Johann Jurkiewicz
Johann Jurkiewicz | |
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Prénom | Johann |
Nom | Jurkiewicz |
Sexe | masculin |
Naissance | 12 mai 1916 (Bondzin) |
Décès | 24 novembre 1942 (KL-Natzweiler) |
Originaire de Pologne, Johann Jurkiewicz (1916-1942) a subi la persécution politique par le régime national-socialiste à la suite de l’annexion du rattachement d’une partie de sa terre natale au Reich allemand. Le 1er août 1940, il est déporté au camp de concentration de Sachsenhausen, au nord de Berlin, comme détenu de droit commun (matricule 28651), puis au camp de concentration de Natzweiler en Alsace annexée le 29 juin 1941 (matricule 347). Il décède à l’infirmerie du camp principal de Natzweiler le 24 novembre 1942, d’une « insuffisance cardiaque provoquée par une tuberculose pulmonaire ».
Durant sa déportation au KL-Natzweiler, il bénéficie d’un traitement de faveur tout à fait rare dans le système concentrationnaire : à la suite d’un accident lors des travaux de construction du camp, Johann Jurkiewicz se blesse grièvement et le médecin SS du camp sollicite son évacuation vers la clinique chirurgicale universitaire de la Reichsuniversität Straßburg. Admis avec une fracture pelvienne et une fracture rénale, il est hospitalisé à Strasbourg pendant cinquante-deux jours, du 15 octobre au 5 décembre 1941, illustrant ainsi des liens pour le moins inhabituels entre le camp de concentration de Natzweiler et le monde extérieur.
Biographie
Origines et famille
Johann Jurkiewicz est né le 12 mai 1916 à Bondzin, un village situé dans l’arrondissement de Mława (dans l’actuelle voïvodie de Mazovie) en Pologne. Issu d’une famille polonaise de confession catholique, il est né de l’union d’un ouvrier prénommé Johann (décédé en 1916) et de son épouse Elisabeth, née Waffnienski . Johann Jurkiewicz grandit à Bondzin, où il fréquente brièvement, de 1923 à 1926, l’école élémentaire. Il sort ainsi du système scolaire à l’âge de dix ans et travaille ensuite comme ouvrier (Arbeiter), peut-être pour aider à subvenir aux besoins de sa famille, puisque son père est décédé l’année de sa naissance. On ne sait toutefois pas dans quel secteur il travaillait, mais on apprend qu’il est célibataire et qu’à l’âge de vingt-deux ans, en 1938, il a été soigné par un certain Dr Piotowicz à Grudziądz (Graudenz), sur la Vistule, pour un cas de gonorrhée (Tripperkrank) .
Antécédents judiciaires et déportation au KL-Sachsenhausen
En 1938, Johann Jurkiewicz est condamné à un mois de prison par le tribunal d’instance de Brodnica (en allemand Straßburg in Westpreußen) pour vol (Diebstahl). Après le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale et l’annexion rapide de la région de Mława (germanisée Mielau) à la province allemande de Prusse-Orientale, Johann Jurkiewicz vit dans un territoire désormais allemand .
Très rapidement, Johann Jurkiewicz est frappé par les persécutions infligées par les nationaux-socialistes. Le 1er août 1940, à l’âge de vingt-quatre ans, il est déporté au camp de concentration de Sachsenhausen et se retrouve enregistré comme détenu politique polonais « Sch. Pole » avec le matricule 28651 . À son arrivée, il pèse 53 kg pour 145 cm . On ne dispose que de peu d’éléments pour retracer de manière précise sa déportation à Sachsenhausen et les kommandos où il était affecté. On sait en revanche qu’il a été admis à plusieurs reprises à l’infirmerie des détenus pour différents motifs .
Moins d’un an plus tard, le 27 juin 1941, il quitte le KL-Sachsenhausen avec un convoi de vingt-neuf hommes l’acheminant au KL-Natzweiler, en Alsace annexée de fait par l’Allemagne nazie . Il arrive sur place le 29 juin 1941, étant immatriculé comme détenu politique avec le numéro d’identification 347 . Il fait donc partie des premiers déportés de Natzweiler arrivés quelques semaines seulement après la création du camp, et compte donc parmi les « bâtisseurs » qui ont participé à la construction du camp dans des conditions déplorables .
L’hospitalisation à la clinique chirurgicale de la Reichsuniversität Straßburg
Le 14 octobre 1941, alors qu’il est affecté aux travaux au camp principal, Jurkiewicz a un accident (Unfall). Il est emmené à l’infirmerie des détenus (Revier) le jour même. Le médecin-chef SS du camp, le Dr Hanns Eisele, lui diagnostique une fracture du bassin (Beckenbruch), ainsi qu’une fracture du rein (Nierenruptur) . Le lendemain, en raison de la gravité de l’état de Jurkiewicz et de ses lésions traumatologiques sévères, le Dr Eisele demande au commandant du camp l’autorisation de le transférer à l’hôpital civil de Strasbourg, dans un service spécialisé, pour qu’il puisse obtenir des soins adaptés . Recevant l’aval du commandant Hans Hüttig le jour même, le Dr Eisele rédige aussitôt l’ordonnance d’hospitalisation (Einweisungsschein) à l’attention de ses collègues de l’hôpital civil :
« Le déporté Jurkiewicz, Johann, né le 12.5.16, vous est envoyé pour un traitement hospitalier [zur stationären Behandlung], à cause d’une suspicion d’une fracture du bassin. Les frais seront assumés par nous. Le détenu est soumis au règlement en vigueur au KL-Natzweiler. Il ne doit en aucun cas recevoir de visite ; toutes les lettres envoyées et reçues doivent être examinées par le service de censure du KL-Natzweiler et doivent porter le tampon de vérification » .
Il est tout à fait intéressant de noter que Johann Jurkiewicz bénéficie de véritables soins de qualité à l’hôpital civil (Bürgerspital) de Strasbourg, qui est intégré depuis avril 1941 dans les établissements cliniques universitaires de la Reichsuniversität Straßburg. Il est plus précisément admis à la clinique chirurgicale, où les médecins commencent par vérifier par imagerie médicale (Durchleutung) l’étendue des lésions traumatiques et fracturaires. Cet examen montre une lésion aggravée au niveau de la partie inférieure lobe rénal gauche (Verschärfte Hilus Zeichnung l. U-Lappen) .
En outre, on constate que le médecin-chef SS du KL-Natzweiler entretient une relation tout à fait confraternelle avec ses confrères de la clinique, ainsi que des échanges ordinaires avec l’administration de l’hôpital. Ainsi, le 25 novembre 1941, le service administratif des établissements cliniques universitaires de Strasbourg contacte le KL-Natzweiler pour informer que les traitements dont a bénéficié le déporté Johann Jurkiewiecz à la clinique chirurgicale allaient être payants à hauteur de 5,30 RM par jour pour les six premiers jours, puis de 4,80 RM pour les suivants . Le 10 décembre 1941, le service administratif des hôpitaux universitaires de Strasbourg reprend contact avec le commandant du KL-Natzweiler en ces termes :
« Le 15 octobre 1941, le Polonais Jurckiwcz [sic. Jurkiewicz] Johann, né le 15.5.16 [sic. 12.5.16] a été envoyé depuis votre camp à la clinique chirurgicale universitaire avec une fracture du bassin. Concernant ma demande du 25 octobre [sic. novembre] 1941 au sujet de la prise en charge des coûts des soins, aucune réponse ne nous a été communiquée. Je vous prie à nouveau de bien vouloir m’indiquer rapidement quel service ou quelle caisse de santé est compétent(e) pour prendre en charge les frais de santé » .
Ce document est réceptionné le lendemain par l’administration du camp et le Dr Eisele, y répond le jour même. Il précise :
« Concernant vos courriers du 8 et du 10 décembre 1941, nous vous informons que les frais de santé pour le Polonais Jurckiewcz, Johann, ainsi que pour les patients encore traités chez vous Lütz, Goerg et Grün, Stefan, seront pris en charge par l’administration du KL-Natzweiler. En pièce-jointe, nous vous transmettons la Aufnahme-Bescheinigung pour le Polonais Jurckiewcz, Johann » .
Johann Jurkiewicz reste hospitalisé à la clinique universitaire pendant précisément cinquante-deux jours, du 15 octobre au 5 décembre 1941 . De plus, comme le notifie le chef du département politique du KL-Natzweiler, Magnus Wochner, le détenu Jurkiewicz est compté parmi un « nouvel arrivage » (Neuzugang) le 5 décembre 1941, étant alors « de retour de l’hôpital » (vom Krankenhaus zurück) . De retour au camp, Jurkiewicz a ensuite été maintenu au Revier jusqu’au 9 janvier 1942 .
Précisons en outre que l’envoi de Johann Jurkiewicz à l’hôpital de Strasbourg est confirmé par le rapport trimestriel sur la situation sanitaire au KL-Natzweiler en date du 8 janvier 1942, dans lequel le Dr Eisele précise que « le traitement de détenus à l’extérieur de l’infirmerie des déportés a été nécessaire dans trois cas. Dans chacun des trois cas, il s’agissait de blessures occasionnées à la suite d’accidents, avec de graves fractures osseuses (fractures du bassin) et dans un cas, ces blessures étaient doublées par une rupture des reins (Nierenruptur) » . Les trois déportés en question sont Stefan Grün et Georg Lütz (le 5 décembre), ainsi que Johann Jurkiewicz (le 15 octobre). Enfin, bien plus tard, le 22 juillet 1942, le médecin SS du KL-Natzweiler prend contact avec l’hôpital civil en rappelant que « malgré de multiples demandes, il me manque toujours l’extrait du dossier médical des détenus hospitalisés chez vous […]. J’ai absolument besoin de l’extrait de vos dossiers médicaux afin d’établir le diagnostic final » .
Le retour au camp : des soins à l’infirmerie au décès
Par la suite, ayant été qualifié « apte au travail » par le médecin SS, Johann Jurkiewicz reprend le travail au camp principal. Affecté au Block 2, il a été admis à six reprises à l’infirmerie des déportés entre le mois de juin et le mois de novembre 1942. Une première admission au Revier est enregistrée entre le 3 et 5 juin pour des problèmes gastriques (Magenbeschwerde). D’après son dossier médical, le médecin lui applique du chaud et lui administre du magnésium (magnesia usta). Au bout du troisième jour d’hospitalisation, malgré une faible perte de poids (passant à 52 kg), le médecin note : « le patient récupère, il quitte l’infirmerie à sa propre demande » .
Quelques jours plus tard, Johann est à nouveau hospitalisé, du 11 au 16 juin. En guise de motif d’admission – le motif restant le même pour les suivantes hospitalisations au Revier –, le médecin inscrit : « faiblesse corporelle » (Körperschwäche). Après quelques jours de repos à l’infirmerie, le médecin le déclare à nouveau « apte au travail » (arbeitsfähig) . Par la suite, son état de faiblesse générale se double d’autres pathologies, comme lors de son admission au Revier du 21 au 24 août, où il reçoit un traitement pour une bronchite (Bronchitis). Du 24 au 25 septembre, il est à nouveau admis pour faiblesse corporelle généralisée. Le 10 octobre, il est admis pour une semaine à l’infirmerie pour des douleurs dorsales .
Enfin, après avoir contracté une tuberculose pulmonaire, Jurkiewicz est admis une dernière fois à l’infirmerie des déportés à compter du 26 octobre . Il se plaint notamment d’un sentiment de faiblesse générale (allgemeines Schwächegefühl) accompagné de douleurs dans le dos. Le médecin établit un diagnostic de tuberculose pulmonaire qui est confirmé le lendemain par des analyses approfondies. Une analyse du crachat (Sputumuntersuchung), réalisée le 2 novembre 1942, a en effet démontré la présence de nombreux bacilles tuberculeux. Souffrant par ailleurs de diarrhées, le médecin lui administre en outre un traitement à base de charbon. À partir du 2 novembre, il reçoit régulièrement un produit antitussif (Hustensaft), ainsi que du charbon et du Tannalbin pour ses diarrhées . En dépit du traitement imposant un strict repos, des fortifiants de toutes sortes et des stimulants cardiaques, l’état de santé de Jurkiewicz continue de se dégrader. La perte de forces (Kräfteverfall) s’amorce progressivement – avec de la bradycardie et une chute de la température – et finit par provoquer, dans les premières heures du 24 novembre 1942, l’arrêt de l’activité cardiaque . Il avait vingt-six ans.
À 8h35, après vingt-quatre jours d’hospitalisation au Revier, le Dr Max Blancke constate le décès de Johann Jurkiewicz et en attribue la cause à une « insuffisance cardiaque provoquée par une tuberculose pulmonaire » (Cardiale Insuffizienz bei Lungentuberkulose) . Il effectue la levée du corps (Leichenschau), c’est-à-dire l’examen du cadavre, à 9h05 , puis rédige les différents rapports à l’attention de l’état-major du KL-Natzweiler, ainsi qu’au service de l’état civil, afin d’enregistrer officiellement le décès dans les registres . Le corps de Johann Jurkiewicz est incinéré au crématorium municipal de Strasbourg-Robertsau le 1er décembre 1942 .
D’autres détenus du KL-Natzweiler transférés à la clinique chirurgicale de Strasbourg
L’hospitalisation de Johann Jurkiewicz à la clinique chirurgicale de la Reichsuniversität Straßburg ne représente pas un cas isolé. De récentes recherches ont révélé qu’entre l’été 1941 et le printemps 1942, au moins six détenus du KL-Natzweiler ont été transférés à la clinique chirurgicale et quelque douze autres à la clinique ophtalmologique à partir du printemps 1943 . En ce qui concerne les hospitalisations en Chirurgie, on remarque qu’il s’agit à chaque fois de patients grièvement blessés ou atteints de pathologies graves et dont l’état de santé nécessite une prise en charge hospitalière – en l’occurrence ici chirurgicale – immédiate. En fait, il semble que ces hospitalisations aient été jugées « nécessaires » (notwendig) par le médecin SS, car le camp n’était, à ce moment-là, pas pleinement équipé pour dispenser de tels soins médico-chirurgicaux. Effectivement, à la lumière des rapports officiels des médecins SS du KL-Natzweiler, on s’aperçoit que durant la phase de construction du camp, les installations sanitaires et médicales y étaient quasi-inexistantes.
Au départ, la « baraque de fortune » (Notbaracke) […] qui servait d’infirmerie des déportés » et qui avait été « rapidement construite » avec cinq, puis dix lits, « répond[ait] à peine aux exigences que l’on peut attendre d’un service d’urgence primitif » . C’est justement ce que confirme l’historien Robert Steegmann, qui rappelle que les malades du KL-Natzweiler étaient essentiellement transportés au KL-Dachau jusqu’à la fin de l’année 1942, car il n’y avait pas, au KL-Natzweiler, de véritable Revier sur place durant les premiers mois de la construction du camp . Dans tous les cas, il s’agit d’une pratique qui, si elle a été observée dans d’autres camps de concentration nazis, reste rare et tout à fait exceptionnelle .
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