Différences entre les versions de « Walter Skripczynski »
m (Enregistré en utilisant le bouton "Sauvegarder et continuer" du formulaire) |
m (Enregistré en utilisant le bouton "Sauvegarder et continuer" du formulaire) |
||
Ligne 31 : | Ligne 31 : | ||
Le 10 août 1941, moins de trois mois après son arrivée au ''KL-Natzweiler'', Walter Skripczynski est admis à l’infirmerie du camp. Il ne pèse plus que 68 kilogrammes. Il se plaint de « fortes et vives douleurs dans la région de l’appendice ». Lors de l’examen, le médecin ''SS'', le ''SS-Untersturmführer'' Herbert Gräff (1913-1979), note que les douleurs sont « principalement [localisées] sur le côté droit » et remarque tout à la fois que la zone en question est « dure et sensible » et que la température corporelle et le pouls sont élevés. Dans un premier temps, le Dr. Gräff évoque le diagnostic d’une appendicite et commence à prodiguer les premiers soins. Selon sa fiche de suivi médical de l’infirmerie du camp, il lui administre le jour même dix laxatifs (''10 Abführtabletten''), pratique un lavement (''Einlauf'') et applique des compresses froides (''kalte Kompressen'') à son patient pour abaisser la température corporelle<ref name="029eda1c2157ae56e1ef51f092c6acb5265d5133">ITS Digital Archive, Arolsen Archives, 1.1.29.2/01012902, doc. 3232673-3232674, ''Krankenblatt'' de Walter Skripczynski, 10-11 août 1941.</ref>.<br> | Le 10 août 1941, moins de trois mois après son arrivée au ''KL-Natzweiler'', Walter Skripczynski est admis à l’infirmerie du camp. Il ne pèse plus que 68 kilogrammes. Il se plaint de « fortes et vives douleurs dans la région de l’appendice ». Lors de l’examen, le médecin ''SS'', le ''SS-Untersturmführer'' Herbert Gräff (1913-1979), note que les douleurs sont « principalement [localisées] sur le côté droit » et remarque tout à la fois que la zone en question est « dure et sensible » et que la température corporelle et le pouls sont élevés. Dans un premier temps, le Dr. Gräff évoque le diagnostic d’une appendicite et commence à prodiguer les premiers soins. Selon sa fiche de suivi médical de l’infirmerie du camp, il lui administre le jour même dix laxatifs (''10 Abführtabletten''), pratique un lavement (''Einlauf'') et applique des compresses froides (''kalte Kompressen'') à son patient pour abaisser la température corporelle<ref name="029eda1c2157ae56e1ef51f092c6acb5265d5133">ITS Digital Archive, Arolsen Archives, 1.1.29.2/01012902, doc. 3232673-3232674, ''Krankenblatt'' de Walter Skripczynski, 10-11 août 1941.</ref>.<br> | ||
Le lendemain, le 11 août, le Dr. Gräff poursuit en vain le traitement. La fiche médicale précise que Walter Skripczynski aurait subi trois lavements et qu’il aurait reçu des tisanes laxatives contenant du sel de Glauber (''Abführtee mit Glaubersalz''), du ricin (''Rhizinus''), ainsi que de l’huile de paraffine (''Paraffinöl''), afin lutter contre la constipation dont il était manifestement atteint. En dépit de ces tentatives, le Dr. Gräff note que son traitement n’a « pas de résultat » (''kein Erfolg''). Au contraire, Walter Skripczynski voit sa température augmenter légèrement, passant de 37° à 38°, et ses douleurs semblent être toujours aussi vives, si bien que le Dr. Gräff lui aurait même administré, les 10 et 11 août, deux ampoules d’un centimètre cube de morphine. Mais finalement, le médecin SS dresse le constat suivant : « le patient devient apathique et ne fait aucun effort pour aller à la selle. Par conséquent, il est nécessaire de le transférer à l’hôpital civil [de Strasbourg] »<ref name="9bdfa0d90884d65a0c3ae7b33395f6cb97f6e64c">ITS Digital Archive, Arolsen Archives, 1.1.29.2/01012902, doc. 3232673-3232677, ''Krankenblatt'' de Walter Skripczynski, 10-11 août 1941.</ref>. <br> | Le lendemain, le 11 août, le Dr. Gräff poursuit en vain le traitement. La fiche médicale précise que Walter Skripczynski aurait subi trois lavements et qu’il aurait reçu des tisanes laxatives contenant du sel de Glauber (''Abführtee mit Glaubersalz''), du ricin (''Rhizinus''), ainsi que de l’huile de paraffine (''Paraffinöl''), afin lutter contre la constipation dont il était manifestement atteint. En dépit de ces tentatives, le Dr. Gräff note que son traitement n’a « pas de résultat » (''kein Erfolg''). Au contraire, Walter Skripczynski voit sa température augmenter légèrement, passant de 37° à 38°, et ses douleurs semblent être toujours aussi vives, si bien que le Dr. Gräff lui aurait même administré, les 10 et 11 août, deux ampoules d’un centimètre cube de morphine. Mais finalement, le médecin ''SS'' dresse le constat suivant : « le patient devient apathique et ne fait aucun effort pour aller à la selle. Par conséquent, il est nécessaire de le transférer à l’hôpital civil [de Strasbourg] »<ref name="9bdfa0d90884d65a0c3ae7b33395f6cb97f6e64c">ITS Digital Archive, Arolsen Archives, 1.1.29.2/01012902, doc. 3232673-3232677, ''Krankenblatt'' de Walter Skripczynski, 10-11 août 1941.</ref>. <br> | ||
===L’hospitalisation à la clinique chirurgicale A de Strasbourg et le décès=== | ===L’hospitalisation à la clinique chirurgicale A de Strasbourg et le décès=== | ||
Le 11 août 1941, le détenu Walter Skripczynski est extrait du KL-Natzweiler et est transféré à Strasbourg, à une époque où les cliniques de l’hôpital civil de Strasbourg étaient déjà gérées par la Reichsuniversität Straßburg en cours de création. Plus précisément, il est admis à la clinique chirurgicale A « pour être opéré » (''zur Operation'') <ref name="21a3ff44627549cf61349d4e5bc01411294ba5d9">ADHVS, Fonds des dossiers de la clinique psychiatrique de Strasbourg, 1941-SKR, Dossier psychiatrique de Walter Skripczynski, Lettre du directeur par intérim de la clinique psychiatrique [Dr. Charles Buhecker] à l’administration des cliniques hospitalo-universitaires de Strasbourg au sujet de l’incinération du détenu Walter Skripczynksi, 12 août 1941. Voir également ITS Digital Archive, Arolsen Archives, 1.1.29.2/01012902, doc. 3232678, Rapport du Dr. Gräff au commandant du camp annonçant le décès du détenu Walter Skripczynski, 12 août 1941.</ref>. Le Dr. Gräff avait rédigé à l’attention de ses confrères de l’hôpital civil une ordonnance d’hospitalisation (''Krankenhauseinweisung''). Dans celle-ci, il demandait l’hospitalisation sur place (''stationäre Behandlung'') de son patient et évoquait le diagnostic d’une appendicite ou d’une occlusion intestinale (iléus), donc une pathologie potentiellement mortelle<ref name="62adceea43c6a5cf1edbc1f51afa4c5e1b1a0ddb">ITS Digital Archive, Arolsen Archives, 1.1.29.2/01012902, doc. 3232679, Ordonnance d’hospitalisation (''Krankenhauseinweisung'') du détenu Walter Skripczynski, 11 août 1941.</ref>. Toutefois, faute de rapide prise en charge et en raison de l’état aggravé du patient, Walter Skripczynski décède le soir même du 11 août 1941, à 18h30, à la clinique chirurgicale A de Strasbourg<ref name="01fb954de23a3125652d2958190532366372a90a">ADHVS, Fonds des dossiers de la clinique psychiatrique de Strasbourg, 1941-SKR, Dossier psychiatrique de Walter Skripczynski, Lettre du directeur par intérim de la clinique psychiatrique [Dr. Charles Buhecker] au service politique [''Abteilung II''] de l’état-major du KL-Natzweiler au sujet de la mort du détenu Walter Skripczynksi, 12 août 1941.</ref>. <br> | Le 11 août 1941, le détenu Walter Skripczynski est extrait du ''KL-Natzweiler'' et est transféré à Strasbourg, à une époque où les cliniques de l’hôpital civil de Strasbourg étaient déjà gérées par la ''Reichsuniversität Straßburg'' en cours de création. Plus précisément, il est admis à la clinique chirurgicale A « pour être opéré » (''zur Operation'') <ref name="21a3ff44627549cf61349d4e5bc01411294ba5d9">ADHVS, Fonds des dossiers de la clinique psychiatrique de Strasbourg, 1941-SKR, Dossier psychiatrique de Walter Skripczynski, Lettre du directeur par intérim de la clinique psychiatrique [Dr. Charles Buhecker] à l’administration des cliniques hospitalo-universitaires de Strasbourg au sujet de l’incinération du détenu Walter Skripczynksi, 12 août 1941. Voir également ITS Digital Archive, Arolsen Archives, 1.1.29.2/01012902, doc. 3232678, Rapport du Dr. Gräff au commandant du camp annonçant le décès du détenu Walter Skripczynski, 12 août 1941.</ref>. Le Dr. Gräff avait rédigé à l’attention de ses confrères de l’hôpital civil une ordonnance d’hospitalisation (''Krankenhauseinweisung''). Dans celle-ci, il demandait l’hospitalisation sur place (''stationäre Behandlung'') de son patient et évoquait le diagnostic d’une appendicite ou d’une occlusion intestinale (iléus), donc une pathologie potentiellement mortelle<ref name="62adceea43c6a5cf1edbc1f51afa4c5e1b1a0ddb">ITS Digital Archive, Arolsen Archives, 1.1.29.2/01012902, doc. 3232679, Ordonnance d’hospitalisation (''Krankenhauseinweisung'') du détenu Walter Skripczynski, 11 août 1941.</ref>. Toutefois, faute de rapide prise en charge et en raison de l’état aggravé du patient, Walter Skripczynski décède le soir même du 11 août 1941, à 18h30, à la clinique chirurgicale A de Strasbourg<ref name="01fb954de23a3125652d2958190532366372a90a">ADHVS, Fonds des dossiers de la clinique psychiatrique de Strasbourg, 1941-SKR, Dossier psychiatrique de Walter Skripczynski, Lettre du directeur par intérim de la clinique psychiatrique [Dr. Charles Buhecker] au service politique [''Abteilung II''] de l’état-major du ''KL-Natzweiler'' au sujet de la mort du détenu Walter Skripczynksi, 12 août 1941.</ref>. <br> | ||
De plus, il convient d’ajouter qu’afin d’assurer la sécurité et pour éviter les évasions, il semble qu’il avait été prévu d’héberger le détenu-patient dans une chambre fermée de la clinique psychiatrique (située juste en face de la clinique chirurgicale A) à l’issue de l’opération. C’est probablement pour cette raison que le Dr. Charles Buhecker (1903-1989), directeur par intérim de la clinique psychiatrique universitaire de Strasbourg<ref name="04aad4d4936984fa64c3ef9508f14d083d0febf0">Sur Buhecker, voir le dossier des renseignements généraux sur Charles Buhecker, ADBR, 1558W94, n°7625 (Charles Buhecker). Voir également Julie Clauss, ''Un état des lieux diagnostique comme outil de repérage et d’analyse de l’introduction de la notion de schizophrénie à la clinique psychiatrique universitaire des hôpitaux universitaires de Strasbourg (1912-1962)'', Thèse de doctorat de médecine, Strasbourg, Université de Strasbourg, 2015, p. 33. On renvoie également à la biographie de Charles Buhecker par Lea Münch sur Rus-Med via https://rus-med.unistra.fr.</ref>, est chargé de la prise de contact avec l’administration concentrationnaire. En effet, c’est lui qui informe les SS du service administratif du KL-Natzweiler que le détenu est décédé<ref name="96cf963f7c2fd574f5ea095ef4e5f3eb0bbba9d8">ADHVS, Fonds des dossiers de la clinique psychiatrique de Strasbourg, 1941-SKR, Dossier psychiatrique de Walter Skripczynski, Lettre du directeur par intérim de la clinique psychiatrique [Dr. Charles Buhecker] au service politique ['Abteilung II'] de l’état-major du KL-Natzweiler au sujet de la mort du détenu Walter Skripczynksi, 12 août 1941.</ref> et c’est à lui que le service politique (''Politische Abteilung'') de l’état-major transmet la consigne de transférer le corps de Walter Skripczynski au crématorium de Strasbourg-Roberstau<ref name="7741a24432bbdf087e677ae4dcdfaf75677a3cb2">ADHVS, Fonds des dossiers de la clinique psychiatrique de Strasbourg, 1941-SKR, Dossier psychiatrique de Walter Skripczynski, Lettre du directeur par intérim de la clinique psychiatrique [Dr. Charles Buhecker] à l’administration des cliniques hospitalo-universitaires de Strasbourg au sujet de l’incinération du détenu Walter Skripczynksi, 12 août 1941.</ref>. Comme l’administration SS devait tenir les registres d’état civil du camp à jour<ref name="8eb862a0536e0a7cb7c74203e1e7699ecb764a38">Voir à ce sujet Robert Steegmann, ''Struthof. Le KL-Natzweiler et ses kommandos : une nébuleuse concentrationnaire des deux côtés du Rhin (1941-1945)'', Strasbourg, La Nuée Bleue, 2005, p. 182-183.</ref>, le Dr. Gräff transmet ensuite à l’état-major du commandant du KL-Natzweiler un rapport sur le décès du détenu-patient, précisant que la cause du décès était une péritonite (''Bauchfellentzündung'') <ref name="fe49c6f855139d93aa6452e28e1f419d77843a62">ITS Digital Archive, Arolsen Archives, 1.1.29.2/01012902, doc. 3232678, Rapport du Dr. Gräff au commandant du camp annonçant le décès du détenu Walter Skripczynski, 12 août 1941.</ref>. Finalement, le corps de Walter Skripczynski est incinéré au crématoire de Strasbourg-Robertsau quatre jours après sa mort, le 14 août 1941<ref name="d9e073fec50e59f92301c245d8ca6417791d6fa9">ADBR, 150AL11, Liste des incinérations des victimes du camp de concentration de Struthof-Natzwiller, 12 janvier 1949. Jusqu’à présent, il n’a pas été possible de déterminer ce qu’il est advenu de l’urne funéraire, mais il ne figure pas parmi les soixante-treize noms retrouvés dans les listes des inhumations au cimetière nord de Strasbourg (voir AVES, 237 MW 2, fol. 51-57) et son nom ne figure pas sur la plaque apposée dans un carré spécial du cimetière. Voir aussi Robert Steegmann, Robert Steegmann, ''Struthof. Le KL-Natzweiler et ses kommandos : une nébuleuse concentrationnaire des deux côtés du Rhin (1941-1945)'', Strasbourg, La Nuée Bleue, 2005, p. 182 et 185.</ref>. | De plus, il convient d’ajouter qu’afin d’assurer la sécurité et pour éviter les évasions, il semble qu’il avait été prévu d’héberger le détenu-patient dans une chambre fermée de la clinique psychiatrique (située juste en face de la clinique chirurgicale A) à l’issue de l’opération. C’est probablement pour cette raison que le Dr. Charles Buhecker (1903-1989), directeur par intérim de la clinique psychiatrique universitaire de Strasbourg<ref name="04aad4d4936984fa64c3ef9508f14d083d0febf0">Sur Buhecker, voir le dossier des renseignements généraux sur Charles Buhecker, ADBR, 1558W94, n°7625 (Charles Buhecker). Voir également Julie Clauss, ''Un état des lieux diagnostique comme outil de repérage et d’analyse de l’introduction de la notion de schizophrénie à la clinique psychiatrique universitaire des hôpitaux universitaires de Strasbourg (1912-1962)'', Thèse de doctorat de médecine, Strasbourg, Université de Strasbourg, 2015, p. 33. On renvoie également à la biographie de Charles Buhecker par Lea Münch sur Rus-Med via https://rus-med.unistra.fr.</ref>, est chargé de la prise de contact avec l’administration concentrationnaire. En effet, c’est lui qui informe les ''SS' du service administratif du ''KL-Natzweiler'' que le détenu est décédé<ref name="96cf963f7c2fd574f5ea095ef4e5f3eb0bbba9d8">ADHVS, Fonds des dossiers de la clinique psychiatrique de Strasbourg, 1941-SKR, Dossier psychiatrique de Walter Skripczynski, Lettre du directeur par intérim de la clinique psychiatrique [Dr. Charles Buhecker] au service politique ['Abteilung II'] de l’état-major du KL-Natzweiler au sujet de la mort du détenu Walter Skripczynksi, 12 août 1941.</ref> et c’est à lui que le service politique (''Politische Abteilung'') de l’état-major transmet la consigne de transférer le corps de Walter Skripczynski au crématorium de Strasbourg-Roberstau<ref name="7741a24432bbdf087e677ae4dcdfaf75677a3cb2">ADHVS, Fonds des dossiers de la clinique psychiatrique de Strasbourg, 1941-SKR, Dossier psychiatrique de Walter Skripczynski, Lettre du directeur par intérim de la clinique psychiatrique [Dr. Charles Buhecker] à l’administration des cliniques hospitalo-universitaires de Strasbourg au sujet de l’incinération du détenu Walter Skripczynksi, 12 août 1941.</ref>. Comme l’administration ''SS'' devait tenir les registres d’état civil du camp à jour<ref name="8eb862a0536e0a7cb7c74203e1e7699ecb764a38">Voir à ce sujet Robert Steegmann, ''Struthof. Le KL-Natzweiler et ses kommandos : une nébuleuse concentrationnaire des deux côtés du Rhin (1941-1945)'', Strasbourg, La Nuée Bleue, 2005, p. 182-183.</ref>, le Dr. Gräff transmet ensuite à l’état-major du commandant du'' KL-Natzweiler'' un rapport sur le décès du détenu-patient, précisant que la cause du décès était une péritonite (''Bauchfellentzündung'') <ref name="fe49c6f855139d93aa6452e28e1f419d77843a62">ITS Digital Archive, Arolsen Archives, 1.1.29.2/01012902, doc. 3232678, Rapport du Dr. Gräff au commandant du camp annonçant le décès du détenu Walter Skripczynski, 12 août 1941.</ref>. Finalement, le corps de Walter Skripczynski est incinéré au crématoire de Strasbourg-Robertsau quatre jours après sa mort, le 14 août 1941<ref name="d9e073fec50e59f92301c245d8ca6417791d6fa9">ADBR, 150AL11, Liste des incinérations des victimes du camp de concentration de Struthof-Natzwiller, 12 janvier 1949. Jusqu’à présent, il n’a pas été possible de déterminer ce qu’il est advenu de l’urne funéraire, mais il ne figure pas parmi les soixante-treize noms retrouvés dans les listes des inhumations au cimetière nord de Strasbourg (voir AVES, 237 MW 2, fol. 51-57) et son nom ne figure pas sur la plaque apposée dans un carré spécial du cimetière. Voir aussi Robert Steegmann, Robert Steegmann, ''Struthof. Le KL-Natzweiler et ses kommandos : une nébuleuse concentrationnaire des deux côtés du Rhin (1941-1945)'', Strasbourg, La Nuée Bleue, 2005, p. 182 et 185.</ref>. | ||
===D’autres détenus du KL-Natzweiler transférés à la clinique chirurgicale de Strasbourg=== | ===D’autres détenus du KL-Natzweiler transférés à la clinique chirurgicale de Strasbourg=== | ||
L’hospitalisation de Walter Skripczynski à la clinique chirurgicale universitaire de Strasbourg ne représente pas un cas isolé. De récentes recherches ont révélé qu’entre l’été 1941 et le printemps 1942, on comptait au total six détenus du KL-Natzweiler qui ont été transférés à la clinique chirurgicale<ref name="8c32cb0233d35d68ae0607178113054768cf0bf5">Il s’agit des détenus Walter Skripczynski (matricule 290), Otto Seifert (matricule 229), Johann Jurkiewicz (matricule 347), Georg Lütz (matricule 205), Stefan Grün (matricule 180) et Johann Wrobel (matricule 113).</ref> et quelque douze autres à la clinique ophtalmologique à partir du printemps 1943<ref name="5c71c90241cfdbae09fa8c17cf350d8be0189357">Il s’agit des détenus Bruno Splitt (matricule 230), Max Mahler (matricule 1815), Joseph Gerber (matricules 3441 et 4520), René Casagrande (matricule 2652), Heinrich Debortoli (matricule 2213), Karl Wetzer (matricule 3008), Harry Hoffmann (matricule 50), Adam Zmuda (matricule 5462), Hans Haner (matricule 6704), Johann Zollstab (matricule 5047), Wilhelm Frangen (matricule 2012) et Michail Tereschtschenko (matricule 4646).</ref>. Walter Skripczynski est en revanche le premier d’entre eux à être admis à l’hôpital civil de Strasbourg à plus de cinquante kilomètres du camp. En ce qui concerne les hospitalisations en Chirurgie, on remarque qu’il s’agit à chaque fois de patients grièvement blessés ou atteints de pathologies graves et dont l’état de santé nécessite une prise en charge hospitalière – en l’occurrence ici chirurgicale – immédiate. En fait, il semble que ces hospitalisations aient été jugées « nécessaires » (''notwendig'') par le médecin SS, car le camp n’était, à ce moment-là, pas pleinement équipé pour dispenser de tels soins médico-chirurgicaux. | L’hospitalisation de Walter Skripczynski à la clinique chirurgicale universitaire de Strasbourg ne représente pas un cas isolé. De récentes recherches ont révélé qu’entre l’été 1941 et le printemps 1942, on comptait au total six détenus du ''KL-Natzweiler'' qui ont été transférés à la clinique chirurgicale<ref name="8c32cb0233d35d68ae0607178113054768cf0bf5">Il s’agit des détenus Walter Skripczynski (matricule 290), Otto Seifert (matricule 229), Johann Jurkiewicz (matricule 347), Georg Lütz (matricule 205), Stefan Grün (matricule 180) et Johann Wrobel (matricule 113).</ref> et quelque douze autres à la clinique ophtalmologique à partir du printemps 1943<ref name="5c71c90241cfdbae09fa8c17cf350d8be0189357">Il s’agit des détenus Bruno Splitt (matricule 230), Max Mahler (matricule 1815), Joseph Gerber (matricules 3441 et 4520), René Casagrande (matricule 2652), Heinrich Debortoli (matricule 2213), Karl Wetzer (matricule 3008), Harry Hoffmann (matricule 50), Adam Zmuda (matricule 5462), Hans Haner (matricule 6704), Johann Zollstab (matricule 5047), Wilhelm Frangen (matricule 2012) et Michail Tereschtschenko (matricule 4646).</ref>. Walter Skripczynski est en revanche le premier d’entre eux à être admis à l’hôpital civil de Strasbourg à plus de cinquante kilomètres du camp. En ce qui concerne les hospitalisations en Chirurgie, on remarque qu’il s’agit à chaque fois de patients grièvement blessés ou atteints de pathologies graves et dont l’état de santé nécessite une prise en charge hospitalière – en l’occurrence ici chirurgicale – immédiate. En fait, il semble que ces hospitalisations aient été jugées « nécessaires » (''notwendig'') par le médecin ''SS'', car le camp n’était, à ce moment-là, pas pleinement équipé pour dispenser de tels soins médico-chirurgicaux. | ||
Effectivement, à la lumière des rapports officiels des médecins SS du KL-Natzweiler, on s’aperçoit que durant la phase de construction du camp, les installations sanitaires et médicales y étaient quasi-inexistantes. Au départ, la « baraque de fortune » ('Notbaracke') […] qui servait d’infirmerie des déportés » et qui avait été « rapidement construite »<ref name="8f54a5f7e367389ab86e183c6e6eb5dae7664404">Voir tout particulièrement le rapport du 'SS-Standorarzt' Dr. Werner Rohde dans DCAJM, Procédure « Struthof camp », Annexe G, fol. 10, ''Kurze Zusammenstellung über die Entwicklung des Häftlingskrankenbaues im K.L. Natzweiler'', sans date [été 1944].</ref> avec cinq, puis dix lits, « répond[ait] à peine aux exigences que l’on peut attendre d’un service d’urgence primitif » <ref name="7d86883285c5984e2eaf62409ccc9a9bbfd247bb">DCAJM, Procédure « Struthof camp », Annexe G, fol. 204, Rapport trimestriel sur le service sanitaire au KL-Natzweiler, 7 octobre 1941. Voir aussi Robert Steegmann, ''Struthof. Le KL-Natzweiler et ses kommandos : une nébuleuse concentrationnaire des deux côtés du Rhin (1941-1945)'', Strasbourg, La Nuée Bleue, 2005, p. 371-372.</ref>. C’est justement ce que confirme l’historien Robert Steegmann, qui rappelle que les malades du KL-Natzweiler étaient essentiellement transportés au KL-Dachau jusqu’à la fin de l’année 1942, car il n’y avait pas, au KL-Natzweiler, de véritable ''Revier'' sur place durant les premiers mois de la construction du camp<ref name="a3289bf5e33e77c0b4910ab21f27212b8abda6c3">Robert Steegmann, « Natzweiler et Dachau : une histoire croisée », in Anne Bernou-Fieseler et Fabien Théofilakis (dir.), ''Dachau. Mémoires et histoire de la déportation. Regards franco-allemands'', Paris, Tirésias, 2006, p. 146.</ref>. Dans tous les cas, il s’agit d’une pratique qui, si elle a été observée dans d’autres camps de concentration nazis, reste rare et tout à fait exceptionnelle<ref name="99aa452b9f08adcf5c0c41976018a3c27e094b09">Voir à ce sujet la contribution de Loïc Lutz, Gabriele Moser, Lea Münch, « Une pratique méconnue. Transporter et soigner des détenus du KL-Natzweiler dans les cliniques de la ''Reichsuniversität Straßburg'' » dans le rapport final de la commission historique ''Reichsuniversität Straßburg'' et le chapitre dans l’ouvrage collectif à paraître.</ref>. | Effectivement, à la lumière des rapports officiels des médecins ''SS'' du ''KL-Natzweiler'', on s’aperçoit que durant la phase de construction du camp, les installations sanitaires et médicales y étaient quasi-inexistantes. Au départ, la « baraque de fortune » ('Notbaracke') […] qui servait d’infirmerie des déportés » et qui avait été « rapidement construite »<ref name="8f54a5f7e367389ab86e183c6e6eb5dae7664404">Voir tout particulièrement le rapport du ''SS-Standorarzt'' Dr. Werner Rohde dans DCAJM, Procédure « Struthof camp », Annexe G, fol. 10, ''Kurze Zusammenstellung über die Entwicklung des Häftlingskrankenbaues im K.L. Natzweiler'', sans date [été 1944].</ref> avec cinq, puis dix lits, « répond[ait] à peine aux exigences que l’on peut attendre d’un service d’urgence primitif » <ref name="7d86883285c5984e2eaf62409ccc9a9bbfd247bb">DCAJM, Procédure « Struthof camp », Annexe G, fol. 204, Rapport trimestriel sur le service sanitaire au ''KL-Natzweiler'', 7 octobre 1941. Voir aussi Robert Steegmann, ''Struthof. Le KL-Natzweiler et ses kommandos : une nébuleuse concentrationnaire des deux côtés du Rhin (1941-1945)'', Strasbourg, La Nuée Bleue, 2005, p. 371-372.</ref>. C’est justement ce que confirme l’historien Robert Steegmann, qui rappelle que les malades du ''KL-Natzweiler'' étaient essentiellement transportés au ''KL-Dachau'' jusqu’à la fin de l’année 1942, car il n’y avait pas, au ''KL-Natzweiler'', de véritable ''Revier'' sur place durant les premiers mois de la construction du camp<ref name="a3289bf5e33e77c0b4910ab21f27212b8abda6c3">Robert Steegmann, « Natzweiler et Dachau : une histoire croisée », in Anne Bernou-Fieseler et Fabien Théofilakis (dir.), ''Dachau. Mémoires et histoire de la déportation. Regards franco-allemands'', Paris, Tirésias, 2006, p. 146.</ref>. Dans tous les cas, il s’agit d’une pratique qui, si elle a été observée dans d’autres camps de concentration nazis, reste rare et tout à fait exceptionnelle<ref name="99aa452b9f08adcf5c0c41976018a3c27e094b09">Voir à ce sujet la contribution de Loïc Lutz, Gabriele Moser, Lea Münch, « Une pratique méconnue. Transporter et soigner des détenus du ''KL-Natzweiler'' dans les cliniques de la ''Reichsuniversität Straßburg'' » dans le rapport final de la commission historique ''Reichsuniversität Straßburg'' et le chapitre dans l’ouvrage collectif à paraître.</ref>. | ||
Loïc Lutz<br> | Loïc Lutz<br> |
Version actuelle datée du 22 avril 2022 à 15:00
Walter Skripczynski | |
---|---|
Prénom | Walter |
Nom | Skripczynski |
Sexe | masculin |
Naissance | 19 juin 1898 (Gdansk) |
Décès | 11 août 1941 (Strasbourg (Alsace)) |
Profession | Comptable |
Walter Skripczynski (1898-1941) est un détenu allemand du camp de concentration de Natzweiler. En août 1941, il a été admis à la clinique chirurgicale de la future Reichsuniversität Straßburg pour subir une opération chirurgicale dans le cadre d’une « suspicion d’appendicite ou d’une occlusion intestinale »[1]. Faute de rapide prise en charge, il décède à l’hôpital le soir du 11 août 1941. Il est le témoin de relations inattendues entretenues entre le KL-Natzweiler d’une part et les cliniques de la faculté de médecine de la Reichsuniversität Straßburg d’autre part.
Biographie
Origines, enfance et jeunesse
Walter Skripczynski est né le 19 juin 1898 à Danzig (ou Gdansk dans l’actuelle Pologne), la capitale de la province de Prusse occidentale du Royaume de Prusse. Issu d’une famille de confession protestante (evangelisch), il effectue l’intégralité de son cursus scolaire obligatoire dans sa ville natale et il fréquente pendant huit années l’école élémentaire allemande (Volksschule). Durant la Première Guerre mondiale, Walter Skripczynski est mobilisé dans l’armée allemande et participe notamment aux combats sur le front de l’Est. En 1917, il contracte la dysenterie (Ruhr), une maladie infectieuse, et obtient des soins dans un hôpital de campagne (Feldlazarett) à l’Est. C’est manifestement après la guerre que Skripczynski s’installe à Hambourg. Célibataire et sans enfants, il emménage au 110 Kirchwerder-Elbdeich, au sud-est de la ville hanséatique et travaille comme comptable (Buchhalter)[2].
Les « antécédents judiciaires » sous la République de Weimar et le régime nazi
Dès la fin des années 1920 et plus encore après l’arrivée des nazis au pouvoir en Allemagne, Walter Skripczynski est l’objet de multiples condamnations par un tribunal d’instance (Amtsgericht) de Hambourg. Ainsi, en 1929, il est condamné une première fois à neuf mois de prison pour « parjure » (Meineid). Huit ans plus tard, en 1937, il est condamné à une peine équivalente pour « actes sexuels contre nature » (widernatürliche Unzucht), ce qui se rapporte à vraisemblablement au paragraphe 175 du Code pénal allemand qui criminalisait l’homosexualité depuis l’époque du Kaiserreich. Finalement, en 1939, il est condamné pour les mêmes motifs à quinze mois de détention par le tribunal d’instance[3]. C’est vraisemblablement une fois avoir purgé sa peine de prison que Walter Skripczynski a immédiatement été transféré en camp de concentration.
La détention au KL-Sachsenhausen et au KL-Natzweiler
À compter du 11 janvier 1941, Walter Skripczynski est détenu dans le système concentrationnaire national-socialiste[3]. Il est envoyé au camp de concentration de Sachsenhausen, au nord de Berlin, étant alors catégorisé « BV § 175 », c’est-à-dire qu’il est considéré par les SS comme un détenu de droit commun incarcéré pour motifs d’homosexualité. Il avait reçu le matricule 35030[4]. À en croire sa fiche médicale de l’infirmerie des détenus, lors de son arrivée au KL-Sachsenhausen, il pesait 79 kilogrammes pour une taille d’1,78 mètre[5]. Environ quatre mois plus tard, Walter Skripczynski est transféré au camp de concentration de Natzweiler en Alsace annexée créé officiellement trois semaines auparavant. Il arrive sur place le 23 mai 1941, où il est enregistré sous le sigle « BV § 175 » et avec le numéro de matricule 290[4]. Il fait donc partie des 300 premiers détenus arrivés au KL-Natzweiler en provenance du KL-Sachsenhausen les 21 et 23 mai et fait partie les bâtisseurs participant à la construction du camp dans des conditions déplorables[6].
Une première prise en charge médicale à l’infirmerie du KL-Natzweiler
Le 10 août 1941, moins de trois mois après son arrivée au KL-Natzweiler, Walter Skripczynski est admis à l’infirmerie du camp. Il ne pèse plus que 68 kilogrammes. Il se plaint de « fortes et vives douleurs dans la région de l’appendice ». Lors de l’examen, le médecin SS, le SS-Untersturmführer Herbert Gräff (1913-1979), note que les douleurs sont « principalement [localisées] sur le côté droit » et remarque tout à la fois que la zone en question est « dure et sensible » et que la température corporelle et le pouls sont élevés. Dans un premier temps, le Dr. Gräff évoque le diagnostic d’une appendicite et commence à prodiguer les premiers soins. Selon sa fiche de suivi médical de l’infirmerie du camp, il lui administre le jour même dix laxatifs (10 Abführtabletten), pratique un lavement (Einlauf) et applique des compresses froides (kalte Kompressen) à son patient pour abaisser la température corporelle[7].
Le lendemain, le 11 août, le Dr. Gräff poursuit en vain le traitement. La fiche médicale précise que Walter Skripczynski aurait subi trois lavements et qu’il aurait reçu des tisanes laxatives contenant du sel de Glauber (Abführtee mit Glaubersalz), du ricin (Rhizinus), ainsi que de l’huile de paraffine (Paraffinöl), afin lutter contre la constipation dont il était manifestement atteint. En dépit de ces tentatives, le Dr. Gräff note que son traitement n’a « pas de résultat » (kein Erfolg). Au contraire, Walter Skripczynski voit sa température augmenter légèrement, passant de 37° à 38°, et ses douleurs semblent être toujours aussi vives, si bien que le Dr. Gräff lui aurait même administré, les 10 et 11 août, deux ampoules d’un centimètre cube de morphine. Mais finalement, le médecin SS dresse le constat suivant : « le patient devient apathique et ne fait aucun effort pour aller à la selle. Par conséquent, il est nécessaire de le transférer à l’hôpital civil [de Strasbourg] »[8].
L’hospitalisation à la clinique chirurgicale A de Strasbourg et le décès
Le 11 août 1941, le détenu Walter Skripczynski est extrait du KL-Natzweiler et est transféré à Strasbourg, à une époque où les cliniques de l’hôpital civil de Strasbourg étaient déjà gérées par la Reichsuniversität Straßburg en cours de création. Plus précisément, il est admis à la clinique chirurgicale A « pour être opéré » (zur Operation) [9]. Le Dr. Gräff avait rédigé à l’attention de ses confrères de l’hôpital civil une ordonnance d’hospitalisation (Krankenhauseinweisung). Dans celle-ci, il demandait l’hospitalisation sur place (stationäre Behandlung) de son patient et évoquait le diagnostic d’une appendicite ou d’une occlusion intestinale (iléus), donc une pathologie potentiellement mortelle[10]. Toutefois, faute de rapide prise en charge et en raison de l’état aggravé du patient, Walter Skripczynski décède le soir même du 11 août 1941, à 18h30, à la clinique chirurgicale A de Strasbourg[11].
De plus, il convient d’ajouter qu’afin d’assurer la sécurité et pour éviter les évasions, il semble qu’il avait été prévu d’héberger le détenu-patient dans une chambre fermée de la clinique psychiatrique (située juste en face de la clinique chirurgicale A) à l’issue de l’opération. C’est probablement pour cette raison que le Dr. Charles Buhecker (1903-1989), directeur par intérim de la clinique psychiatrique universitaire de Strasbourg[12], est chargé de la prise de contact avec l’administration concentrationnaire. En effet, c’est lui qui informe les SS' du service administratif du KL-Natzweiler que le détenu est décédé[13] et c’est à lui que le service politique (Politische Abteilung) de l’état-major transmet la consigne de transférer le corps de Walter Skripczynski au crématorium de Strasbourg-Roberstau[14]. Comme l’administration SS devait tenir les registres d’état civil du camp à jour[15], le Dr. Gräff transmet ensuite à l’état-major du commandant du KL-Natzweiler un rapport sur le décès du détenu-patient, précisant que la cause du décès était une péritonite (Bauchfellentzündung) [16]. Finalement, le corps de Walter Skripczynski est incinéré au crématoire de Strasbourg-Robertsau quatre jours après sa mort, le 14 août 1941[17].
D’autres détenus du KL-Natzweiler transférés à la clinique chirurgicale de Strasbourg
L’hospitalisation de Walter Skripczynski à la clinique chirurgicale universitaire de Strasbourg ne représente pas un cas isolé. De récentes recherches ont révélé qu’entre l’été 1941 et le printemps 1942, on comptait au total six détenus du KL-Natzweiler qui ont été transférés à la clinique chirurgicale[18] et quelque douze autres à la clinique ophtalmologique à partir du printemps 1943[19]. Walter Skripczynski est en revanche le premier d’entre eux à être admis à l’hôpital civil de Strasbourg à plus de cinquante kilomètres du camp. En ce qui concerne les hospitalisations en Chirurgie, on remarque qu’il s’agit à chaque fois de patients grièvement blessés ou atteints de pathologies graves et dont l’état de santé nécessite une prise en charge hospitalière – en l’occurrence ici chirurgicale – immédiate. En fait, il semble que ces hospitalisations aient été jugées « nécessaires » (notwendig) par le médecin SS, car le camp n’était, à ce moment-là, pas pleinement équipé pour dispenser de tels soins médico-chirurgicaux.
Effectivement, à la lumière des rapports officiels des médecins SS du KL-Natzweiler, on s’aperçoit que durant la phase de construction du camp, les installations sanitaires et médicales y étaient quasi-inexistantes. Au départ, la « baraque de fortune » ('Notbaracke') […] qui servait d’infirmerie des déportés » et qui avait été « rapidement construite »[20] avec cinq, puis dix lits, « répond[ait] à peine aux exigences que l’on peut attendre d’un service d’urgence primitif » [21]. C’est justement ce que confirme l’historien Robert Steegmann, qui rappelle que les malades du KL-Natzweiler étaient essentiellement transportés au KL-Dachau jusqu’à la fin de l’année 1942, car il n’y avait pas, au KL-Natzweiler, de véritable Revier sur place durant les premiers mois de la construction du camp[22]. Dans tous les cas, il s’agit d’une pratique qui, si elle a été observée dans d’autres camps de concentration nazis, reste rare et tout à fait exceptionnelle[23].
Loïc Lutz
Avril 2022
Repères
Localisations
Nationalités
Confessions
- Protestant (1898 - 1941)
Publications
Références
À propos de cette page
Rédaction : ©Loïc Lutz
- ↑ ITS Digital Archive, Arolsen Archives, 1.1.29.2/01012902, doc. 3232679, Ordonnance d’hospitalisation (Krankenhauseinweisung) du détenu Walter Skripczynski, 11 août 1941.
- ↑ ITS Digital Archive, Arolsen Archives, 1.1.29.2/01012902, doc. 3232671-3232672, Fragebogen für Häftlinge, 1941. On ne sait que peu de choses sur ses parents, hormis des informations parcellaires et contradictoires sur les décès : ainsi son père serait décédé à l’âge de 59 (ou 68 ans) en 1920 de « vieillesse » (Alterschwäche) et sa mère serait décédée à l’âge de 51 (ou 53) ans en 1914 d’une cause inconnue. Voir aussi ITS Digital Archive, Arolsen Archives, 1.1.29.2/01012902, doc. 3232673, Krankenblatt de Walter Skripczynski, 10-11 août 1941.
- ↑ 3,0 et 3,1 ITS Digital Archive, Arolsen Archives, 1.1.29.2/01012902, doc. 3232671-3232672, Fragebogen für Häftlinge, 1941.
- ↑ 4,0 et 4,1 ITS Digital Archive, Arolsen Archives, 1.1.29.1/8123400001, doc. 3128838, Extrait du registre matriculaire du KL-Natzweiler (Häftlings-Nummernbuch, 1-6499). ITS Digital Archive, Arolsen Archives, 1.1.29.2/01012902, doc. 3232671-3232672, Fragebogen für Häftlinge, 1941.
- ↑ ITS Digital Archive, Arolsen Archives, 1.1.29.2/01012902, doc. 3232675, Revierkarte de Walter Skripczynski. En fait, cette fiche avait été établie lors de sa détention au KL-Sachsenhausen et avait été ajoutée à son dossier personnel. L’ensemble du dossier suivait généralement le détenu vers le nouveau camp où il était envoyé et l’administration concentrationnaire – y compris le service médical SS – reprenait le même dossier, le complétait ou le corrigeait.
- ↑ Sur le KL-Natzweiler, voir la monumentale monographie de Robert Steegmann, Struthof. Le KL-Natzweiler et ses kommandos : une nébuleuse concentrationnaire des deux côtés du Rhin (1941-1945), Strasbourg, La Nuée Bleue, 2005, 494 p. Sur les deux premiers convois, Robert Steegmann remarque que l’ensemble des détenus de droit commun représentent plus de la moitié de l’effectif des 300 premiers déportés, ceux détenus pour motifs d’homosexualité sont au nombre de 65 (soit 21,6%). Voir à ce sujet Robert Steegmann, Struthof. Le KL-Natzweiler et ses kommandos : une nébuleuse concentrationnaire des deux côtés du Rhin (1941-1945), Strasbourg, La Nuée Bleue, 2005, p. 44-45.
- ↑ ITS Digital Archive, Arolsen Archives, 1.1.29.2/01012902, doc. 3232673-3232674, Krankenblatt de Walter Skripczynski, 10-11 août 1941.
- ↑ ITS Digital Archive, Arolsen Archives, 1.1.29.2/01012902, doc. 3232673-3232677, Krankenblatt de Walter Skripczynski, 10-11 août 1941.
- ↑ ADHVS, Fonds des dossiers de la clinique psychiatrique de Strasbourg, 1941-SKR, Dossier psychiatrique de Walter Skripczynski, Lettre du directeur par intérim de la clinique psychiatrique [Dr. Charles Buhecker] à l’administration des cliniques hospitalo-universitaires de Strasbourg au sujet de l’incinération du détenu Walter Skripczynksi, 12 août 1941. Voir également ITS Digital Archive, Arolsen Archives, 1.1.29.2/01012902, doc. 3232678, Rapport du Dr. Gräff au commandant du camp annonçant le décès du détenu Walter Skripczynski, 12 août 1941.
- ↑ ITS Digital Archive, Arolsen Archives, 1.1.29.2/01012902, doc. 3232679, Ordonnance d’hospitalisation (Krankenhauseinweisung) du détenu Walter Skripczynski, 11 août 1941.
- ↑ ADHVS, Fonds des dossiers de la clinique psychiatrique de Strasbourg, 1941-SKR, Dossier psychiatrique de Walter Skripczynski, Lettre du directeur par intérim de la clinique psychiatrique [Dr. Charles Buhecker] au service politique [Abteilung II] de l’état-major du KL-Natzweiler au sujet de la mort du détenu Walter Skripczynksi, 12 août 1941.
- ↑ Sur Buhecker, voir le dossier des renseignements généraux sur Charles Buhecker, ADBR, 1558W94, n°7625 (Charles Buhecker). Voir également Julie Clauss, Un état des lieux diagnostique comme outil de repérage et d’analyse de l’introduction de la notion de schizophrénie à la clinique psychiatrique universitaire des hôpitaux universitaires de Strasbourg (1912-1962), Thèse de doctorat de médecine, Strasbourg, Université de Strasbourg, 2015, p. 33. On renvoie également à la biographie de Charles Buhecker par Lea Münch sur Rus-Med via https://rus-med.unistra.fr.
- ↑ ADHVS, Fonds des dossiers de la clinique psychiatrique de Strasbourg, 1941-SKR, Dossier psychiatrique de Walter Skripczynski, Lettre du directeur par intérim de la clinique psychiatrique [Dr. Charles Buhecker] au service politique ['Abteilung II'] de l’état-major du KL-Natzweiler au sujet de la mort du détenu Walter Skripczynksi, 12 août 1941.
- ↑ ADHVS, Fonds des dossiers de la clinique psychiatrique de Strasbourg, 1941-SKR, Dossier psychiatrique de Walter Skripczynski, Lettre du directeur par intérim de la clinique psychiatrique [Dr. Charles Buhecker] à l’administration des cliniques hospitalo-universitaires de Strasbourg au sujet de l’incinération du détenu Walter Skripczynksi, 12 août 1941.
- ↑ Voir à ce sujet Robert Steegmann, Struthof. Le KL-Natzweiler et ses kommandos : une nébuleuse concentrationnaire des deux côtés du Rhin (1941-1945), Strasbourg, La Nuée Bleue, 2005, p. 182-183.
- ↑ ITS Digital Archive, Arolsen Archives, 1.1.29.2/01012902, doc. 3232678, Rapport du Dr. Gräff au commandant du camp annonçant le décès du détenu Walter Skripczynski, 12 août 1941.
- ↑ ADBR, 150AL11, Liste des incinérations des victimes du camp de concentration de Struthof-Natzwiller, 12 janvier 1949. Jusqu’à présent, il n’a pas été possible de déterminer ce qu’il est advenu de l’urne funéraire, mais il ne figure pas parmi les soixante-treize noms retrouvés dans les listes des inhumations au cimetière nord de Strasbourg (voir AVES, 237 MW 2, fol. 51-57) et son nom ne figure pas sur la plaque apposée dans un carré spécial du cimetière. Voir aussi Robert Steegmann, Robert Steegmann, Struthof. Le KL-Natzweiler et ses kommandos : une nébuleuse concentrationnaire des deux côtés du Rhin (1941-1945), Strasbourg, La Nuée Bleue, 2005, p. 182 et 185.
- ↑ Il s’agit des détenus Walter Skripczynski (matricule 290), Otto Seifert (matricule 229), Johann Jurkiewicz (matricule 347), Georg Lütz (matricule 205), Stefan Grün (matricule 180) et Johann Wrobel (matricule 113).
- ↑ Il s’agit des détenus Bruno Splitt (matricule 230), Max Mahler (matricule 1815), Joseph Gerber (matricules 3441 et 4520), René Casagrande (matricule 2652), Heinrich Debortoli (matricule 2213), Karl Wetzer (matricule 3008), Harry Hoffmann (matricule 50), Adam Zmuda (matricule 5462), Hans Haner (matricule 6704), Johann Zollstab (matricule 5047), Wilhelm Frangen (matricule 2012) et Michail Tereschtschenko (matricule 4646).
- ↑ Voir tout particulièrement le rapport du SS-Standorarzt Dr. Werner Rohde dans DCAJM, Procédure « Struthof camp », Annexe G, fol. 10, Kurze Zusammenstellung über die Entwicklung des Häftlingskrankenbaues im K.L. Natzweiler, sans date [été 1944].
- ↑ DCAJM, Procédure « Struthof camp », Annexe G, fol. 204, Rapport trimestriel sur le service sanitaire au KL-Natzweiler, 7 octobre 1941. Voir aussi Robert Steegmann, Struthof. Le KL-Natzweiler et ses kommandos : une nébuleuse concentrationnaire des deux côtés du Rhin (1941-1945), Strasbourg, La Nuée Bleue, 2005, p. 371-372.
- ↑ Robert Steegmann, « Natzweiler et Dachau : une histoire croisée », in Anne Bernou-Fieseler et Fabien Théofilakis (dir.), Dachau. Mémoires et histoire de la déportation. Regards franco-allemands, Paris, Tirésias, 2006, p. 146.
- ↑ Voir à ce sujet la contribution de Loïc Lutz, Gabriele Moser, Lea Münch, « Une pratique méconnue. Transporter et soigner des détenus du KL-Natzweiler dans les cliniques de la Reichsuniversität Straßburg » dans le rapport final de la commission historique Reichsuniversität Straßburg et le chapitre dans l’ouvrage collectif à paraître.