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Paul Steimlé

De Commission Historique
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Paul Steimlé
Prénom Paul
Nom Steimlé
Sexe masculin
Naissance 9 février 1912 (Rio-Blanco)
Décès 22 décembre 2004 (Mexico)
Profession du père Chimiste

These Contribution à l’étude de l’épreuve rotatoire en labyrinthologie (Université de Strasbourg, UdS, 1918-1939, 1938)
Directeur de thèse Jean-Alexandre Barré
Profession Médecin

Titre Dr. med.

Spécialités Oto-rhino-laryngologie


Paul Steimlé (1912-2004) est un médecin et chirurgien d’origine alsacienne né au Mexique. Il a effectué l’intégralité de ses études de médecine à l’université française de Strasbourg dans les années 1930 jusqu’à l’obtention de son doctorat. Travaillant comme externe, puis comme interne à l’hôpital civil de Strasbourg, il participe également à la Seconde Guerre mondiale en étant enrôlé dans le service médical de l’armée de terre française. En tant qu’Alsacien d’origine et en tant que médecin, il est rapidement libéré par les Allemands du camp de prisonniers de guerre (moins d’un mois après l’armistice) et retrouve ses activités civiles médicales.

Il est aussi l’un de ces Alsaciens et Mosellans qui parviennent à retrouver leur poste au sein de l’hôpital civil de Strasbourg désormais placé sous administration allemande dans cette Alsace annexée de facto par le IIIe Reich. Paul Steimlé poursuit ainsi sa carrière médicale et scientifique à la Reichsuniversität Strassburg, d’abord comme Volontärassistent, puis comme Pflichtassistent, comme faisant fonction d’assistant scientifique (Verwalter einer wissenschaftlichen Assistentenstelle) à la clinique chirurgicale avant d’être titularisé à ce même poste. Comme nombre d’Alsaciens et de Mosellans, il subit les mesures de rééducation imposées par les autorités allemandes à l’égard des médecins autochtones : il est notamment envoyé à l’école médicale Alt-Rehse et se retrouve en passe d’être incorporé dans la Wehrmacht.

Biographie

De l’enfance aux études de médecine

Paul Steimlé, de son nom complet Paul Friedrich Raul Steimlé, est né le 9 février 1912 à Rio Blanco, une municipalité située dans l’État de Veracruz au Mexique. Issu d’un foyer très riche et d’une famille alsacienne aux origines françaises, allemandes et suisses, Paul est baptisé dans la foi catholique, comme toute sa lignée maternelle. Steimlé passe une grande partie de son enfance au Mexique, puis la famille Steimlé retourne s’établir en Alsace via les États-Unis en 1925. Après le baccalauréat, il se destine à des études médicales et devient chirurgien.


La famille Steimlé

Une famille alsacienne aux origines multiples

Le père de Paul Steimlé, prénommé Frédéric (Friedrich « Fritz » Johann), est né le 15 décembre 1879 à Mulhouse, dans le sud de l’Alsace. À cette époque, l’Alsace faisait partie intégrante du Second Reich allemand en application du traité de Francfort de 1871 qui avait mis fin à la guerre franco-prussienne de 1870-1871. Son propre père, Jean-Frédéric Steimlé, boucher de profession (Metzger), est né le 27 janvier 1850 à Wildberg en Allemagne et est décédé le 16 juin 1927 à Sainte-Marie-aux-Mines dans le Haut-Rhin. Jean-Frédéric avait épousé Frédérique Mock, née le 7 février 1854 à Heiligenstein dans le Bas-Rhin et est morte en février 1915 à Mulhouse[1].

Frédéric Steimlé est ainsi élevé dans la foi protestante, au sein d’une famille relativement modeste. Il grandit en Alsace, bénéficie tout d’abord d’une instruction élémentaire à l’école allemande, puis quitte le système scolaire à l’âge de quatorze ans pour commencer à travailler dans l’affaire de son père. Ne s’y plaisant manifestement pas et aspirant à une carrière de chimiste, Frédéric parvient à convaincre son père de lui permettre d’entrer dans le secondaire et d’entreprendre ensuite des études supérieures. Après avoir réussi l’examen du baccalauréat en 1901 à l’âge de vingt-deux ans, Frédéric est aussitôt admis à l’institut polytechnique de Zurich en Suisse (Eidgenössische Technische Hochschule) créée une quarantaine d’années auparavant (1854). En 1906, à l’issue de cinq ans d’études de chimie, il obtient le titre d’ingénieur chimiste. Il s’inscrit ensuite à l’École Supérieure de Chimie à Mulhouse et travaille comme assistant et plus précisément comme préparateur auprès du professeur Emilio Noelting, le directeur de l’école. Il poursuit ses travaux de recherches en chimie et devient docteur ès-science et obtient le titre de docteur en chimie (Dr. phil. chem.) délivré à l’issue de la soutenance de sa thèse à l’université de Zurich. Sa thèse de doctorat est intitulée : « I- Essais sur la formation de corps indazclés à partir des o-anisidines nitratées et bromo-nitratées ; II- Sur la formation de l’indazol à partir des toluidines bromurées et des m-xylidines »[1].

Installé dans le sud de l’Alsace une fois diplômé de l’école polytechnique de Zurich, Frédéric Steimlé fait la connaissance de Mathilde Vorburger quelques temps plus tard et l’épouse le 4 novembre 1909. Née le 25 septembre 1888 à Voegtlinshoffen au sud de Colmar dans le Haut-Rhin, Mathilde est issue d’une famille de confession catholique dont les parents sont nés dans l’Alsace du Second Empire. Son père, Ludwig Vorburger, gourmet (Weinsticher) de profession, est né le 1er février 1857 dans le même village alsacien, et est décédé le 7 octobre 1921 à Bâle en Suisse. Ludwig Vorbruger s’était marié avec Mélanie Karcher, une jeune Alsacienne née le 24 octobre 1856 à Weckolsheim, au sud-est de Colmar, et décédée le 7 octobre 1898 à Voegtlinshoffen[1]. Peu de temps après s’être mariés, Frédéric et Mathilde Steimlé émigrent au Mexique, où le couple donne naissance à deux garçons, Paul et Raoul, nés respectivement le 19 février 1912 et le 7 novembre 1922[1].

Une famille riche installée au Mexique (1911-1924)

Après avoir obtenu son doctorat de chimie, Frédéric Steimlé accomplit son service militaire à Colmar, puis commence à travailler dans l’industrie privée en tant qu’ingénieur textile à la firme mulhousienne « Mer Rouge ». Il se voit proposer divers postes, notamment à Berlin et à Moscou, mais selon son fils Paul Steimlé, il aurait refusé le premier car, « comme tout bon Alsacien français, [il] ne voulait rien savoir des Allemands » et aurait également refusé le second, « sa femme craignant les grands froids russes ». Étant néanmoins tenté par la conquête d’un nouveau pays et d’un nouveau continent, il quitte son Alsace natale à destination de Veracruz au Mexique. Frédéric Steimlé et son épouse Mathilde arrivent à Rio Blanco le 11 novembre 1911, sans présager que cette petite ville était le « berceau de la révolution mexicaine », depuis l’appel, environ un an plus tôt, de Francisco Madero à une insurrection contre l’autoritarisme du général Porfirio Diaz. Dans cette région où l’industrie textile est en plein essor, Frédéric Steimlé travaille en qualité de premier chimiste et directeur technique de la société « La CIDOSA » (Compañía Industrial de Orizaba S.A.) sise à Rio Blanco. Il s’installe avec sa femme dans l’enceinte fortifiée de l’usine, et le couple Steimlé donne naissance à son fils aîné, Paul Steimlé, en février 1912[1].

Décidant de ne pas renouveler son contrat arrivé à son terme, Frédéric Steimlé effectue un cours voyage à New-York, aux États-Unis, afin d’y explorer les possibilités et les opportunités d’emploi. Dans le même temps, il envoie sa femme et son jeune fils en Alsace pour visiter la famille. Ne trouvant « rien à son goût » aux États-Unis, Frédéric Steimlé retourne au Mexique et s’engage dans la société de la capitale mexicaine, « Cia. Veylan-Jean », dans l’arrondissement de la Magdalena Contreras. À partir de 1914, et jusqu’en 1923, toute la famille Steimlé vit ainsi à Mexico, à une époque où la révolution mexicaine bat son plein. Demeurant tantôt dans un logement de l’usine, tantôt dans un domicile privé à la Place de San Jacinto, dans le quartier riche de San Angel ou à la rue de Chihuahua en pleine capitale, la famille Steimlé mène une vie de gens riches, entourée de leurs domestiques d’origine alsacienne, suisse et mexicaine. Dans ses mémoires, Paul Steimlé se souvient qu’« une fois la situation en ville devenue moins agressive, [s]es parents [ont] lou[é] un appartement à la rue du Général Prim, juste en face des bureaux du ministère de l’intérieur », avant de déménager à la rue Velasquez de Léon après que Mathilde Steimlé ait fait une fausse couche. À la fin de la Première Guerre mondiale, le père Steimlé devient gérant de la Société française de produits chimiques (Cia Francesa de Productos Quimicos), et les Steimlé s’installent dans l’une des maisons de la firme[1].

À ce moment-là, Frédéric Steimlé sollicite auprès de la chambre de commerce française du Mexique une lettre de recommandation pour pouvoir intégrer la de la Société des Alsaciens-Lorrains de New-York. La lettre, signée par Adrien Jean Rueff et Alexandre Rueff, respectivement président et secrétaire de la chambre de commerce française du Mexique, vante et loue les qualités de Steimlé ainsi que son patriotisme français. Travaillant alors comme chimiste « dans une grande filature et fabrique de tissus appartenant à l’une des principales maisons françaises » du pays, il est précisé que cette firme « n’a jamais eu qu’à se louer de ses services, tant au point de vue technique que sous le rapport de l’honorabilité et du loyalisme ». On y lit notamment que « Frédéric Steimlé, de nationalité alsacienne, a toujours donné des preuves manifestes de ses sentiments de fidélité à la France ». De plus, il apparaît également que Frédéric rejoint diverses sociétés françaises à Mexico et qu’il a « toujours souscrit à toutes les œuvres de secours aux victimes de la guerre organisées jusqu’à présent à Mexico ». En conséquence, la chambre de commerce ne peut que « le recommander sans réserve » auprès de la société new-yorkaise[1].

En 1920, le jeune Paul Steimlé et sa mère Mathilde effectuent un long voyage en France. Pendant neuf mois, ils rendent visite à des membres de leur famille, puis retournent à Mexico en janvier 1921. À ce moment-là, alors qu’il âgé de presque neuf ans, Paul Steimlé débute sa scolarité. S’il avait bénéficié jusqu’alors de l’éducation de ses parents, il se retrouve très tôt séparé de ses parents, puisqu’il entre à l’internat de l’école de San Borja, un institut franco-anglais où Frédéric Steimlé avait décidé d’inscrire son fils. Si Paul Steimlé qualifie sa première année d’école comme ayant été « très agréable », il déclare que la seconde fut à l’inverse « comme aux enfers », à tel point que Paul Steimlé « a prié [s]es parents de [l]e changer d’institut ». Par la suite, il devient pensionnaire dans une école de la ville d’Orizaba, ce qui lui permet de passer les fins de semaines chez ses parents à Santa-Rosa (Ciudad Mendoza)[1]. Le jeune Paul Steimlé grandit ainsi au cœur d’un pays et d’une ville en proie à la révolution, mais le niveau de vie aisé de la famille, lui permet néanmoins de profiter de son enfance et même de pratiquer du poney, un animal qui lui avait été offert par un ami de son père[1].

Une journée traumatisante qui précipite le départ du Mexique : le 28 janvier 1924

Le lundi 28 janvier 1924 à 7 heures du matin, à quelques jours de son douzième anniversaire, Paul Steimlé et sa famille vivent une « journée sanglante » qui est à l’origine de leur départ du Mexique. En effet, alors que Frédéric Steimlé s’apprêtait à quitter la maison de Santa Rosa et conduire son fils Paul Steimlé à l’école d’Orizaba, les troupes fédérales « Los Federales », qui venaient de vaincre les troupes révolutionnaires de Guadalupe Sanchez et de De La Huerta à Esperanza, pénètrent « avec grand fracas » dans le logement de la famille[1]. En effet, deux factions politico-militaires se disputaient le pouvoir à Santa Rosa : les Obregonistas d’une part et les Delahuertistas d’autre part[1]. Dans ses mémoires, Paul précise : « un premier groupe de cinq hommes a maltraité mon père, l’un d’eux a tiré sur lui, grâce à l’intervention de la domestique Éloisa (la balle lui frôlant le crâne), il ne fut que blessé à l’épaule gauche ». Apparemment, ce serait l’« appel de la trompette », probablement ordonné par leurs supérieurs, qui aurait précipité la fuite de ces soldats, mais quelques instants plus tard, un second groupe de soldats entrent dans le logis, dépouillent la famille et répétent aux Steimlé qu’ils allaient les « ajusilar' [ou afusilar] », c’est-à-dire les fusiller[1].

L’escalade de violence se poursuit et, après avoir que la famille Steimlé ait été rassemblée dans la cour de la maison, un soldat a frappé le père de Paul à la tempe droite, si bien qu’il se mit à « saigner de manière impressionnante ». Dans ses souvenirs, Paul Steimlé se souvient également que toute la famille, « papa, maman avec mon petit frère Raoul dans ses bras, et moi, marchions devant eux [les soldats] », jusqu’à ce que l’un d’entre eux ordonne au jeune Paul de « chercher les clés dans l’écurie ». Enhardi, l’enfant aurait alors répondu au militaire qu’« en aucun cas, [il] n’abandonnerai [s]a famille », ce qui lui vaut d’être immédiatement menacé d’exécution. C’est alors qu’un officier à cheval, le lieutenant Luna, est arrivé au domicile des Steimlé. Selon les souvenirs de Paul Steimlé, cet officier interpella les soldats qui étaient en train de les maltraiter et leur dit : « qu’allez-vous faire avec ces gens ? Ils n’ont rien à voir avec la révolution ! Laissez-les tranquilles ! ». En définitive, pour Paul Steimlé, il ne fait aucun doute que le « lieutenant Luna [leur] sauva la vie » ce jour-là[1]. À la suite de cet événement traumatisant, les Steimlé quittent précipitamment Santa Rosa et s’enfuient à Orizaba et ensuite quelques jours à Mexico. Le père retrouve brièvement du travail, mais cette journée du 28 janvier 1924 a déterminé le départ de la famille vers les États-Unis d’Amériques quelques mois plus tard, en juin 1924[1]. Ainsi, Paul effectue le début de sa scolarité au Mexique jusqu’en 1924[1], puis, après bref séjour à Ellis Island, les Steimlé s’installent sur la côte est des États-Unis le 14 juillet de la même année. Paul Steimlé y poursuit brièvement sa scolarité pendant quelques mois et fréquente plusieurs écoles d’État (Staatschule)[1]. Toutefois, ne trouvant pas de « situation attrayante », le père Steimlé décide de rapatrier sa famille en France. Débarqués au Havre le 10 avril 1925, Frédéric, Mathilde, Paul et Raoul Steimlé rejoignent ensuite l’Alsace et s’établissent à Sainte-Marie-aux-Mines dans le Haut-Rhin[1].

Le retour en Alsace (1924-1931)

De retour en Alsace avec sa femme et ses deux fils, Frédéric Steimlé travaille comme administrateur et directeur aux entreprises « Riboud » à Sainte-Marie-aux-Mines jusqu’en 1929, après avoir vécu brièvement à Mulhouse. Plus précisément un rapport de l’inspecteur principal Rebre de la Direction générale de la sûreté nationale émis le 8 juin 1945 faisant suite à une demande d’enquête émise par la Préfecture du Bas-Rhin le 10 avril, « cette famille était établie de 1911 à 1925 au Mexique où le chef [de famille] occupait une situation assez importante dans une usine de teinture et jusqu’en 1930 à S[ain]te-Marie-aux-Mines, où M. Steimlé assurait les fonctions de directeur de la teinturerie "Riboud" »[1].

Paul Steimlé reprend alors sa scolarité dans le secondaire dans système scolaire français et commence à mener « une vie studieuse de lycéen »[1]. En juin 1929, il réussit la première partie de son baccalauréat. L’année suivante, il réussit l’examen d’entrée à l’école de chimie de Mulhouse (Chemie-Schule) en 1930 et finit par valider la seconde partie baccalauréat de sciences (mathématiques) juin 1931 à l’âge de dix-huit ans[1]. Enfin, après un passage à Bâle en Suisse, la famille Steimlé s’établit à Strasbourg en 1931. Deux ans plus tard, en septembre 1933, Frédéric Steimlé, né en 1879 dans une Alsace allemande, obtient la nationalité française par naturalisation[1]. Un rapport de police de 1945 précise que jusqu’en 1939, le père Steimlé « ne s’est plus livré à aucune occupation, sa fortune assez considérable, dit-on, lui permettant de vivre de ses rentes. Depuis 1932 [sic. 1933], il est propriétaire de l’immeuble qu’il occupe et estimé avant la guerre à une valeur d’un million environ »[1]. Dans un premier temps, la famille s’installe au 16 rue du général Ducrot, jusqu’à ce que le père de famille fasse construire un nouvel immeuble au 11 rue Beethoven (Beethovenstraße 11) entre 1931 et 1933[1]. Paul Steimlé demeure au domicile familial pendant toute la durée de ses études et plus précisément jusqu’à l’âge de 32 ans, au moment où il se marie et emménage au 35, boulevard Tauler (Taulerring 35) à Strasbourg dès le 15 février 1941[1].


Les études de médecine à l’université de Strasbourg

Après avoir présenté la famille Steimlé, ses origines socio-professionnelles, ses pérégrinations au fil des années, et après avoir examiné le contexte familial, social, politique et historique dans lequel Paul Steimlé a grandi et évolué, considérons à présent le début de sa carrière médicale avec ses études de médecine à l’université française de Strasbourg.

Le cursus médical

À la suite de l’obtention de son baccalauréat en juin 1931, Paul Steimlé débute son cursus universitaire à compter du 1er novembre 1931. Comme de coutume en France, il commence par préparer le certificat d’études physiques, chimiques et naturelles (PCN) à la faculté des sciences, un diplôme instauré sous la Troisième République qui était un prérequis aux formations médicale. Le décret adopté le 31 juillet 1893 avait en effet organisé une année préparatoire aux études de médecine et le certificat PCN marquait l’entrée en première année. La formation médicale avait alors la particularité que l’obtention de ce diplôme – en plus de l’admission préalable à l’examen du baccalauréat – était obligatoire au futur médecin pour prétendre à la première inscription en médecine[1].

Une fois le certificat PCN obtenu en juin 1932[1], Paul Steimlé s’inscrit aussitôt à la faculté de médecine de l’université française de Strasbourg et y débute sa formation médicale à proprement parler dès la rentrée 1932. À cette époque, conformément à un autre décret adopté sous la Troisième République le 11 janvier 1909, la durée des études avait été allongée d’une année supplémentaire, portant désormais la durée totale du cursus à cinq ans. Il était aussi prévu que les études cumulent à la fois des enseignements théoriques, pratiques ainsi que des activités hospitalières, ces dernières étant rendues obligatoires à partir de la troisième année de la formation. Ainsi, année du PCN comprise, le cursus complet durait six ans, puis sept à la suite d’une mesure adoptée par décret le 6 mars 1934[1]. Au total, Paul a suivi sept ans d’études, entre 1931 et 1938.

La formation pratique

Comme le prévoyait la législation, parallèlement à l’enseignement théorique qu’il reçoit lors des cours magistraux et des travaux dirigés sur les bancs de l’université française, Paul Steimlé complète sa formation en étant confronté très tôt à la pratique de la médecine au sein des cliniques universitaires. Il accomplit notamment un long stage universitaire en milieu hospitalier (Famulus) entre le 1er novembre 1933 et le 1er octobre 1935. Il commence en effet par passer dix-huit mois dans les différentes cliniques médicales de la faculté de médecine, puis sert pendant cinq mois à la clinique chirurgicale A.

En octobre 1935, au terme de la troisième année de médecine, Paul Steimlé réussit le concours d’externat et devient « externe des hôpitaux » (Volontärarzt) et obtient aussitôt un poste en tant que tel à la clinique chirurgicale A pendant cinq mois supplémentaires. Ensuite, du 1er mars au 1er novembre 1936, il rejoint la clinique médicale A et cumule parallèlement avec le poste d’un Assistenzarzt faisant également « fonction d’interne » (Verwalter einer "Interne"-Stelle) entre le 11 mars et le 1er septembre. Du 1er novembre 1936 au 1er mars 1937, il poursuit sa formation et travaille brièvement comme externe à la clinique gynécologique, puis à la clinique infantile. Du 1er mars 1937 au 1er novembre 1937, Paul Steimlé est recruté en qualité d’externe à la clinique neurologique (neurologische Klinik) et cumule à nouveau pendant une courte période un poste faisant fonction d’interne (Verwalter einer Interne-Stelle). À ce moment-là, en juin 1937, Paul Steimlé réussit l’examen d’État (Staatsexamen) qu’il identifie dans les documents nazis à l’Approbation, c’est-à-dire l’autorisation d’exercice et de pratique de la médecine.

Enfin, entre 1er novembre 1937 et le 19 avril 1938, Steimlé termine sa formation médicale en qualité d’externe à la clinique oto-rhino-laryngologique, mais parvient également à poursuivre ses activités à la clinique neurologique durant la préparation de sa thèse de doctorat de médecine. En janvier 1938, il réussit le dernier examen clinique de sa formation et dépose le manuscrit de sa thèse de doctorat de médecine qu’il soutient le 12 juillet 1938, alors même qu’il est engagé dans l’armée et qu’il accomplit son service militaire. Sa thèse, réalisée sous la direction de Jean-Alexandre Barré (1880-1967), professeur de neurologie à l’université de Strasbourg depuis 1919, est intitulée : « Contribution à l’étude de l’épreuve rotatoire en labyrinthologie »[1]. À l’issue de la soutenance, le jury de thèse lui a accordé la mention « très honorable, et félicitations du Jury »[1]. Comme l’indique le doyen dans un courrier adressé au chef de la clinique chirurgicale B en 1946 pour lui notifier la nomination honorifique de Steimlé au poste de chef de clinique adjoint, il s’avère que Steimlé a « accompli toutes ses études médicales à la faculté de médecine de Strasbourg dans de très bonnes conditions ». Par ailleurs, il est aussi connu que Steimlé a « acquis une formation chirurgicale très complète »[1]. Par ailleurs, on note que Paul Steimlé est très doué dans les langues, une capacité vraisemblablement développée par ses nombreux voyages, puisque dans un curriculum vitae de décembre 1943, il précise qu’il a « passé la plus grande partie de ses vacances universitaires à voyager en Allemagne, en Autriche, en Espagne, en Italie et en Suisse, afin d’entretenir et perfectionner ses compétences linguistiques »[1].

Le service militaire et la guerre

Le 20 avril 1938, alors qu’il vient tout juste de terminer les sept ans de son cursus médical, le jeune médecin entre dans l’armée pour effectuer son service militaire, vraisemblablement comme aspirant ou sous-lieutenant. En tant que médecin, Steimlé est versé dans le corps médical de l’armée de terre. Dans un premier temps, il sert en qualité de chirurgien à l’hôpital militaire Gaujot dans le quartier de la Krutenau à Strasbourg et soutient peu de temps après sa thèse de doctorat le 12 juillet 1938. Au début de l’année 1939, le Dr. Steimlé est affecté pendant deux mois dans un autre hôpital militaire dans la capitale alsacienne. À compter du 1er avril jusqu’à la fin du mois d’août 1939, il travaille à temps partiel (halbtagstätig) à la policlinique chirurgicale B de Strasbourg .

Figure 1 : Paul Steimlé durant la guerre (lieutenant). Source: Gazette RFM.

Avec le déclenchement de la guerre au début du mois de septembre 1939, Paul reste mobilisé dans l’armée et finit par être nommé médecin-lieutenant (Oberarzt) le 21 septembre 1939 . Selon ce qu’il écrit dans ses mémoires, il avait été affecté au « front alsacien » . En juin 1940, il est fait prisonnier de guerre par les troupes de la Wehrmacht et il semble que les Allemands lui permettent de poursuivre ses activités de chirurgien durant sa détention. Entre le mois de juin et de juillet 1940, il sert notamment à l’« hôpital mixte de Schirmeck » dans la vallée de la Bruche, c’est-à-dire un hôpital à la fois civil et militaire . Dans la première quinzaine du mois de juillet 1940, Steimlé est placé en camp de prisonniers, un Oflag, situé à Haguenau dans le nord de l’Alsace. Avec l’annexion de l’Alsace et de la Moselle par le régime nazi à l’été 1940, l’une des premières mesures adoptées consistait à libérer ces soldats d’origine allemande qui avaient été enrôlés dans une armée dite « étrangère » d’un point de vue national-socialiste . Cette mesure est décidée et mise en application très tôt, si bien que Paul est libéré de son Oflag dès le 19 juillet 1940, après avoir passé moins d’un mois en détention. Dès la mi-juillet 1940, on voit un échange de lettres entre l’administration civile en Alsace (Gauleitung) et les autorités militaires prévoyant la libération des médecins alsaciens et mosellans, car il y avait un besoin « urgent » (drigend) de personnel médical pour assurer les soins de la population civile. Dans une note interne aux services de la Gauleitung, il est même précisé que les commandants des camps de prisonniers n’auraient rien à opposer une telle décision (nichts gegen eine Entlassung einzuwenden) . Par la suite, Paul s’établit temporairement à Barr dans le centre de l’Alsace, « en attendant l’ouverture de l’hôpital civil de Strasbourg » . Il n’avait en effet qu’un souhait : retrouver son poste d’avant-guerre à la clinique chirurgicale.


L’emploi à l’université nazie de Strasbourg

L’attente de Paul est brève puisque précisément un mois plus tard, dès le 19 août 1940, Paul est recruté à un poste où il fait fonction d’assistant scientifique temporaire (Verwalter einer wissenschaftlichen Assistentenstelle) à la clinique chirurgicale de Strasbourg . Ayant travaillé dans les différentes cliniques hospitalo-universitaires de Strasbourg depuis 1933, il fait ainsi partie de ceux qui ont été réhabilités par les nazis dans leur ancien poste.

La réhabilitation par les nazis : le réemploi à la clinique chirurgicale nazie

Le recrutement à la clinique chirurgicale A

Avec l’évacuation de la ville de Strasbourg en 1939 et le repli de l’université vers Clermont-Ferrand et du service hospitalier vers Clairvivre, la clinique médicale B de Strasbourg avait été fermée. Ensuite, avec l’armistice de juin 1940 et l’annexion de l’Alsace par le régime nazi, les Allemands ont prévu de rouvrir rapidement les cliniques et d’organiser le rapatriement du personnel et de la population depuis la France. Dans un premier temps, le professeur Georges Sackenreiter assure pour quelques mois la direction de la clinique . De même, dès le 19 août 1940, Paul retrouve un poste d’Assistenzarzt à l’hôpital civil et plus précisément à la clinique chirurgicale A, comme le confirme le directeur général de l’hôpital civil, Joseph Oster, dans un certificat officiel rédigé le 24 février 1944 à l’occasion d’un dossier de recrutement (cf. infra). Il écrit :

« Par la présente, je confirme que Monsieur le docteur Steimlé, Paul, né le 09.02.1912 à Rio Blanco est entré dans le service de l’hôpital civil le 19.08.1940 à la clinique chirurgicale A en qualité d’Assistenzarzt. Il a été repris par l’administration des cliniques universitaires avec effet au 1er avril 1941 » .

Il faut aussi rappeler que pour s’établir comme médecin, Paul Steimlé a dû en obtenir l’autorisation de l’administration civile en Alsace. En effet, selon un ordre de la Gauleitung édicté le 13 juillet 1940 (et publié dans la presse), tous les médecins et personnels soignants rentrés en Alsace devaient se présenter à la Gauleitung, dans le bâtiment de l’ancienne préfecture . Rappelons également que si Paul Steimlé a retrouvé son poste, c’est vraisemblablement parce que Georges Sackenreiter avait lui aussi récupéré sa fonction de chef de clinique à son retour de Clairvivre. Mais il est intéressant de remarquer que ces deux hommes, comme d’autres, ont été laissés à leur poste avec la nomination, en décembre 1940, du professeur allemand Ludwig Zukschwerdt (1902-1974) à la tête de l’ensemble de la chirurgie strasbourgeoise – comptant alors près de sept cents lits chirurgicaux. D’ailleurs, pour former son service, ce dernier s’est entouré au début de plusieurs jeunes chirurgiens alsaciens comme René Keller, Théodore Biedermann, Joseph Wilhelm, Frédéric Buck, Paul Buck, Gaston Pfister et Paul Steimlé, auxquels se sont s’adjoints par la suite des chirurgiens allemands comme Georg Rieve, Karl Langemeyer, Georg Neubauer, Siegfried Voll, Wolfgang Müller-Osten et Albert Lezius .

En réalité, il faut rappeler que le 1er avril 1941 correspond à la date à laquelle l’ensemble des établissements de l’université de Strasbourg utilisés « pour soigner de la population » avait été provisoirement administrés (vorläufig verwaltet) par l’administration civile en Alsace, c’est-à-dire par les bureaux du GauleiterWagner. En effet, une ordonnance de Wagner, émise le 31 mars et entrant en vigueur le lendemain, prévoit la gestion par le département « Éducation, enseignement et instruction du peuple » (Abteilung Erziehung, Unterricht und Volksbildung) de la Gauleitung de tous ces établissements alors réunis sous le terme générique de « cliniques hospitalo-universitaires de l’université de Strasbourg » (klinische Anstalten der Universität Strassburg) .

Selon les listes de l’effectif du personnel des cliniques universitaires de Strasbourg, disponibles dès le 1er avril 1941, on constate que Steimlé est bien affecté à la clinique chirurgicale A à un poste faisant office d’assistant scientifique temporaire (Verwalter einer wissenschaftlichen Assistentenstelle) . Grâce aux listes du personnel médical des cliniques hospitalo-universitaires de Strasbourg, conservées aux archives départementales du Bas-Rhin, il est possible de retracer plus précisément son évolution au sein des différents services rattachés à la clinique chirurgicale de la Reichsuniversität Strassburg. Ainsi, dès le 1er avril, il travaille en réalité au service d’urologie dont la direction était alors assurée provisoirement par le médecin alsacien Fritz Bilger. Il semble que Steimlé reste à ce poste durant l’été (juin et juillet) et une lacune de source nous empêche de retracer l’unité à laquelle il était rattachée jusqu’à la fin de l’année 1941 , mais il y a tout lieu de penser qu’il travaille au « service aseptique » (aseptische Abteilung) comme seul médecin faisant fonction d’assistant temporaire (Verwalter einer wissenschaftlichen Assistentenstelle) et qu’il sert aux côtés de l’assistant scientifique titulaire Theodor Biedermann, des Volontärassistenten Paul Buck et Erwin Wiest, des Pflichtassistenten Renatus Kopp et Peter Holtzmann, ainsi que du chirurgien Renatus Keller .

Les Alsaciens et Mosellans à la chirurgie strasbourgeoise

Il est intéressant de replacer Paul Steimlé dans son contexte et de voir qu’il n’est pas l’unique médecin alsacien exerçant à la Reichsuniversität Strassburg, car un grand nombre d’assistants scientifiques médicaux – qu’ils soient temporaires ou titulaires – sont des autochtones. Comme on peut le voir dans le tableau reproduit ci-dessous, reconstituant à l’identique la liste du personnel de la clinique chirurgicale (uniquement) au 1er janvier 1942, on compte précisément treize Alsaciens (62%) et deux Mosellans (9,5%) sur les vingt-et-un médecins qui composent l’effectif médical de la clinique. En cela, le nombre de médecins issus des nouvelles régions annexées est porté à près de 75% de l’ensemble. Par ailleurs, si la direction de la clinique est certes placée sous les ordres d’un professeur allemand, les Allemands du Reich (RD, Reichsdeutsche) ne représentent en revanche qu’un quart de l’effectif et ceux-ci n’occupent pas forcément les postes à responsabilités les plus élevés. Tous les chefs de service (Abteilungsoberarzt) sont en effet des médecins alsaciens .



De plus, des recherches récentes permettent de mettre en évidence qu’une majorité du personnel autochtone avait été employé dans les cliniques et instituts de la faculté de médecine. En ce même mois de janvier, on compte au moins cinquante Alsaciens (42%) et quatre Mosellans (3%) au sein de toutes les cliniques et de tous les instituts hospitalo-universitaires, ce qui signifie que plus de la moitié (45%) des postes de médecins attribués à la faculté de médecine sont revenus à des Alsaciens et des Mosellans. La majorité d’entre eux travaillent d’ailleurs en chirurgie et en médecine, où ils représentent respectivement 71% et 57% des médecins employés dans ces cliniques, mais également 26% et 32% du total des Alsaciens et Mosellans identifiés dans l’ensemble des cliniques et instituts de la Reichsuniversität Strassburg . Néanmoins, si Paul Steimlé est maintenu à son poste par les autorités allemandes de la nouvelle université, il n’échappe pas pour autant à la pratique consistant à juger politiquement le personnel ou le futur personnel de la Reichsuniversität Strassburg issu des nouvelles régions annexées.

L’examen politique

Comme pour beaucoup d’autres Alsaciens et Mosellans travaillant à la Reichsuniversität Strassburg, l’examen entrepris par les services nazis sur la personne de Steimlé n’a été réalisé qu’après son rattachement par les Allemands eux-mêmes à la clinique chirurgicale A. En effet, ce n’est que le 9 août 1941, alors que Steimlé travaille à l’hôpital civil depuis près d’un an, que le doyen de la faculté de médecine, Johannes Stein, demande un enquête politique. Le 12 août, le chef du bureau du personnel au sein de l’administration civile en Alsace charge son homologue de la Kreisleitung du NSDAP de Strasbourg de vérifier si Steimlé est effectivement apte à être « employé comme Assistenzarzt à la clinique chirurgicale A et au service d’urologie » . Quelques semaines plus tard, le 1er septembre 1941, le Dr. Ludwig Bennmann du Sicherheitsdienst (SD) rédige un rapport préliminaire à l’attention des services de la Kreisleitung du NSDAP. Il écrit :

« St[eimlé] est né au Mexique et a grandi à l’étranger. De ce fait, il a encore quelques difficultés avec la langue allemande. En revanche, tout est en ordre du point de vue caractériel, professionnel et politique » .

Le même jour, certainement sur la base des renseignements fournis par Bennmann et ses hommes du SD, les bureaux du parti nazi local en Alsace renvoient un rapport détaillé aux bureaux du Gauleiter et avalisent le recrutement de Steimlé. Le rapport précise les points suivants :

Tableau 2 : Politische Beurteilung[2]
Charakterliche Haltung Politische Einstellung Bekenntnis zum deutschen Volkstum Fachliche Eignung Bemerkungen
Ehrlich, kameradschaftlich, gebefreudig Hat sich pol[itisch] nicht betätigt, hegte aber Sympathien für Frankreich Verhält sich noch zurückhaltend; seine Umstellung vollzieht sich nur langsam Kann nicht beurteilt werden. Gegen die Verwendung als Assisten[z]arzt bestehen keine grundsätzliche Bedenken
Tableau 3 : Politische Beurteilung (traduction française)[3]
Caractère et attitude Convictions politiques Adhésion à la germanité (Volkstum) Compétences professionnelles Remarques
Honnête, esprit de camaraderie, généreux N’a jamais été actif politiquement, mais avait de la sympathie pour la France A encore une attitude réservée ; sa conversion vers la pensée nationale-socialiste s’effectue lentement Ne peuvent être évaluées Aucune réserve de principe pour son emploi comme Assistenzarzt

Ainsi, malgré un caractère jugé correct par les nazis et correspondant à certains critères, idéaux et valeurs nazis, Paul n’est pas encore considéré comme un individu nazifié et acquis à la cause nationale-socialiste. Il apparaît même que ses sentiments francophiles étaient connus des personnes interrogées par le SD lors de l’enquête de voisinage et que Steimlé n’avait pas jugé nécessaire d’adhérer ni au parti, ni à l’Opferring alsacien, ni même à une organisation associée au parti nazi. Quand bien même ces quelques éléments rédhibitoires entachent son dossier du point de vue politique, il est frappant de constater que le SD autorise, « sans réticence de principe », l’emploi de Steimlé à un poste à responsabilités au sein de la nouvelle institution modèle du Reich.

Toutefois, l’enquête n’est pas complètement terminée. Quelques semaines plus tard, d’autres rapports circulent au sujet de Steimlé, suggérant une enquête bien plus approfondie sur le passé de cet Alsacien au parcours atypique. Par exemple, le 17 novembre, le SS-Obersturmbannführer Paul Hirschberg (1901-1999), un Alsacien, SS et nazi de la première heure – alors chef d’un Einsatzkommando du SD en Alsace –, rédige un nouveau rapport sur Steimlé qui semble davantage mitigé. Il précise :

« Les sympathies de S[teimlé] étaient autrefois tournées exclusivement du côté de la France. Dans sa famille, on ne parlait que le français, ce qui est aujourd’hui de temps à autre encore le cas. À l’égard du national-socialisme, il a beaucoup de retenue et aura beaucoup de mal à déclarer partisan de la germanité. Jusque-là, il n’a pas encore rejoint de formation du parti nazi. Sur le plan du caractère, il est considéré comme un homme honnête et qui a un esprit de camaraderie. Sur ses relations familiales, rien de défavorable n’a été rapporté. Nous proposons d’envoyer d’abord S[teimlé] dans l’Altreich avant de pouvoir servir en Alsace » .

Finalement, le 25 novembre 1941, un dernier rapport, dont l’expéditeur est probablement le SD, est adressé au doyen de la faculté de médecine, qui avait initié l’enquête au courant de l’été. Celui-ci rappelle à nouveau la méfiance des autorités nazies à l’égard des autochtones qui souhaitent travailler à la Reichsuniversität Strassburg. En effet, le doyen reçoit la suggestion suivante :

« Le comportement antérieur de Steimlé oblige son affectation préalable dans l’Altreich, avant qu’il puisse être définitivement employé en Alsace. Par ailleurs, il faudra l’inciter à s’engager activement dans l’une des formations nationales-socialistes »

Malgré ces réticences de la part des autorités de la SS et plus précisément du SD, Paul Steimlé reste en poste à la Reichsuniversität Strassburg et aucune mesure n’est prise par les autorités pour chercher à le gagner à l’idéologie nationale-socialiste.

Assistant scientifique

En réalité, Paul Steimlé reste non seulement en poste, mais il obtient même une promotion de la part de son supérieur, dont il devient visiblement l’un des principaux collaborateurs et l’un des associés les plus appréciés. Pendant plus de deux ans, c’est-à-dire jusqu’à la fin du mois de novembre 1942, il occupe en effet le poste d’un médecin faisant fonction d’assistant scientifique (Verwalter einer wissenschaftlichen Assistentenstelle). Dans un premier temps, il sert en tant que tel au service d’urologie, qui dépend de la clinique chirurgicale A. S’il travaillait déjà au « service aseptique » (aseptische Abteilung) depuis le deuxième semestre de l’année 1941, on sait qu’il reste à ce poste jusqu’à la fin du mois d’avril 1942 , avant d’entrer au « service septique » (septische Abteilung) entre le 1er mai et la fin du mois de novembre 1942 . À compter du 1er décembre 1942 et au moins jusqu’au printemps 1943, Paul rejoint ensuite les rangs du personnel de la policlinique chirurgicale. Obtenant ensuite une promotion, il travaille à la policlinique comme Assistenzarzt et travaille aux côtés d’un autre Assistenzarzt, Théodore Biedermann, et du Volontärassistent Daniel Criqui . On remarque aussi que son nom apparaît dans les différents Personal- und Vorlesungsverzeichnisse établis par la Reichsuniversität Strassburg. Il figure dans la liste de la dizaines d’assistants scientifiques (titulaires ou non) affectés à la clinique chirurgicale, mais on remarque qu’il n’a pas de charge d’enseignement, contrairement à d’autres assistants, comme René Keller (chef de clinique) par exemple .

Par la suite, on observe que Steimlé et cinq autres Assistenzärzte alsaciens et mosellans sont notés « momentanément absents » (zur Zeit abwesend) sur les listes du personnel médical des cliniques hospitalo-universitaires et cela, pendant une longue période. En effet, du 1er juin au 1er octobre 1943, les Alsaciens Georg Aprill, Adalbert Dietrich, Fritz Stefan, Paul Steimlé et les Mosellans Arthur Grosse et Erwin Wiest, sont tous absents de Strasbourg. Cette période doit vraisemblablement correspondre à l’une des mesures de rééducation dont Steimlé et ses confrères alsaciens ont été frappés par les autorités nationales-socialistes (cf. infra) . Enfin, à partir du 1er novembre 1943, alors même que certains de ses confrères sont encore absents de Strasbourg (Aprill est envoyé sur le front à ce moment-là), on voit qu’Adalbert Dietrich et Paul Steimlé sont tous deux affectés au centre de traumatologie (Unfallkrankenhaus), un « hôpital des accidentés », rouvert en juin 1943 et intégré dans le grand ensemble de la Chirurgische Klinik de la Reichsuniversität Strassburg dirigée par Zukschwerdt .

À la même période, le directeur de la clinique chirurgicale de la Reichsuniversität Strassburg, le professeur Ludwig Zukschwerdt effectue une démarche visant à offrir à Paul Steimlé le poste d’assistant scientifique. Cherchant de toute évidence à s’entourer d’hommes compétents et de chirurgiens efficaces, Zukschwerdt voit certainement en Steimlé l’un des médecins idéaux pour son service. C’est pourquoi il remplit un formulaire le 22 décembre 1943, il remplit un formulaire pour titulariser Steimlé au poste d’assistant scientifique (wissenschaftlicher Assistent) avec effet rétroactif au premier jour du mois courant et ce, pour une durée indéterminée (bis auf Weiteres) . Pour constituer le dossier de recrutement officiel, Paul Steimlé doit rassembler un certain nombre de pièces justificatives et de formulaires qui composent aujourd’hui le dossier personnel de Steimlé des renseignements généraux conservé aux Archives départementales du Bas-Rhin. Le 27 décembre, il commence par se soumettre à la visite médicale obligatoire qui dévoile – outre une scoliose du rachis thoracique et lombaire et une myopie –, que Paul se trouve dans un « état de santé général moyen » (mittlerer Allgemeinzustand) et qu’en définitive, il est « apte à occuper le poste » proposé par Zukschwerdt . Sur papier libre, il certifie également sur l’honneur ne pas être endetté et remplit le formulaire par lequel il déclare n’appartenir à aucune loge ou organisation de ce genre . Enfin, Steimlé produit aussi un curriculum vitae et complète différents formulaires sur sa famille, son parcours universitaire, politique et professionnel .

Comme l’exige la procédure d’instruction, le dossier de recrutement remonte via toutes les autorités dans la chaîne décisionnelle. Le 4 janvier 1944, c’est le doyen de la faculté de médecine, Johannes Stein, qui approuve la demande . Le 21 janvier, le chef de la ligue nationale-socialiste du corps professoral de Strasbourg, le NS-Dozentenführer et professeur Ferdinand Schlemmer (1898-1973), fait de même . Trois jours plus tard, le recteur de l’université et professeur d’ophtalmologie, Karl Schmidt (1898-1980), valide le recrutement du médecin alsacien et transmet le dossier à l’administrateur en chef, le Kurator et juriste Richard Scherberger (1910-1979) qui avalise également la promotion de Steimlé . Une fois le recrutement entériné par l’université, le Kurator écrit à Steimlé le 22 février 1944, pour l’informer de sa nouvelle attribution de services (Dienstaufgaben) et que son traitement allait être recalculé en conséquence selon le salaire dû à un « planmäßiger wissenschaftlicher Assistent » . Ses activités de recherches lui permettent par exemple d’apporter son soutien à un jeune doctorant, Rudolf Stoll (1917-?), qui présente une thèse de doctorat de médecine intitulée « Syphilis et traumatologie » (Lues und Unfallheilkunde) à la Reichsuniversität Strassburg en 1944. À la fin de son manuscrit, Stoll adresse non seulement ses remerciements à son président de thèse, le professeur Ludwig Zukschwerdt, mais aussi « à Monsieur le docteur en médecine Paul Steimle, assistant scientifique à la clinique chirurgicale de Strasbourg pour son soutien précieux (wertvolle Unterstützung) lors de l’élaboration du travail, pour la relecture et les conseils, ainsi que pour la transmission des cas qu’il a, en grande partie, lui-même traités, examinés et rassemblés » . En fait, Paul Steimlé occupe donc une place importante au sein de la clinique et, à une époque où l’armée allemande a un besoin de jeunes médecins, il est même perçu comme indispensable aux yeux de ses supérieurs.

Un médecin indispensable

Vers la fin de l’année 1943, Steimlé est de toute évidence réquisitionné pour servir dans la Wehrmacht. Cela correspond à un contexte où l’armée allemande est en quête de jeunes médecins pour servir dans ses rangs et remplacer les médecins allemands et où la conscription avait été élargie aux médecins nés entre 1908 et 1913 . Il est toutefois étonnant de remarquer que l’enrôlement prévu voire prévisible de Steimlé coïncide avec la demande faite par Zukschwerdt visant à recruter définitivement son collaborateur et de le fixer à un poste d’assistant scientifique permanent que nous venons de décrire. D’un point de vue factuel, on serait tenté d’y voir la manœuvre de Zukschwerdt pour éviter à Steimlé d’être réquisitionné pour le service armé, afin que le service hospitalier ne pâtisse pas de l’absence du chirurgien. En réalité, à tous les échelons de la hiérarchie universitaire et médicale, tous s’accordent à dire que Steimlé, en passe d’être nommé assistant scientifique (donc ayant les qualités et l’ancienneté requises), est également un médecin indispensable, un chef de service dont l’université de pourrait se séparer pour le bon fonctionnement de la clinique.

Même si nous n’avons pas retrouvé de courrier ou d’ordre de mission requérant au médecin alsacien de se présenter à un bureau de recrutement pour être enrôlé dans l’armée allemande comme un « Malgré-Nous », on sait qu’elle est antérieure au mois de décembre 1943. En effet, le 8 décembre 1943, le l’administrateur en chef de l’université, le Kurator Richard Scherberger, écrit au département de l’administration et de la police (Verwaltungs- und Polizeiabteilung) au sein de l’administration civile en Alsace, c’est-à-dire aux services du Gauleiter Wagner pour demander l’ajournement de l’enrôlement dans l’armée. Il justifie sa requête en ces termes :

« Le médecin Paul Steimlé, employé à la clinique chirurgicale de notre université, dirige une Station composée d’environ cent lits. S’il était enrôlé dans l’armée, la clinique se trouverait alors dans une situation intenable, car les Assistenzärzte qui resteraient ne seraient pas en mesure de prendre en charge les patients de Steimlé. Je vous demande donc d’approuver le report d’enrôlement du susnommé » .

Une fois réceptionnée, les fonctionnaires de la Gauleitung avalisent la demande du Kurator et la transmettent à l’armée dès le 16 décembre 1943. Plus précisément, la requête est adressée au département du travail de l’entité militaire locale notamment en charge des affaires de la réserve, de la conscription ainsi que de la coordination entre la Wehrmacht et l’administration civile (Arbeitsstab des Wehrbezirkskommandos Strassburg). Il est alors précisé à l’attention des militaires :

« Je vous prie de bien vouloir dispenser de la nécessité du service armé le Stationsarzt Paul Steimlé pour les besoins de la clinique chirurgicale de la Reichsuniversität, car celui-ci a été déclaré apte au service en garnison dans sa patrie (g[arnisons]-v[erwendungsfähig] H[eimat]). Comme le Dr. Steimlé a déjà servi comme officier dans l’armée française, il est probable que dans les prochains temps, il n’y ait pas besoin de s’attendre à son appel dans le service armé » .

Le 2 février 1944, les services de la Gauleitung informent Scherberger qu’à la suite d’une décision adoptée le 25 janvier 1944, l’inspection militaire de la réserve avait autorisé que Steimlé soit dispensé du service armé (UK-gestellt) pour trois mois seulement, entre le 25 janvier et le 30 avril 1944 .

Pendant ce temps, Paul Steimlé poursuit ses activités d’assistant scientifique au cœur de la clinique chirurgicale A et grâce au professeur Zukschwerdt, Steimlé parvient une nouvelle fois à échapper à l’enrôlement dans l’armée allemande. En effet, le 12 avril 1944, alors que l’échéance de la dispense de service de Steimlé approche, Zukschwerdt demande à Scherberger (via le doyen Stein) à ce que son collaborateur puisse rester en poste à l’hôpital. À nouveau, Steimlé apparaît sous les traits d’un médecin indispensable au bon fonctionnement de la clinique, d’autant que celui-ci « dirige de manière autonome une Station composée de plus de quatre-vingts lits. Son détachement est impossible » . Très vite, les services du Kurator Scherberger font le nécessaire pour que les services du Gauleiter intercèdent en la faveur du jeune médecin. Dans un courrier rédigé le 21 avril, Scherberger explique que l’université ne peut pas « se séparer » (entbehren) de Steimlé car sa présence est nécessaire au bon fonctionnement de la clinique . Approuvant la demande fin avril, les bureaux du Gauleiter ajoutent même qu’« il n’y a pas encore de remplaçant à disposition », ce qui suggère que l’enrôlement du médecin dans l’armée n’aurait fait qu’accroître le manque criant de personnel et aurait constitué un risque pour la qualité des soins dispensés à la clinique . Plus de deux mois plus tard, le 5 juillet 1944, la commission d’inspection de l’armée prend la décision de proroger le détachement du collaborateur de Zukschwerdt jusqu’au 30 septembre 1944 inclus . Enfin, la même procédure se répète une ultime fois à l’automne 1944, ce qui montre la volonté de Zukschwerdt de ne pas être séparé de Steimlé. En effet, même si l’on n’a pas retrouvé les demandes officielles émises par Zukschwerdt, le Kurator et les services du Gauleiter, il apparaît néanmoins clairement que le 28 octobre 1944, les autorités militaires strasbourgeoises prennent la décision de dispenser Steimlé du service « jusqu’à nouvel ordre » (bis auf Weiteres) .


La rééducation (Umschulung) d’un médecin alsacien francophile

La formation dans l’« Ancien Reich »

Si Paul Steimlé est de médecin au sein des cliniques chirurgicales allemandes de manière continue depuis le mois d’août 1940, on parvient tout de même à documenter dans son parcours une longue période d’absence, correspondant vraisemblablement à l’envoi, outre-Rhin, de ce médecin alsacien. Il s’agit là d’une mesure de rééducation du personnel médical autochtone travaillant ou candidatant à un poste au sein de la Reichsuniversität Strassburg. Rappelons que, comme son père Frédéric (Fritz), Paul Steimlé était connu par les Allemands pour ses « sympathies francophiles » qu’il éprouvait avant la guerre, que sa conversion à la pensée nationale-socialiste était « lente » et qu’il était, du moins au début, assez « réticent » vis-à-vis de la germanité . Dès le mois de novembre 1941, les autorités du parti avaient certes approuvé le recrutement de Steimlé comme médecin à la Reichsuniversität, mais son comportement antérieur « obligeait [déjà] son détachement dans l’Ancien Reich pendant un certain temps, avant qu’il ne puisse être employé définitivement en Alsace » . Pourtant, il apparaît clairement que Steimlé ait pu échapper à cette mesure politique, bénéficiant sûrement du soutien de son supérieur Ludwig Zukschwerdt, mais entre le 1er juin et le 1er novembre (au minimum), Steimlé est notifié comme étant « absent » (Zur Zeit abwesend) sur les listes du personnel médical . Si les sources restent muettes sur la raison de cette absence, il est possible que Steimlé ait été « notdienstverpflichtet », une mesure de soumission obligatoire et de germanisation nationale-socialiste, correspondant peu ou prou à un service médical obligatoire dans le Reich et prévoyant le transfert du médecin alsacien dans un établissement de santé outre-Rhin.

Précisons à nouveau le contexte d’une telle mesure, trahissant la méfiance des autorités nationales-socialistes vis-à-vis des populations locales et plus particulièrement du personnel recruté dans une institution conçue et voulue comme une vitrine du Reich. Afin de mieux cerner les enjeux, revenons sur les premières démarches effectuées par les instances nazies dès les premiers mois de l’annexion de l’Alsace au Reich. Tout d’abord, s’il était admis que les Allemands étaient par principe d’accord pour que le personnel employé avant 1940 puisse être réemployé dans la nouvelle structure allemande (sous certaines conditions) – permettant ainsi une certaine continuité –, il n’en demeure pas moins vrai que les conditions en question traduisent toute la valeur idéologique et politique des mesures adoptées. Par exemple, le 14 novembre 1940, le Reichsdozentenführer Walter Schultze écrit à Max de Crinis, le Ministerialdirektor im Reichserziehungsministerium, afin régler au plus vite la question de la rémunération des médecins alsaciens. Dans son courrier, il évoque la politique prévue par le Reich : « dans les cliniques strasbourgeoises, il y a un certain nombre de bons médecins assistants qui doivent absolument se rendre au moins une fois dans le Reich pour un an ou deux ». En réalité, cette mesure est envisagée pour que les Alsaciens et les Mosellans « baignent dans la pure atmosphère nationale-socialiste » et qu’ils sentent le bien-fondé de cette politique et qu’ils « réintègrent » par là même « leur peuple, le peuple germanique » .

L’idée d’envoyer les Alsaciens et les Mosellans dans le Reich suit son cours, non sans réticences de la part de l’institution strasbourgeoise. En janvier 1941, le Hochschulreferent berlinois Scheer réprimande le Gauleiter Wagner, et le charge d’effectuer au plus vite le nécessaire afin que tous les assistants d’origine alsacienne (et par extension mosellane) pressentis à des postes au sein de l’université allemande, travaillent auparavant – pour une période transitoire (Übergangszeit) –, au sein d’une clinique universitaire allemande . Une objection à cette mesure vient notamment du recteur de l’université, Schmidt, qui répond au ministère qu’il n’est pas possible, dans l’état actuel, d’envisager de se séparer d’autant d’assistants alsaciens (alors près de cinquante) :

« Après une vérification minutieuse de la situation de l’infrastructure médicale dans le cadre de l’hôpital civil, je me permets de vous faire savoir que nous employons encore pour l’heure cinquante médecins-assistants alsaciens, pour une occupation moyenne de 1700-1800 lits. Devant un nombre aussi important de malades, il n’est pas possible d’envoyer les médecins dans le Reich, car nous n’employons presque aucun médecin-assistant allemand. Les soins médicaux de la population civile de Strasbourg deviendraient impossibles s’il fallait évacuer les médecins alsaciens rapidement. Nous n’assisterons à un échange conséquent de médecins-assistants qu’après la nomination de professeurs de médecine qui amèneront avec eux au moins un certain nombre de collaborateurs » .

Si cette remarque du recteur Schmidt témoigne de sa réticence à se séparer d’autant de médecins alsaciens à la fois – au risque que toute l’offre de soin disponible à Strasbourg en pâtisse –, elle donne également un élément de réponse concernant le caractère tardif de l’envoi de Steimlé outre-Rhin. En effet, il fallait attendre que la Reichsuniversität soit bien établie et que le personnel allemand soit nommé, ceux-ci s’entourant de leurs collaborateurs directs.

En conséquence, Paul Steimlé est contraint de se rendre outre-Rhin à partir du mois de juin 1943 jusqu’au mois de novembre 1943 (au minimum), pour travailler comme médecin aux côtés de confrères censés lui instiller l’esprit national-socialiste. Il s’agit là de l’ultime étape de l’Umschulung qui a frappé le corps médical alsacien et mosellan. S’il n’est pas certain que Steimlé ait été notdienstverpflichtet pendant les deux ans normalement requis, on sait en revanche qu’il a été envoyé en formation à la école médicale d’Alt-Rehse. Les raisons de l’envoi des Alsaciens et des Mosellans dans ce centre de formation et de rééducation sont les mêmes que l’envoi dans un établissement de santé situé dans le territoire de l’« Ancien Reich » (Altreich) évoquées ci-dessus. Jacques Héran précise d’ailleurs qu’« aux yeux des autorités hitlériennes, la rééducation (Umschulung) des Alsaciens s’imposait ». Pour cela, les nazis ont utilisé une école de cadres du corps médical allemand, la Führerschule der deutschen Ärzteschaft, qui avait été créée en 1935 et installée en pleine campagne, à Alt-Rehse, près de Neubrandenburg dans le Mecklembourg . Là encore, si nous n’avons pas pu dater précisément sa présence à Alt-Rehse, on sait toutefois que les premiers cours (Schulungskurse) dispensés par la Reichsärzteführung, auxquels ont dû participer des assistants alsaciens, ont débuté le 9 février 1941 .



Photographie 1 : Photographie de groupe des médecins alsaciens et mosellans envoyés à l’école d’Alt-Rehse, non daté[4]

Une preuve de la présence de Steimlé à Alt-Rehse nous est fournie grâce à une photographie publiée par Jacques Héran dans son livre pionnier Histoire de la médecine à Strasbourg (1997). Sur celle-ci, on reconnaît plusieurs médecins alsaciens issus à la fois des cliniques chirurgicale, pédiatrique, gynécologique ou du service de médecine interne de la clinique médicale. Ainsi, au premier rang, de gauche à droite, on voit René Mehl (pédiatre), Erwin Wiest (chirurgien), René Burgun (dermatologue), Frédéric Froehlich (chirurgien), tandis qu’au second rang, on aperçoit de gauche à droite Paul Steimlé (chirurgien), Charles Heintz, René Piffert, Auguste Lieber (tous trois internistes) et Paul Claer (gynécologue) .

L’incorporation dans l’armée allemande

Enfin, une dernière étape de la mise au pas de Paul Steimlé semble avoir été son incorporation dans l’armée allemande. Comme nous l’évoquions précédemment dans le cadre de la procédure de titularisation de Steimlé au poste d’assistant scientifique, on voit que son recrutement dans la Wehrmacht est antérieur au mois de décembre 1943. Il semble en effet que Steimlé soit de retour à Strasbourg en décembre, puisque les documents produits pour sa promotion comme assistant scientifique évoquent le fait qu’il dirige une station composée de plus de quatre-vingts lits et qu’il serait impossible pour la clinique se séparer de lui. De plus, étant donné que les autorités militaires ont à chaque fois approuvé la demande de Zukschwerdt (appuyée par tous les échelons des services de l’université) visant à détacher Steimlé du service actif, il est fort probable qu’il n’ait jamais rejoint une unité de la Wehrmacht et qu’il ait bien pu rester à son poste à la clinique chirurgicale .


Fin de la guerre

Face à l’arrivée des Alliés et l’imminence de la Libération de Strasbourg, la Reichsuniversität Strassburg est évacuée et se replie à Tübingen. Une partie du personnel médical et administratif suit, mais Paul Steimlé est de ceux qui restent sur place. En effet, selon une document établi le 26 mars 1945 par le recteur de la Reichsuniversität Strassburg, qui précise les adresses de l’ensemble du personnel, il est bien précisé que Steimlé « est resté à Strasbourg » (in Straßburg geblieben), comme nombre de ses confrères alsaciens .


Vie privée sous le nazisme

Domicilié dans l’immeuble de son père au 11 rue Beethoven à Strasbourg jusqu’à l’âge de trente-deux-ans, Paul Steimlé mène ensuite une vie de couple, puis une vie de famille dans son appartement situé au 35 boulevard Tauler. Justement, le 15 février 1941, il épouse à Strasbourg Marie-Thérèse Meyer, née le 9 juin 1913 à Strasbourg. Son père, Ludwig Théophile Meyer est quant à lui né à Sélestat le 6 mars 1874 et était ingénieur diplômé (Diplomingenieur). Le 10 juin 1903, Theopil Meyer avait épousé à Saint-Hippolyte Robertine Marie-Thérèse Magenhann, née à Saint-Hippolyte le 8 novembre 1877 et décédée le 12 septembre 1935 à Strasbourg . De l’union de Paul et Marie-Thérèse Steimlé naissent trois enfants. Une première fille naît le 19 mars 1942 à Strasbourg. Un peu plus de deux ans plus tard, le couple donne naissance à un garçon, né le 11 juin 1944 à Strasbourg. D’ailleurs, à l’occasion de cette naissance, Paul effectue une demande auprès des services de l’université pour obtenir une prime de naissance (approuvée par son supérieur Ludwig Zukschwerdt) à verser sur son compte bancaire (Postschekkonto Strassburg Nr. 16290). Enfin, on remarque qu’après l’installation au Mexique en 1946 (cf. infra), une troisième fille, voit le jour le 7 mars 1948 à Mexico .

De plus, il est intéressant de relever que Paul Steimlé n’est pas le seul à continuer d’être employé au service du régime nazi. Le rapport de la DGSN de juin 1945 précise que son père, Frédéric, a assuré de 1941 jusqu’à 1944 la « représentation de la maison allemande Eifel-Fango-Werke de Mayence qui fournissait des articles pharmaceutiques pour les hôpitaux et pharmacies de nos trois départements ». L’inspecteur Rèbre poursuit :

« Frédéric ainsi que tous les membres de sa famille font l’objet de bons renseignements à tous points de vue. Quoique né d’un père allemand, il semble s’être assimilé entièrement à l’élément saint de notre pays, car, durant l’occupation, il a constamment observé une attitude francophile. Membre à aucun titre d’une formation du parti, il eut des difficultés avec son Ortsgruppenleiter Clauss, lequel lui reprochait son hostilité envers le salut hitlérien et ses sentiments anti-allemands, ce qui lui valut d’être convoqués à deux reprises à la Kreisleitung. Il a d’autre part pu être établi qu’il utilisait assez fréquemment la langue française et espagnole avec ses enfants » .

D’ailleurs, dès le 11 janvier 1941, Frédéric Steimlé effectue une demande aux autorités allemandes afin d’obtenir le titre de « représentant en commerce indépendant » dans le domaine des produits chimiques et pharmaceutiques (selbständiger Handelsvertreter) et ainsi obtenir la Gewerbelegitimationskarte. Il adresse sa requête à l’office de l’économie et des finances (Finanz- und Wirtschaftsamt) au sein de l’administration civile en Alsace et pour appuyer sa candidature, il précise brièvement son parcours et rappelle ses fonctions de direction dans la branche textile et ses précédents travaux scientifiques au service pharmaceutique de l’université de Strasbourg. Frédéric ajoute qu’« avec la guerre, ses liquidités ont été épuisées et que ses entrées d’argent ont diminué », si bien qu’il a accepté cette activité de représentant qu’on lui a proposée. En réalité, il s’agissait de l’« import en Alsace et de la vente de préparations et de spécialités [pharmaceutiques] allemandes » . L’administration du parti national-socialiste et l’ensemble de ses ramifications locales sont alors mobilisés pour effectuer un examen politique de Frédéric Steimlé. Dès le 8 février, son Blockleiter rédige signe un rapport politique (politische Begutachtung) relativement positif, dans lequel il met en avant le fait que Steimlé est toujours « resté en dehors de la vie politique » avant l’annexion et que son attitude actuelle vis-à-vis de la germanité (Deutschtum) est « irréprochable » (einwandfrei) . Ensuite, un autre rapport signé par le même Blockleiter et contresigné par son supérieur, le Zellenleiter s’avère encore plus positif pour Frédéric Steimlé d’un point de vue nazi. Dans celui-ci, on apprend notamment que ses deux enfants seraient membres du « deutscher Studentenbund » et que son épouse est Zellenleiterin au sein du NS-Frauenschaft, la ligue nationale-socialiste des femmes. De plus, selon les informations communiquées par des témoins, il semble que Frédéric Steimlé est « un Alsacien profondément fidèle à sa patrie » (ein überzeugter heimattreuer Elsässer), mais aussi un « fin connaisseur de la question juive » (ein hervorragender Kenner der Judenfrage) .

Sa demande est ensuite instruite par les services de la Gauleitung qui initient de nouveaux politiques (Politische Beurteilung) de Frédéric Steimlé par les services locaux du NSDAP. Un premier rapport, établi le 12 février 1941, est particulièrement négatif, tant pour son passé que pour son manque de ralliement à l’Allemagne nazie. En effet, il lui est reproché d’être « connu comme un Alsacien francophile, parlant le français dans le cercle familial », mais aussi d’avoir une « attitude réservée, si ce n’est hostile vis-à-vis de l’État national-socialiste », d’autant qu’il ne s’était encore « mis à la disposition d’aucune organisation nazie » . Le 26 février 1941, le chef du personnel de la Kreisleitung écrit : « à la suite d’une discussion avec le Dr. Steimlé [Frédéric], j’ai l’impression que son comportement changera. De mon point de vue, une carte de légitimation de son activité commerciale (Gewerbelegitimationskarte) peut donc lui être accordée ». Cela étant, dans le même temps, une autre administration – certainement le service du personnel au sein de la Gauleitung dirigé par un certain Beck – publie un rapport foncièrement négatif et propose à ses supérieurs de « refuser la demande » de Frédéric . Ce n’est qu’à l’issue de plusieurs mois d’instruction du dossier, en juin 1941, que tous les doutes semblent se dissiper et que le chef du service du personnel de la Kreisleitung du NSDAP de Strasbourg, Besenfelder, estime qu’à ses yeux, « il n’y a dès lors plus aucune réticence » à lui approuver la demande de Steimlé. Besenfelder fait remarquer que Frédéric « s’est donné beaucoup de mal, ces derniers temps, pour s’adapter totalement aux conditions actuelles. Sa femme approuve la germanité ainsi que le national-socialiste et est active dans le NS-Frauenschaft » . Enfin, le 4 juillet 1941, quasiment six mois après en avoir fait la demande, Fritz Steimlé reçoit de la Gauleitung, une lettre l’informant que sa requête avait été approuvée et que l’agrément pour s’établir comme représentant commercial indépendant à Strasbourg, dans le domaine des produits pharmaceutiques et chimiques lui avait dès lors été accordé .

En résumé, il apparaît que la famille Steimlé dans son ensemble a réussi à poursuivre ses activités professionnelles sous le régime national-socialiste en Alsace annexée. Plus particulièrement, Paul Steimlé a pu être réinvesti dans son poste à la clinique chirurgicale A de la Reichsuniversität Strassburg, et même évoluer dans la hiérarchie hospitalo-universitaire. Pour autant, on ne trouve chez lui aucun signe probant qui témoignerait d’un quelconque ralliement au nazisme, et son parcours professionnel d’après-guerre atteste également l’absence de poursuite judiciaire par les autorités civiles ou le conseil national de l’ordre des médecins.


Après-guerre : « un chirurgien confirmé »

Après la guerre, Paul Steimlé fait partie de ces médecins alsaciens qui ont réussi à retrouver leur emploi à l’hôpital civil de Strasbourg. Alors qu’il avait déjà eu l’occasion de fréquenter la clinique chirurgicale A depuis au début de ses études – il y avait effectué un stage puis travaillé comme externe entre 1934 et 1936 –, Paul avait aussi travaillé à la policlinique chirurgicale B durant pendant son service militaire (avril – août 1939). Ensuite, avec l’annexion de l’Alsace par le régime nazi, il avait poursuivi sa carrière médicale dans l’institution allemande comme assistant scientifique à la chirurgie A entre le mois d’août 1940 et le mois de novembre 1944. Enfin, avec la Libération, il réussit à conserver son poste alors que l’hôpital civil redevient français et occupe un poste faisant fonction d’interne à la clinique chirurgicale B. Très vite, il quitte la France et s’établit au Mexique, où il poursuit sa carrière de chirurgien.

La réhabilitation à la clinique chirurgicale B de l’hôpital civil

En juin 1945, le chirurgien Alfred Weiss (1898-1945) revient de Clermont-Ferrand où il s’était replié en 1939 avec le déclenchement de la guerre et l’évacuation de l’université française de Strasbourg et de ses cliniques. Jean Kuntzmann reprend son poste de chef de clinique occupé en 1939, tandis que d’autres médecins alsaciens qui avaient eu un poste à Strasbourg sous la période nazie sont également réhabilités dans la nouvelle institution française. Parmi les nouveaux chefs de clinique qui officient aux côtés de quelques fidèles de l’ère clermontoise, dont Guy Thomas, Lucien Toty, Henri Delhaye ou Pierre Carlier, on trouve également les Alsaciens René Keller (quittant son poste quelques semaines plus tard pour travailler dans le privé), Frédéric Buck, Éric Hurter ainsi que Paul Steimlé. Il est intéressant de noter que la majorité d’entre eux ne restent que très peu de temps à Strasbourg et poursuivent leur carrière dans d’autres cliniques en France voire à l’international. Si Buck devient par exemple chirurgien en chef à l’hôpital de Sélestat en centre-Alsace en 1948, Paul Steimlé gagne quant à lui son Mexique natal pour terminer sa carrière médicale et scientifique (cf. infra) .

Dans ses mémoires, après avoir indiqué que son épouse avait été pour lui un soutien moral durant les années de guerre, Paul Steimlé précise aussi que celle-ci lui avait « promis de ne jamais s’opposer au retour dans [s]on pays natal, dont [il] conservai[t] un très beau souvenir » . Ainsi, depuis des années, Paul Steimlé nourrissait l’espoir de pouvoir retourner au Mexique où il avait passé une partie de son enfance, de sa naissance en 1912 jusqu’en juin 1924. Étonnamment, il semble occulter la « journée sanglante » du 28 janvier 1924 qui avait pourtant frappé toute la famille et déterminé le départ des Steimlé du Mexique vers l’Europe via les États-Unis. Mais avec la fin de la guerre, la situation est toute autre. En effet, la maison que possédaient Paul Steimlé et sa famille au boulevard Tauler à Strasbourg avait été détruite lors du bombardement de Strasbourg par les Alliés le 25 septembre 1944. N’ayant plus ni « toit pour [s]a famille » ni d’« espoir de reconstruction rapide », il décide de « tenter ses chances au Mexique » . Dans son projet, Paul Steimlé bénéficie d’un soutien de taille en la personne d’Alfred Weiss (1898-1979), le directeur de la clinique chirurgicale B, qui décide de favoriser voire de catalyser la carrière de son collaborateur avant que celui-ci ne parte. Le 17 juin 1946, Weiss adresse un courrier au doyen de la faculté de médecine dans lequel il écrit :

« Le docteur STEIMLE Paul faisant actuellement fonction d’interne à la clinique chirurgicale B va partir pour s’installer à Mexico, où il est né.

Le docteur STEIMLE est un chirurgien confirmé qui présente toutes les garanties au point de vue professionnel. Je serais heureux pour lui faciliter son installation à Mexico que la Faculté accepte de lui conférer le titre de chef de clinique adjoint.

Je vous serais donc très reconnaissant, Monsieur le doyen, de vouloir bien faire cette proposition au prochain conseil de faculté » .

Précisément, selon un extrait du procès-verbal de la séance du conseil de la faculté de médecine qui s’est tenu le 20 juillet [sic. juin] 1946 sous la présidence du doyen Forster et de messieurs les professeurs Aron, Barré, Fontaine, Gelma, Hanns, Keller, Operling, Pautrier, Redslob, Rohmer, Schwarz, Somonin et Weiss. À l’issue du vote, il s’avère que la proposition de Weiss visant à désigner « M. Steimlé Raoul en qualité de chef de clinique adjoint à la clinique chirurgicale B, est adoptée à l’unanimité » . D’ailleurs, dans une lettre écrite le 8 juillet 1946, le doyen explique :

« J'ai l'honneur de vous proposer la nomination de M. STEIMLE Frédéric Raoul Paul en qualité de chef de clinique adjoint (poste honorifique, sans traitement) à la clinique chirurgicale B de la faculté.

L'intéressé est né le 9 février 1912 à Rio-Blanco (Mexique) ; il est de nationalité française.

Il a accompli toutes ses études médicales à la faculté de médecine de Strasbourg dans le très bonnes conditions et il a soutenu sa thèse devant la dite faculté avec la mention « très honorable, et félicitations du jury » de 12 juillet 1938.

Monsieur STEIMLE est externe des hôpitaux de Strasbourg: concours d'octobre 1935, et a acquis une formation chirurgicale très complète.

La proposition est faite sur la demande de M. le Professeur Weiss (Directeur de la clinique chirurgicale B) et le conseil de la faculté l'a adopté à l'unanimité en sa séance du 20 juin 1946.

La nomination pourrait avoir effet au 1er juillet 1946 et s’étendra à la durée de l'année scolaire en cours, soit jusqu'au 30 septembre 1946 » .

Enfin, selon l’article premier d’un arrêté pris par le recteur de l’université de Strasbourg le 12 juillet 1946, Paul Steimlé, de la clinique chirurgicale B, « est nommé à partir du 1er juillet 1946 c'est jusqu’à la fin de l'année scolaire en cours (30 septembre 1946) en qualité de chef de clinique adjoint de la faculté de médecine de l’Université de Strasbourg […] – désignation à titre honorifique » .

Le retour au Mexique

Peu de temps après cette nomination officielle, Paul Steimlé quitte assez rapidement l’Alsace pour l’Amérique centrale. Laissant dans un premier temps sa famille à Strasbourg, il arrive à Mexico le 12 août 1946. Il admet que, « comme prévu, le début à Mexico fut très difficile », mais il parvient néanmoins à s’entourer d’un réseau de « médecins de grand prestige à Mexico » et bénéficie d’un « énorme appui moral » de ses amis durant la période d’installation au Mexique. Le 6 avril 1947, sa femme Marie-Thérèse, ses deux enfants Paul et Raoul, ainsi que son beau-père Théophile le rejoignent à Mexico. L’année suivante, le couple Steimlé donne naissance à un troisième enfant, prénommé Anne, née le 7 mars 1948 .

Dès son arrivée au Mexique, Paul Steimlé cherche un emploi de chirurgien à l’hôpital et disposant de lettres de noblesse et de titres conférés par l’université de Strasbourg, il trouve assez rapidement un poste au sein de plusieurs hôpitaux de la capitale mexicaine. Comme il l’écrit lui-même dans ses mémoires, « à force de lutte et de ténacité, [il] arrive à se faire une place au soleil ». Paul Steimlé obtient ainsi un poste à l’Hôpital Juarez auprès du professeur José Castro Villagrana, et un second poste à l’Hôpital General sous la direction du docteur Abraham Ayala Gonzales. Par ailleurs, il exerce dès 1946 à l’hôpital ABC de Mexico, d’abord dans les installations de la rue Mariano Escobedo dans le district de Santa Fe, puis dans l’antenne située dans l’avenue de l’observatoire (av. Obervatorio) dans les années 1960. En fait, Steimlé avait été le promoteur et le président directeur général du comité de construction du nouveau campus de l’hôpital ABC à l’avenue de l’observatoire – inauguré en décembre 1964 – et en tant que tel, il avait instauré les « premières salles de récupération dans le bloc opératoire au Mexique » .

Alors qu’il travaille à l’Hôpital ABC, Paul Steimlé développe en 1955 l’idée de créer une revue médicale spécialisée, intitulée Annales Médicos, qui est l’organe officiel de communication scientifique de l’Association médicale du centre médical ABC qui l’édite (Asociación Médica del Centro Médico ABC). Steimlé en a été le directeur de publication et membre fondateur, écrivant notamment l’éditorial du premier numéro paru en novembre 1955. En réalité, Steimlé n’a jamais eu de cesse de poursuivre ses activités de recherches et a publié ses différents travaux. Sa carrière scientifique l’amène notamment à devenir membre de plusieurs associations médicales non seulement nationales, mais également internationales. Son principal souci a toujours été, selon ses dires, « de collaborer [au] bien-être d’autrui » .


Figure 2 Paul Steimlé (date inconnue). Source: Gazetta RFM.

En parallèle à ses activités hospitalières, Steimlé sert également comme médecin auprès des ambassades et des consulats français, américain et allemand. Enfin, vraisemblablement pour ses multiples années de service, ses engagements et son parcours médical, Paul Steimlé s’est également vu décerner différentes distinctions prestigieuses. On peut citer une « médaille de reconnaissance pour le travail accompli au sein de l’association médicale du centre médical ABC » (Medalla de Reconocimiento a la Labor en la Asociación Médica ABC) et un « insigne de l’excellence médicale au Mexique » (Un Siglo de Excelencia Médica en México), tous deux remis par l’hôpital ABC. On remarque que Paul Steimlé est également récipiendaire de la « Croix au Mérite » de la République Fédérale d’Allemagne, correspondant sans aucun doute à la Bundesverdienstkreuz. De plus, il est a aussi été décoré par la République française, ayant notamment été fait chevalier dans l’ordre de la Légion d’honneur à l’occasion d’une cérémonie organisée au Mexique le 23 novembre 1973, précisément vingt-neuf ans après la libération de Strasbourg. À l’occasion de la remise de cette distinction honorifique, décernée par la République française, sa « Patrie d’esprit maternelle », des mains de l’ambassadeur Jean Béliard, Paul Steimlé explique dans ses mémoires qu’« avec l’émotion [de] cette cérémonie, [s]es pensées ont fait un bond en arrière et se sont associées au bonheur qu[’il a] éprouvé vingt-neuf ans avant en voyant ondoyer le Bleu-Blanc-Rouge sur la flèche de la Cathédrale de Strasbourg ». Enfin, Steimlé déclare être titulaire de la Croix du combattant, probablement en reconnaissance de son engagement lors de la Seconde Guerre mondiale, à laquelle il avait participé dans le corps médical entre septembre 1939 et juin 1940 .

Vie de famille et décès

Si Paul Steimlé était d’abord venu seul au Mexique en août 1946, il est rejoint par sa famille proche huit mois plus tard. Il emménage avec sa femme et ses trois enfants dans la ville de Mexico. En 1948, les parents de Paul Steimlé, Frédéric et Mathilde, décident de s’expatrier à nouveau au Mexique et rejoignent leur fils aîné Paul qui s’était établi comme chirurgien deux ans plus tôt. Malgré son âge avancé – il a alors soixante-neuf ans –, Frédéric retrouve un emploi de chimiste et occupe un poste de haut rang dans une usine de la Magdalena où il avait travaillé à la fin de la Première Guerre mondiale. Prenant sa retraite en 1951, Frédéric s’occupe toujours des activités de recherche et se passionne pour l’étude des langues. En 1959, il entreprend un dernier voyage en Europe avec son épouse, et le 27 mars 1962, il décède à Mexico dans sa quatre-vingt-troisième années, aux côtés de sa famille réunie .

Notons que le frère cadet de Paul Steimlé, prénommé Raoul Henri (Henrich sous la période nazie), est également devenu médecin de formation. Né le 7 novembre 1922 à Mexico, il réside avec ses parents pendant la guerre au 11 rue de Beethoven. Selon les importants travaux de recherche réalisés par Tania Élias, Raoul été étudiant à la Reichsuniversität Strassburg du semestre d’été 1942 au semestre d’hiver 1943-1944 . D’autres renseignements indiquent qu’il a également étudié à l’université d’Heidelberg, puis à celle de Clermont-Ferrand après la guerre. Un rapport de la DGSN de juin 1945 précise en effet que Raoul est encore « étudiant en médecine » et qu’il se trouve « actuellement à Clermont-Ferrand, où il poursuit ses études commencées à Heidelberg sous l’Occupation » .

Il semble également que Raoul ait effectué un bref passage au Mexique dans les années d’après-guerre, mais il retourne rapidement en France pour terminer ses études. Il travaille alors comme « externe des Hôpitaux de Paris », puis comme « interne des Hôpitaux de Strasbourg » et soutient en 1951 sa thèse de doctorat de médecine à l’université de Strasbourg. Réalisée sous la direction du professeur Jules Stahl (1902-1984), directeur de la clinique chirurgicale B à Strasbourg, Raoul produit une thèse intitulée « Le test à l’antiglobuline de Coombs dans les anémies hémolytiques et au cours de diverses affections. À propos de deux nouveaux cas d’anémie du type Loutit » . Par la suite, Raoul Steimlé est notamment invité, en 1966, à créer le service de neurochirurgie au centre hospitalo-universitaire de Besançon en Franche-Comté, où il est nommé professeur. Prenant sa retraite en 1992, Raoul Steimlé est aussi membre honoraire de l’Académie de Chirurgie et membre du Collège Américain des Chirurgiens . En 1995, Raoul Steimlé est nommé chevalier dans l’Ordre National du Mérite au titre de « ses quarante-six années de services civils » en qualité de professeur des universités et praticien hospitalier honoraire. En 2001, il est aussi fait chevalier dans l’Ordre de la Légion d’Honneur pour ses « 52 années de services civils et d’activités médicales » comme praticien hospitalier honoraire et professeur émérite .

Enfin, le 22 décembre 2004, dans sa quatre-vingt-douzième anniversaire, Paul Steimlé s’est éteint à Mexico dans son pays natal .


Repères

Localisations

Nationalités

  • Français

Confessions

  • Catholique

Publications

  • STEIMLE Paul, Contribution à l’étude de l’épreuve rotatoire en labyrinthologie, thèse de doctorat de médecine réalisée sous la direction du Professeur Jean-Alexandre Barré, Université de Strasbourg, n°24, 1938.

Liens à institutions

Université de Strasbourg, UdS, 1918-1939

1912-02-09T00:00:00Z
Vie privée
Naissance
2004-12-22T00:00:00Z
Vie privée
Décès
1938-01-01T00:00:00Z
Vie privée
Thèse
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Références

  • Archives départementales du Bas-Rhin (ADBR), 1558 W 101, dossier n°8220 (Paul Steimlé).
  • Archives départementales du Bas-Rhin (ADBR), 126 AL 37 (Ärzteverzeichnis der klinischen Universitäts-Anstalten Strassburg, avril 1941-novembre 1943).
  • Archives de la faculté de médecine, Cave 2, dossier personnel de Paul Steimlé.
  • Bundesarchiv (BArch), R 21/800.
  • Bundesarchiv (BArch), R 4901/13192.
  • Fiche Généafrance d’Erwin Wiest, disponible via : https://geneafrance.com/france/deces/?deces=7885214, [en ligne], consulté le 25 janvier 2021.
  • Journal officiel de la République française. Édition des lois et décrets, vol. 94, Paris, 1962, p. 12213. Voir https://books.google.fr/books?hl=fr&id=Hv4KAQAAMAAJ&dq=résultats
  • Journal officiel de la République française. Recueil des textes officiels intéressant la Santé publique et la population, fascicule hebdomadaire (du 16 au 22 avril 1964), n°14, Paris, 1964, p. 57. Voir https://books.google.fr/books?id=od-VEOraPIMC&q=wiest
  • LAUTSCH H., DORNEDDEN H. (dir.), Verzeichnis der deutschen Ärzte und Heilanstalten (vormals Reichs-Medizinal-Kalender für Deutschland, Teil II), Nachtrag 8 zum Ärzteverzeichnis 193, Leipzig, Georg Thieme Verlag, 1942.
  • Reichsuniversität Strassburg, Personal- und Vorlesungsverzeichnis. Sommer-Semester 1942, Strasbourg, Heitz & Co., 1942, p. 32.
  • BISCHOFF Georges, KLEINSCHMAGER Richard, L'Université de Strasbourg: cinq siècles d'enseignement et de recherche, Strasbourg, La Nuée bleue, 2010, p. 111.
  • BURGUN René, HERAN Jacques, « Les médecins restés à Strasbourg face à la politique hitlérienne », in Jacques Héran, Histoire de la médecine à Strasbourg, Strasbourg, La Nuée Bleue, 1997, p. 618.
  • CHATELUS Didier, Certificats d’aptitudes aux grades universitaires (1810-1905), Professions de santé (médecins, officiers de santé, chirurgiens-dentistes, pharmaciens), Répertoire numérique des articles F/17/6084 à F/17/6570, Archives nationales, dossier réalisé sous la direction d’Anne Lejeune, 1993, p. 2-3 . Disponible via : http://www.archivesnationales.culture.gouv.fr/chan/chan/pdf/sm/F17%206084-6570.pdf, [en ligne], consulté le 26 janvier 2021.
  • DELANEAU Jean, Avis présenté au nom de la commission des affaires culturelles sur le projet de loi adopté par l’Assemblée Nationale après déclaration d’urgence, portant diverses mesures d’ordre social, présenté par M. Jean Delaneau, Sénateur, Sénat, Seconde session ordinaire de 1986-1987, Annexe au procès-verbal de la séance du 18 juin 1987, n°298, p. 5-8. Disponible en ligne sur le site du Sénat via : https://www.senat.fr/rap/1986-1987/i1986_1987_0298.pdf, [en ligne], consulté le 26 janvier 2021.
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  • HERAN Jacques, Histoire de la médecine à Strasbourg, Strasbourg, La Nuée Bleue, 1997, p. 609 sqq.
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  • WECHSLER Patrick, La faculté de médecine de la "Reichsuniversität Strassburg" (1941-1945) à l’heure nationale-socialiste, thèse de doctorat de médecine, Strasbourg, Université Louis Pasteur, 1991.




  1. 1,00 1,01 1,02 1,03 1,04 1,05 1,06 1,07 1,08 1,09 1,10 1,11 1,12 1,13 1,14 1,15 1,16 1,17 1,18 1,19 1,20 1,21 1,22 1,23 1,24 1,25 1,26 1,27 1,28 1,29 et 1,30 référence.
  2. ADBR, 1558 W 101, dossier n°8220, Steimlé Paul, Politische Beurteilung, 12 août 1941..
  3. ADBR, 1558 W 101, dossier n°8220, Steimlé Paul, Politische Beurteilung, 12 août 1941..
  4. Voir René Burgun, Jacques Héran, « Les médecins restés à Strasbourg face à la politique hitlérienne », in Jacques Héran, Histoire de la médecine à Strasbourg, Strasbourg, La Nuée Bleue, 1997, p. 619. La photographie est issue de la collection personnelle de René Burgun..