médicale au cœur de l’hôpital civil qui se développe considérablement avant la fin de l’année 1940, avec un doublement du personnel en trois mois, portant l’effectif total à 64 médecins (parmi lesquels quatre femmes), dont la moitié est attachée dans les cliniques chirurgicale (19 hommes, 30%) et médicale (13 hommes, 20%). Dès lors placé sous la direction du Dr. Edgar Stulz nommé chef de clinique par intérim (kommissarischer Chefarzt) alors que son prédécesseur est nommé chef du service orthopédique, Frédéric Buck opère au sein de la clinique chirurgicale B II (rez-de-chaussée), officiellement appelée Chirurgische Abteilung B II (Erdgeschoss) dans les documents d’archive. Dans les mois qui suivent – et qui correspondent à la phase préparatoire de la création de la Reichsuniversität Strassburg –, les frères Buck parviennent à conserver son poste. En fait, à compter du 1er avril 1941, tous les établissements de l’université de Strasbourg alors utilisés « pour soigner de la population » sont placés dans le giron de la Gauleitung qui en assure désormais alors l’administration provisoire. Une ordonnance du Gauleiter Robert Wagner, émise le 31 mars et entrant en vigueur le lendemain, prévoyait en effet leur gestion par le département « Éducation, enseignement et instruction du peuple » (Abteilung Erziehung, Unterricht und Volksbildung) de la Gauleitung. Tous ces établissements sont alors réunis sous le terme générique de « cliniques hospitalo-universitaires de l’université de Strasbourg » (klinische Anstalten der Universität Strassburg), dans l’attente de la création de la Reichsuniversität Strassburg inaugurée quelques mois plus tard, en novembre 1941. Ainsi, durant toute l’année 1941, Frédéric Buck travaille comme faisant fonction d’assistant scientifique (Verwalter einer wissenschaftlichen Assistentenstelle). Mais avec les préparatifs de l’instauration de la Reichsuniversität Strassburg, les autorités nationales-socialistes soumettent Frédéric Buck, comme tous les autres médecins alsaciens et mosellans, à un examen politique.
Évaluation politique : un médecin francophile qui s’adapte lentement
Comme beaucoup d’autres médecins alsaciens et mosellans travaillant à l’hôpital civil, l’évaluation politique n’a été entreprise par les fonctionnaires nazis qu’après avoir été embauché à la clinique. En effet, ce n’est que le 6 août 1941 que Johannes Stein, le doyen de la faculté de médecine, initie l’enquête politique, soit près d’un an après son emploi par les Allemands à l’hôpital civil (août 1940) et quatre mois après avoir été versé parmi le personnel des établissements hospitalo-universitaires de Strasbourg (avril 1941). À cet effet, Stein charge le service du personnel (Personalamt) de la Gauleitung d’engager la procédure et ainsi de contacter les services compétents pour mener l’enquête. Le dossier remonte ainsi les différents bureaux dès que la Gauleitung transmet l’affaire, le 11 août, à la fois au Sicherheitsdienst (SD), mais également à la Kreisleitung du parti nazi de Strasbourg. Dans les échanges administratifs, il est clairement indiqué qu’il s’agit de vérifier que Frédéric Buck est apte à être « employé comme Assistenzarzt à la clinique chirurgicale B ». Tout avait été prévu en amont et un formulaire pré-imprimé, comportant des explications précises sur les renseignements demandés, avait été édité. Au bas de ce même formulaire, le Dr. Benmann, du SD, est le premier donner son avis dans un rapport préliminaire. Il écrit :
« Bon d’un point de vue caractériel et professionnel. Jusqu’à la guerre, des dispositions francophiles ont subsisté, mais Buck s’efforce à présent de s’adapter à la nouvelle situation ».
Le lendemain, certainement sur la base des renseignements fournis par le SD – et probablement par les hommes de main du régime dans les différents maillages d’inscription du parti nazi dans les territoires –, les bureaux de l’antenne locale du parti nazi (Kreisleitung) remplissent le formulaire et l’adressent à la Gauleitung. Les fonctionnaires nazis avalisent sans la moindre objection d’ordre politique ou idéologique le maintien en poste de Frédéric Buck dans l’institution hospitalo-universitaire nationale-socialiste. Pour justifier un tel avis, le Kreisleiter et le Kreispersonalamtsleiter s’appuient sur les points suivants :
Par ailleurs, le SD semble tarder dans l’achèvement de l’enquête approfondie qui lui avait été confiée par la Gauleitung, contrainte à deux reprises d’envoyer des lettres de rappel (Mahnung) pour exiger un traitement rapide de l’affaire et le classement du dossier. Toutefois, le 17 octobre 1941, malgré la défaillance du rapport du SD dans le dossier d’évaluation politique, la Gauleitung décide de transmettre tout de même sa décision sur Buck au doyen Stein. Rappelant à nouveau ses antécédents ou plutôt ses prédispositions francophiles, mais mettant en avant ses efforts (néanmoins jugés insuffisants) pour adhérer national-socialisme, la Gauleitung, approuve le recrutement :
« Chez Fritz Buck, il y avait sans le moindre doute une certain attachement à la France. Aujourd’hui, il s’efforce vraiment de s’adapter à la nouvelle situation. Je ne vois donc aucune objection à ce qu’il continue à être employé comme Assistenzarzt à l’hôpital civil. Cependant, il faudra inciter Buck à se porter volontaire à l’œuvre de construction politique nationale-socialiste en cours en Alsace (Aufbauarbeiten) ».
Enfin, le dossier peut être considéré comme définitivement classé le 29 janvier 1942, soit après plus de cinq mois d’instruction, quand le SS-Obersturmbannführer Hirschberg, chef du SD-Einsatzkommando III/1 de Strasbourg, transmet à son tour un rapport politique. Rédigé de manière dactylographiée et signé de la main de Hirschberg, le rapport est relativement positif mais traduit une certaine méfiance vis-à-vis de Buck en fonction de son attitude passée et présente :
« Durant la période française (Franzosenzeit), Buck n’a pas été actif politiquement et n’a adhéré à aucun parti politique ou à aucune autre association. Bien qu’il soit aujourd’hui membre du NS-Reichskriegerbund, il reste tout de même très prudent voire réticent à la nouvelle situation. Sur le plan du caractère, il est décrit comme une personne ouverte et honnête. Il n’y a aucune objection à l’emploi prévu pour lui, mais un détachement dans l’Altreich pendant quelques temps ne devrait pas lui faire de mal ».
Ainsi, toutes les autorités consultées prennent favorablement position pour le réemploi de Frédéric Buck au sein de la Reichsuniversität Strassburg. En d’autres termes, cela signifie que ni les autorités locales du parti nazi, ni les services du SD n’avaient d’objection de principe à ce qu’il serve dans cette université modèle du IIIe Reich, en dépit de son passé jugé francophile et de son manque réel de ralliement au parti et au projet nazis. N’ayant adhéré qu’au NS-Reichskriegerbund, une organisation de vétérans affiliée au parti nazi également connu sous le nom de Kyffhäuserbund. Comptant plus de trois millions de membres, elle avait été supprimée en 1943 et ses actifs avaient été reversés au parti. Il faut donc bien souligner que Frédéric Buck n’adhère ni à Opferring, ni au parti national-socialiste et n’occupe aucune fonction politique. D’où le souhait du Kreispersonalamtsleiter Beck et du SD qu’il s’implique davantage dans les projets et organisations nationaux-socialistes et qu’il subisse une mesure de rééducation en Allemagne aux côtés de médecins allemands. En tous les cas, grâce à cela, Buck poursuit sa carrière à la clinique chirurgicale.
La carrière à la Reichsuniversität Strassburg
Paradoxalement, si les autorités nationales-socialistes (surtout le SD) attribuent à Frédéric Buck un état d’esprit français et francophile encore très marqué et ne lui accordent pas toute la confiance nécessaire d’un point de vue politique et idéologique pour postuler un emploi au sein de cette université modèle du IIIe Reich, elles le laissent tout de même poursuivre sa carrière et lui confient des tâches importantes pour la guerre. Cette attitude paradoxale de la part des instances du parti vis-à-vis de ce médecin alsacien aboutissent même à la situation singulière qui fait passer Buck pour un médecin indispensable à Strasbourg.
Différentes fonctions à la clinique chirurgicale de la Reichsuniversität Strassburg
Comme nous l’avons vu précédemment, Frédéric Buck partie de l’équipe de jeunes chirurgiens alsaciens dont s’entoure le professeur Ludwig Zukschwerdt dans les premiers temps de la création de la Reichsuniversität Strassburg. Consolidant sa position et sa réputation grâce à son travail apprécié, mais aussi grâce aux évaluations politiques plutôt favorables, Buck travaille désormais au cœur d’une université modèle pour l’Allemagne nazie. Au cours de sa carrière à la clinique chirurgicale de la Reichsuniversität Strassburg, il occupe entre 1941 et 1944 un poste assimilable à un « assistant scientifique ». Les dénominations officielles de ses fonctions, telles que l’administration allemande les qualifie, sont les suivantes : « faisant fonction d’assistant scientifique » (Verwalter einer wissenschaftlichen Assistentenstelle), et « médecin assistant » (Assistenzarzt). En cette qualité, Frédéric Buck est affecté également dans différents services de la clinique chirurgicale. Probablement dès l’inauguration de la Reichsuniversität Strassburg en novembre 1941, Zukschwerdt l’affecte à la policlinique chirurgicale. Il occupe alors un poste de « médecin-chef de policlinique » (poliklinischer Oberarzt) jusqu’au mois d’avril 1942. Pendant plus d’un an, de mai 1942 à mai 1943, Frédéric Buck travaille au service aseptique (aseptische Abteilung) de la clinique chirurgicale, placé successivement sous la direction du médecin-capitaine de la Wehrmacht Karl Langemeyer, puis de l’Alsacien Theodor Biedermann et enfin du Dr. Josef Wilhelm. À ce moment-là, il travaille pendant cinq mois (jusque fin septembre 1942) avec son frère cadet Paul Buck.
Ajoutons à ce propos qu’en raison de l’« émigration illégale » de son frère cadet vers la France libre en septembre 1942, Frédéric Buck attire également l’attention des autorités politiques et policières nationales-socialistes, comme ses parents, mais cela reste sans grande répercussion sur sa carrière. Les fonctionnaires nazis de la Kreisleitung de Strasbourg sont convaincus que « la famille Buck était autrefois, sans aucun doute, très francophile ». De plus, si Charles Buck, le père des deux médecins, « a été exclu de l’Opferring à cause du franchissement illégal de la frontière par son fils », Frédéric Buck ne fait l’objet d’aucune poursuite et d’aucune mesure assimilable à des représailles. Au contraire, si Frédéric réussit à continuer d’exercer à l’hôpital en gardant la confiance de ses supérieurs, il ne se présente pas dans une attitude hostile au Reich. Si la Kreisleitung ne peut pas lui reprocher ses efforts en termes de rapprochement vers le nazisme et sa politique, c’est probablement là une manœuvre habile de sa part, pour conserver sa fonction à la clinique. Par contre, il semble que la Kreisleitung ne fasse plus totalement confiance à Frédéric Buck à la suite de la fuite de son frère :
« À ce jour, le Dr. Fritz Buck n’est pas encore membre de l’Opferring, il a uniquement adhéré au NSRKB, il se comporte de manière discrète (ruhig), mais a encore un état d’esprit français (französisch gesinnt). Dans ces conditions, il ne m’est pas possible de confirmer la fiabilité politique du susnommé ».
Toutefois, malgré les suspicions et une certaine défiance de la part des responsables de district du parti nazi et malgré les antécédents familiaux liés à l’émigration de son frère cadet, Frédéric Buck continue sa carrière de chirurgien à la Reichsuniversität Strassburg sans le moindre empêchement jusqu’en 1944. En effet, on peut suivre son évolution de carrière et son perfectionnement dans la pratique et l’expérience chirurgicales grâce à certaines archives. Ainsi, entre le mois de juin et le mois d’octobre 1943, Buck sert pendant cinq mois au service septique (septische Abteilung) désormais dirigé par Biedermann. Ensuite, à compter du 1er novembre, il retourne au service aseptique avec à sa tête le Dr. Gaston Pfister. Malheureusement, le manque de source ne permet pas de connaître précisément les affectations de Buck durant la dernière année d’existence de la Reichsuniversität Strassburg. On sait cependant qu’il rejoint, pour la durée du semestre d’été 1944, l’équipe chirurgicale du centre de traumatologie (Unfallkrankenhaus) qui dépend de la clinique chirurgicale et qui est également dirigé par le professeur Ludwig Zukschwerdt. En effet, il occupe un poste d’assistant scientifique (Wissenschaftlicher Assistent) au cours du semestre d’été 1944 et travaille aux côtés du Dr. Adalbert Friedrich et du médecin-capitaine de réserve Dr. Georg Neubauer, également détaché (kommandiert) au service spécialisé de l’armée de l’air pour les militaires présentant des traumatismes osseux articulaires (Sonderabteilung der Luftwaffe für Knochen- und Gelenkverletzte). On note enfin qu’en 1944, Frédéric Buck est présenté dans un document qui recense les médecins en postes dans les cliniques et instituts de la Reichsuniversität Strassburg en qualité de « directeur de la station de Bischwiller » (Leiter der Station Bischweiller). S’il y a tout lieu de penser qu’il s’agisse là de l’hôpital civil de Bischwiller, une ville située à une vingtaine de kilomètres au nord de Strasbourg, aucune autre source ne donne de renseignements sur les fonctions exactes qu’il a occupées. Exerçant sans doute sur place une activité de chirurgien, Buck était peut-être le chef de cet hôpital – qui dépendait visiblement de la Reichsuniversität Strassburg –, ou uniquement le chef du service de chirurgie.
Enrôlement dans l’armée allemande
Au regard de la situation militaire qui se dégrade pour l’Allemagne nazie, les autorités décident d’étendre la conscription en Alsace aux jeunes gens des classes d’âges 1908-1913, ce qui concerne et menace directement Frédéric Buck et nombre de ses confrères médecins alsaciens. Selon les informations qui nous sont parvenues, Frédéric Buck a bel et bien été enrôlé dans l’armée allemande. En fait, on possède des indices d’une procédure aboutie de UK-Stellung, l’abréviation militaire pour « Unabkömmlichstellung » qui désigne la dispense pour la nécessité du service armé. En d’autres termes, par cette procédure, un soldat est dégagé du service pour une période définie au préalable si celui-ci est jugé irremplaçable dans son domaine de compétence (industrie de guerre, administration, etc.). Ici, si Buck a bénéficié d’une telle mesure, c’est qu’il était bien membre de la Wehrmacht. Plus précisément, nous pouvons documenter au moins deux procédures de dispense et d’ajournement de service pour l’année 1944, mais le dossier est très incomplet. Toutefois, le 7 août 1944, l’administrateur en chef de la Reichsuniversität Strassburg informe Frédéric Buck (ainsi que Ludwig Zukschwerdt et le doyen Johannes Stein) par courrier, afin de lui notifier que son détachement de l’armée à clinique avait été approuvé. En effet, la Wehrersatzinspektion de Strasbourg a décidé le 25 juillet 1944 son détachement (UK-Stellung) à la clinique chirurgicale jusqu’au 30 septembre 1944. Il est également précisé que si la prolongation de son détachement était « absolument nécessaire » (unbedingt notwendig), le professeur Zukschwerdt, en sa qualité de directeur de la clinique chirurgicale, devrait en faire la demande motivée au plus tard le 15 août.
Il convient de rappeler qu’une telle décision résulte d’un long processus initié en amont par Zukschwerdt lui-même et qui chemine ensuite entre les différentes administrations compétentes, civiles et militaires. La demande est toujours issue du directeur clinique, qui la remonte au doyen, puis au Kurator. C’est lui qui contacte alors la Gauleitung (département pour l’administration et la police) qui transmet à son tour la requête aux autorités militaires, chacune ayant un pouvoir décisionnel. C’est alors l’Arbeitsstab des Wehrbezirkskommandos Strassburg, c’est-à-dire le département du travail de l’entité militaire locale, notamment en charge des affaires de la réserve, de la conscription ainsi que de la coordination entre la Wehrmacht et l’administration, qui se charge de transmettre le dossier à l’inspection militaire. Dans le cas de Buck, nous n’avons retrouvé que les documents concernant la dernière étape de la procédure, à savoir les notifications de la décision de la commission d’inspection militaire aux différentes personnes concernées. Il est d’ailleurs important de noter que dans le cadre de la décision du 25 juillet 1944, il s’agit déjà d’une « prolongation » (Verlängerung) de son détachement de l’armée. Malheureusement, en raison d’une lacune de sources, il est impossible de savoir quand la demande initiale avait été faite par Zukschwerdt, mais cela témoigne assurément du fait que Frédéric Buck était un médecin jugé indispensable au bon fonctionnement de la clinique, d’autant que la UK-Stellung est justement approuvée pour les « besoins » (Bedarfe) de la clinique chirurgicale. De plus, la chronologie des événements nous montre aussi qu’avec un manque de personnel toujours plus grand à la clinique, le professeur Zukschwerdt avait tendance à conserver ses meilleurs éléments auprès de lui, mais il cherchait aussi à les soustraire à la Wehrmacht, les jugeant plus utiles en clinique.
La fin de la guerre : de la résistance à la répression
Dans sa fonction à la clinique chirurgicale de la Reichsuniversität Strassburg, Frédéric Buck a également manifesté à plusieurs reprises une attitude antinazie. Alors qu’il était lui-même frappé par l’incorporation de force dans la Wehrmacht, il a su utiliser sa position pour permettre à de jeunes Alsaciens réfractaires à l’armée allemande de se soustraire à l’enrôlement. Comme on l’apprend après-guerre de source officielle, cette activité était « bien connue ». De même, son poste à l’hôpital lui aurait permis d’avoir un rôle actif « en faveur des prisonniers français évadés en attente d’être remis à une filière », probablement en les retenant à la clinique pour différents soins. Les autorités nazies ayant apparemment découvert son implication dans le fait que plusieurs jeunes hommes aient pu échapper au service militaire, Frédéric Buck est arrêté une première fois par la police allemande au mois de septembre 1944. Même s’il avait été libéré, il aurait subi de multiples pressions de la part des autorités nationales-socialistes pour qu’il s’engage dans la Waffen-SS et qu’il combatte pour l’Allemagne nazie. Comme il avait déjà été incorporé dans l’armée allemande mais qu’il avait réussi à échapper au service actif grâce aux demandes répétées du professeur Zukschwerdt, il s’agit probablement d’une nouvelle étape dans les mesures de rééducation idéologique que le régime entend infliger à Buck. Toutefois, même si l’hostilité du régime semble s’intensifier à partir de l’automne 1944, Buck affiche un refus absolu de servir dans le bras armé de la SS. Une telle attitude, s’inscrivant dans une forme de résistance, est à l’origine de poursuites policières et judiciaires, à tel point qu’il est à nouveau arrêté et cette fois-ci placé en détention dans un établissement carcéral strasbourgeois. Dans son avis motivé en faveur de Buck pour son dossier de candidature dans l’ordre de la Légion d’honneur, le sous-préfet de Sélestat rappelle ce qui suit au sujet de Buck :
« Arrêté en septembre 1944 et "pressé" comme officier français de signer un engagement dans les Waffen-SS, il a refusé, ce qui lui a valu d’être incarcéré pendant trois semaines [sic.] à la Maison d’Arrêt de Strasbourg. Libéré à la condition de rejoindre un hôpital à Pforzheim (Allemagne), il n’a pas donné suite à cet ordre » .
S’il n’a pas été possible, dans l’état actuel des recherches, de vérifier l’arrestation de septembre 1944 évoquée par le sous-préfet, il est en revanche certain que Frédéric Buck a été incarcéré pendant trois jours à la prison dite « Abattoirs », située dans la rue du Fil à Strasbourg. En effet, le registre d’écrou conservé aux Archives départementales du Bas-Rhin atteste que le mardi 10 octobre 1944 à 16 heures, Frédéric Buck y a été acheminé par la Stapo (Staatspolizei) de Strasbourg. À priori, son arrestation aurait eu lieu en présence de son épouse, dans le nouveau domicile du couple, situé au 1 rue Oberlin (Oberlinstraße 1) à Strasbourg. De plus, il est intéressant de noter que ce jour-là, onze docteurs alsaciens – parmi lesquels neuf médecins, un vétérinaire et un dentiste –, sont conduits en prison entre 15 heures et 18 heures. Il s’agit de jeunes hommes nés entre 1908 et 1913, dont l’âge moyen est d’environ 34 ans. Malheureusement, le registre d’indique pas la raison exacte de l’incarcération – hormis la mention commune « SCH-H » pour Sicherheitshäftling –, mais il s’agit probablement d’une détention provisoire voire d’une garde à vue. Enregistré sous le numéro d’écrou 839/1944, Buck ne reste que trois jours en cellule, jusqu’au vendredi 13 octobre à 18 heures, date à laquelle il est effectivement libéré sans aucune autre poursuite judiciaire à son encontre ([auf] f[reiem] Fuß), alors que nombre des autres détenus arrivés par la même vague d’arrestations le 10 octobre 1944 ont par la suite été envoyés au camp de sûreté de Schirmeck-Vorbruck. Au vu du contexte, et comme nous l’avons expliqué précédemment, on peut émettre l’hypothèse que le motif de cette détention ait été non seulement l’attitude antinazie de Buck, mais également la volonté de Buck et de ses confrères de se soustraire au service militaire – d’autant que tous sont de la classe d’âge visée par un élargissement de l’obligation militaire (1908-1913).
À en croire le rapport officiel du sous-préfet de 1979, certainement basé sur des informations fiables, Frédéric Buck aurait été libéré à la condition de servir un sein d’un établissement hospitalier allemand, à Pforzheim, près de Stuttgart, probablement dans le cadre d’un service médical (Notdienst) à des buts de rééducation idéologique et politique. Affichant toujours une attitude ouvertement patriotique et francophile, il ne donne de toute évidence pas suite à cette mutation disciplinaire. En effet, Frédéric Buck reste à Strasbourg, où il assiste quelques semaines plus tard à la Libération de Strasbourg et de l’Alsace au cours de l’automne-hiver 1944-1945. On remarque d’ailleurs que les Allemands sont parfaitement au courant qu’il n’a pas obéi à l’ordre de transfert à Pforzheim. L’annuaire établi le 26 mars 1945 par les services du recteur de la Reichsuniversität Strassburg repliée à Tübingen montre bien que Buck, comme nombre de ses confrères Alsaciens, est noté comme étant « resté à Strasbourg » (in Straßburg geblieben).
En fait, en novembre 1944, le directeur allemand de la clinique chirurgicale, Ludwig Zukschwerdt, avait été fait prisonnier par les troupes alliées qui le chargent de la direction de l’hôpital des blessés de la Wehrmacht pendant quelques semaines, jusqu’à son internement dans un camp de prisonniers de guerre à Marseille. Les autorités civiles de la ville de Strasbourg libérée désignent alors le radiologue Frédéric-Auguste Schaaf (1884-1952) en qualité de directeur provisoire des hospices civils. Dans cette position d’autorité, Schaaf nomme son confrère, le Dr. René Keller, ancien premier médecin-chef de Zukschwerdt durant l’Occupation, à la tête de la clinique chirurgicale B. De plus, au même moment, le général Jacques Schwartz (1889-1960), devenu gouverneur militaire français de Strasbourg à l’hiver 1944, charge précisément les docteurs René Keller et Frédéric Buck de s’occuper de deux salles de la chirurgie B réquisitionnées par l’armée pour le traitement des militaires blessés qui affluent continuellement à l’hôpital. Placés sous les ordres du médecin-colonel Ribollet et du médecin-capitaine Steiger, les deux alsaciens reprennent du service dans l’armée française et travaillent comme chirurgiens militaires. Dans leurs tâches, Keller et Buck sont entourés d’une équipe composée de jeunes assistants alsaciens qui assurent notamment les urgences et le traitement des blessés militaires français admis en chirurgie.
L’après-guerre : de l’hôpital civil de Strasbourg au centre hospitalier de Sélestat
Après avoir servi comme chirurgien militaire à Strasbourg après la Libération, Frédéric Buck retrouve rapidement un poste civil à la clinique chirurgicale B. Avec le retour d’Alfred Weiss à la clinique, Buck est réinvesti dans ses fonctions de chef de clinique entre 1945 et 1948. Obtenant ensuite un poste de chirurgien à l’hôpital de Sélestat en Centre-Alsace, Buck dirige le service de chirurgie et participe à la mise en route du centre hospitalier de Sélestat en 1962, dont il devient l’un des principaux médecins. En 1978, après quarante-deux années de pratique de la médecine et après trente années de service à l’hôpital sélestadien – ce qui lui a valu plusieurs distinctions honorifiques –, Frédéric Buck prend sa retraite et reste à Sélestat avec son épouse jusqu’à son décès en 2006.
Chef de clinique en Chirurgie B (1945-1948)
Dans l’immédiat après-guerre, Frédéric Buck poursuit sa carrière médicale à la faculté de médecine de Strasbourg, obtenant le soutien et la confiance de ses supérieurs. En juin 1945, le professeur Alfred Weiss (1898-1979) revient à Strasbourg depuis Clermont-Ferrand et constitue à nouveau son équipe chirurgicale de la chirurgie B, composée de médecins alsaciens et d’une partie de son équipe clermontoise. Très rapidement, Frédéric Buck est investi dans les fonctions de chef de clinique en chirurgie B, grâce à l’intervention du professeur Weiss, qui le propose à ce poste pour l’année scolaire 1945-1946 lors de la séance du Conseil de Faculté du 19 octobre 1945. La proposition est adoptée à l’unanimité par tous les membres présents, à savoir les professeurs Pautrier, Reeb, Fontaine, Weiss, Weill, Redslob, Vaucher, Gery, Hanns, Aron, Keller, Rohmer, Schwartz et Ambard, réunis sous la présidence du doyen Forster. Quelques semaines plus tard, le 3 janvier 1946, le doyen de la faculté de médecine, le professeur André Forster (1878-1957), soumet ensuite par courrier cette proposition au recteur de l’université, qui entérine par arrêté rectoral la nomination de Buck à cette fonction « honorifique » avec effet rétroactif, du 1er octobre 1945 au 30 septembre 1946. À la chirurgie B, Frédéric Buck travaille ainsi notamment aux côtés des Drs. René Keller, Paul Steimlé et Éric Hurter, Guy Thomas, Lucien Toty, Henri Delhaye, Pierre Carlier ou encore Jean Kuntzmann. Toutefois, ces médecins ne restent que peu de temps à Strasbourg. Par exemple, Keller part dans le privé quelques semaines après sa nomination, Steimlé part faire carrière au Mexique en 1946, Hurter devient chef de service de chirurgie générale à l’hôpital de Forbach, Thomas devient chirurgien-chef à l’hôpital de Riom et Toty prend la direction de la chirurgie thoracique de l’hôpital Foch à Suresnes. En tous les cas, le départ d’Éric Hurter en 1946 pour l’hôpital de Forbach marque une nouvelle évolution de carrière pour Frédéric Buck. Le recteur le charge de son remplacement et le nomme en effet chef de clinique pour l’année scolaire 1946-1947, avec une indemnité s’élevant à 5200 francs. Son contrat est encore renouvelé à deux reprises pour les années universitaires 1947-1948 et 1948-1949, mais il quitte son poste avant même d’entamer l’année universitaire 1948-1949. Effectivement, au 31 octobre 1948, il quitte la clinique chirurgicale B de l’hôpital civil strasbourgeois pour prendre un nouveau départ : cédant sa place au Dr. Lucien Toty (1919-2009), un ancien Résistant, Frédéric Buck devient chirurgien à l’hôpital de Sélestat en centre Alsace.
L’hôpital de Sélestat : un « chirurgien de valeur » (1948-1978)
Après avoir travaillé comme médecin pendant douze ans à l’hôpital civil de Strasbourg, Frédéric Buck s’installe à Sélestat pour la fin de sa carrière. Pendant trente ans, du 1er octobre 1948 au 1er décembre 1978, il occupe une fonction de chirurgien et chef de service à l’hôpital de Sélestat. Jouissant d’une très bonne réputation et d’un parcours universitaire et médical sans tache, il est rapidement reconnu pour son excellent travail. Non seulement « populaire », mais également apprécié, Buck est déjà considéré comme un « chirurgien de valeur » dès les premières années de service à Sélestat. D’ailleurs, il devient très tôt l’un des personnages-clés dans le développement et la qualité des soins chirurgicaux dispensés à l’hôpital de Sélestat. Comme le précise le sous-préfet de Sélestat en 1979 à l’occasion de la proposition de Buck au grade de chevalier de la Légion d’honneur,
« c’est à lui que la ville de Sélestat doit la transformation et la modernisation du service chirurgical dans la période difficile de l’après-guerre où l’hôpital fonctionnait dans les locaux provisoires de l’École Normale. C’est encore lui qui, en sa qualité de chef d[u] service [de] chirurgie, a participé à la mise en route du Centre hospitalier de Sélestat, construit en 1962 et qui, par sa réputation sans faille, faite de compétence, de disponibilité et de courage, a contribué à son rayonnement ».
De plus, on notera qu’à côté de ses fonctions cliniques et hospitalières, Frédéric Buck occupe également deux postes honorifiques qui traduisent d’une position relativement importante au sein de la communauté médicale et chirurgicale. Il est par exemple membre de la commission médicale consultative de l’hôpital de Sélestat entre 1966 à 1978, et exerce aussi la fonction de président de la Société médicale des hôpitaux de Strasbourg entre 1er janvier 1976 et le 1er décembre 1978.
La carrière médicale de Frédéric Buck est aussi couronnée de plusieurs distinctions honorifiques françaises dans l’après-guerre venues récompenser ses activités médicales, ainsi que son engagement en faveur la santé publique, la médecine et la chirurgie. Dès le mois de février 1947, le préfet du Bas-Rhin initie une procédure confidentielle visant à attribuer à Buck la Médaille de la Reconnaissance Française. Comme Buck vit encore dans l’appartement du 1a, rue Oberlin à Strasbourg, c’est le service des Renseignements Généraux de la ville de Strasbourg qui est chargé de l’enquête. Le 6 mars 1947, le commissaire principal et chef du service des Renseignements Généraux adresse son rapport à la préfecture, lequel témoignant que les « renseignements recueillis sur le susnommé au point de vue national sont favorables » et qu’ainsi, l’attribution de la médaille « mérite d’être prise en considération ». Jusque-là, rien ne nous permet d’affirmer catégoriquement qu’il est récipiendaire de cette médaille, mais l’évaluation largement positive des services de police semblent plaider en sa faveur.
Par la suite, plusieurs mémoires de proposition sont déposés par le sous-préfet de Sélestat afin d’intégrer Frédéric Buck dans deux des plus grands ordres civils français. En 1965, il est proposé pour être nommé chevalier dans l’Ordre national du mérite, apparemment par la sous-préfecture de Sélestat. La proposition est motivée par ses services nombreux accomplis au service de la nation dans le cadre de ses activités médicales, non seulement pendant la guerre, mais également depuis 1945. Outre son action en qualité de chirurgien à Sélestat pour le développement du service chirurgical de la ville depuis, qui « lui vaut la considération et l’estime générale », il est rappelé :
« Durant l'occupation, le docteur Buck était en fonction à l'hôpital [civil] de Strasbourg. Son activité en faveur des jeunes Alsaciens, réfractaires à l'armée allemande et devant être incorporés est bien connue. Arrêté pour ce motif en septembre 1944, il a été relâché à condition de rejoindre un hôpital en Allemagne ; il n'a néanmoins pas donné suite à cette convocation. Il convient de signaler également son activité "médicale" en faveur des prisonniers français évadés en attente d'être remis à une filière ».
Ainsi, la République française attache une très grande importance au comportement du candidat durant l’Occupation allemande et ses sentiments nationaux qui sont les siens avant de statuer sur l’attribution ou non de la médaille. Il s’agit également d’examiner si son parcours n’accuse aucun élément rédhibitoire. Comme l’exige la procédure, on liste ses fonctions dites « civiles » exercées à l’hôpital (interne, chef de clinique, chirurgien), de même que la durée du service militaire accompli à la fois en temps de paix et en temps de guerre (octobre 1937 – juillet 1940), sans toutefois compter le temps qu’il a passé dans la réserve militaire après la guerre. En conséquence, « l’attitude nationale de l’intéressé a[yant] toujours été sans reproche », il obtient un avis favorable pour l’attribution de la croix de chevalier de l’Ordre national du mérite, qui lui est décernée en juin 1966. Dans les années 1970, après une longue carrière médicale, Frédéric Buck est pressenti pour recevoir la Légion d’honneur, la plus haute décoration honorifique française.
Candidature dans la Légion d’honneur : une « vie entière consacrée à soulager et guérir »
Enfin, au terme de sa carrière médicale accomplie en milieu hospitalier en qualité de chirurgien, Frédéric Buck est proposé à deux reprises par le sous-préfet de Sélestat pour recevoir la croix de chevalier de l’Ordre de la Légion d’honneur. Un premier mémoire de proposition est déposé fin octobre 1976 et un second le 22 janvier 1979, mais tous deux semblent n’avoir eu aucun aboutissement concret. Pour chacun d’entre eux, ses excellents états de service sont mis en avant, reprenant peu ou prou les mêmes éléments et motivations évoquées pour sa candidature dans l’Ordre national du mérite. En 1976, il est rappelé sa bonne réputation, son rôle dans le développement de la chirurgie à Sélestat et ses activités durant la guerre. On évoque son activité comme « volontaire » comme médecin-officier durant guerre de 1940 à l’hôpital de Besançon et son activité de résistance avec son refus de servir dans la Waffen-SS, son emprisonnement par les Allemands, son soutien aux Alsaciens réfractaires et son aide médicale aux prisonniers et résistants. En fait, dans le premier dossier de candidature, le sous-préfet loue abondamment Frédéric Buck en écrivant en conclusion : « Le Dr. Buck, dont les qualités professionnelles et humaines sont unanimement reconnues, jouit d’une excellente réputation et cette distinction [la croix de chevalier de la Légion d’honneur] me paraît méritée ». Malgré l’avis « très favorable » du sous-préfet, la chancellerie de la Légion d’honneur ne semble pas donner suite à la candidature, ce qui aboutit au second mémoire de proposition déposé un peu plus de deux ans plus tard, en janvier 1979.
À ce moment-là, cela fait à peine quelques semaines que Frédéric Buck a fait valoir ses droits à la retraite, après un total de quarante-deux années de services (militaires et civils) accomplis en milieu hospitalier. Reprenant quasiment mot à mot les mêmes motivations que dans la première demande et dans le mémoire de proposition dans l’Ordre national du mérite, le sous-préfet de Sélestat décide désormais de motiver et d’appuyer sa demande en faveur de Buck en mettant en avant l’ensemble de son parcours et de sa vie passée au service de la santé publique. Il conclut son rapport ainsi :
« Mélange de science, de culture et de bon sens, le Dr. Buck, dont les qualités professionnelles et humaines sont unanimement reconnues, jouit d’une excellente réputation et cette distinction, qui vient récompenser une vie entière consacrée à soulager et guérir ses semblables, me paraît méritée et j’émets, en ce qui me concerne, un avis très favorable ».
Là encore, dans l’état actuel des recherches, il subsiste un doute quant à la réelle attribution de cette prestigieuse décoration à Frédéric Buck. En effet, si le dossier a été instruit au début de l’année 1979, on aurait pu penser qu’il ait été décoré à l’occasion de l’une des prochaines promotions, mais selon les décrets du président de la République française de l’année 1979 publiés au Journal officiel de la République française, Buck ne fait pas partie de la liste des décorés de la promotion du 14 juillet 1979, ni de celle du 1er janvier 1980. Une chose reste cependant sûre : Frédéric Buck a consacré toute sa vie à l’exercice de l’art médical, ce qui lui a valu la reconnaissance de ses patients, de ses pairs et d’une partie (au moins) des autorités de la République.
Vie privée
Concernant la vie privée de Frédéric Buck, on évoquera tout d’abord son mariage avec Suzanne Schott. Née le 12 septembre 1913 à Hurtigheim, Suzanne est issue d’une famille d’agriculteurs originaire du petit village d’Hurtigheim. Apparemment, le couple s’est marié avant l’année 1942, puisque le document le plus ancien retrouvé qui précise sa situation maritale date du 29 janvier 1942, mais jusque-là, la date et le lieu de la célébration n’ont pas encore été identifiés. De cette union sont nés quatre enfants. Par ailleurs, au début de leur mariage, Frédéric et Suzanne vivent à Strasbourg, d’abord dans un appartement situé au Schaffhauserstraße 3, puis au 1a rue Oberlin à Strasbourg entre fin 1944 et fin 1948. Avec la mutation de Frédéric à l’hôpital de Sélestat après la guerre, la famille Buck emménage ensuite dans une villa du quartier du Sand à Sélestat (nord-ouest de la ville), au 10 rue Dominique Roos.
On remarquera également que Frédéric était un passionné de colombophilie, un sport qui a pour objet l’élevage et la domestication de pigeons voyageurs en vue de les faire concourir. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la pratique est encore très encadrée et les associations civiles de colombophilie – dont Buck était certainement du nombre – étaient surveillées et placées sous la double tutelle des ministères de la Défense et de l’Intérieur (jusqu’en 1994). C’est pour cela que l’on retrouve dans les archives une « notice individuelle » établie en octobre 1954 à l’issue d’une enquête réalisée par un inspecteur de la « dix-neuvième région de colombophilie » de Sélestat et tamponnée par le service des Renseignements Généraux. Au regard des documents retrouvés, il semble que Frédéric Buck ait installé son colombier dans une dépendance située dans la cour de sa propriété, peut-être au début des années 1950. Dans la rubrique « observations et avis » du compte-rendu d’enquête, l’inspecteur note aussi des informations sur Buck : « personnalité bien connue, populaire, chirurgien de valeur, fait l’objet des meilleurs renseignements tant au point de vue privé que national ». L’enquête de moralité de Buck montre que sa conduite est « bonne », qu’il est « considéré », qu’il est « aisé » et qu’il a des « sentiments nationaux », ce qui, de toute évidence, lui a permis d’obtenir l’agrément nécessaire pour la pratique de sa passion.
Enfin, c’est à Sélestat que Frédéric Buck et son épouse passent les dernières années de leur vie, jusqu’à leur décès au début des années 2000. Plus précisément, Suzanne décède le 18 mai 2003 et Frédéric s’éteint quant à lui trois ans plus tard, le 28 septembre 2006, dans sa quatre-vingt-treizième année. Le couple repose aujourd’hui au cimetière d’Hurtigheim, dans une concession familiale perpétuelle (emplacement 2-07-002) des beaux-parents de Frédéric –Jacques Schott (1er janvier 1878 – 28 décembre 1962) et Anne Marguerite Urban (2 juin 1874 – 10 avril 1953) – qui sont également enterrés dans la même tombe.
Repères
Localisations
Nationalités
- Allemand (1913 - 1919)
- Français (1919 - 1940)
- Alsacien (1940 - 1944)
- Français (1944 - 2006)
Confessions
- Protestant
Publications
- BUCK Frédéric, Le traitement des pieds gelés par les infiltrations anesthésiques du sympathique lombaire, thèse de doctorat de médecine, Lyon, Université de Lyon, n°102, 1940.
Liens à institutions
Université de Lyon
Références
- ADBR, 1558 W 93, dossier n°7502 (Frédéric Buck).
- ADBR, 126 AL 37, dossier n°1, Anordnung des Chefs der Zivilverwaltung im Elsass (Gesundheitswesen), 13 juillet 1940.
- ADBR, 4E225/4, État civil d’Ittenheim, Acte de mariage de Carl Buck et Barbara Hamm, Acte n°2/1876.
- ADBR, 4E225/4 et 4E225/6, État civil d’Ittenheim, Registre des naissances, Actes n°26/1876, n°25/1878, n°28/1879, n°23/1882, n°44/1886 et n°11/1890.
- ADBR, 4E506/6, État civil d’Ittenheim, Acte de naissance de Maria Siess, acte n° 26/1888.
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- ADBR, 4E900/52, État civil d’Ittenheim, Table des naissances (1913-1922), Acte n°6/1915.
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- ADBR, 126 AL 37, dossier n°4, Ärzteverzeichnis der klinischen Universitäts-Anstalten Strassburg (1941-1943).
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Rédaction : ©Loïc Lutz