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August Theodor Gunsett

De Commission Historique
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August Theodor Gunsett
Prénom August Theodor
Nom Gunsett
Sexe masculin
Naissance 19 novembre 1876 (Strasbourg)
Décès 5 mai 1970 (Strasbourg)
Profession du père Commerçant

These Über Myombildung bei doppeltem Uterus im Anschluss an drei neue Fälle (Kaiser-Wilhelm-Universität Straβburg, 1900)
Profession Arzt

Titre Dr. med.

Spécialités Radiologie, Radiothérapie


Biographie

Auguste Théodore Gunsett est né le 19 novembre 1876 à Strasbourg. Son père Jacques est commerçant ; il épouse Lydie Ennes. La famille est de confession protestante. Le 28 avril 1909, Auguste épouse à Paris Marguerite Wohlhüter, née le 17 mai 1889 et de nationalité française. Le couple a deux fils : Jean, né le 15 mars 1917 à Zurich, qui épouse en juillet 1940 Christiane Gerhard, et Charles Claude, né le 7 décembre 1921 à Strasbourg.

Auguste grandit à Strasbourg dans une famille alsacienne francophone. Il est scolarisé au Gymnase Jean Sturm. À partir de 1894, il fait des études de médecine à la Kaiser-Wilhelms-Universität (KWU, 1872-1918). En 1899/1900, il conclut son cursus médical par la soutenance de sa thèse de doctorat de médecine intitulée « Utérus double fibromateux » (Über Myombildung bei doppeltem Uterus im Anschluss an drei neue Fälle). Puis il devient assistant en gynécologie à la faculté de médecine de la KWU :

« On m’offrit alors [à la fin de mes études] une place d’assistant à la clinique gynécologique de la faculté de médecine dirigée à l’époque par l’éminent professeur Freund, le vieux, célèbre opérateur. À cette époque, la clinique gynécologique était obligée de s’occuper des accouchements difficiles en ville. »

Les conditions de travail difficiles découragent Auguste Gunsett :

« Nous étions souvent ainsi appelés par les sages-femmes en difficulté et cela jour et nuit. Le service était très dur car nous étions appelés souvent une ou deux fois par nuit et le professeur exigeait qu’on soit dès 8 heures du matin à la salle d’opération pour assister à ses opérations. »

Son état de santé se dégradant, il renonce finalement à ce poste d’assistant et fait un séjour de convalescence au sanatorium à Aubure. C’est la première mention de sa longue maladie pulmonaire tuberculeuse. À son retour de cure, Gunsett se dirige vers la dermatologie. Pendant trois ans, de 1900 à 1903, il occupe un poste d’assistant à la clinique pour la syphilis et les maladies de la peau (Syphilis und Hautkrankheiten) dirigée par le professeur Alfred Wolff. En 1904, il s’installe en ville en tant que dermatologue. Vers 1905, il étudie l’électricité médicale et les méthodes de physiothérapie appliquées à la dermatologie. À cette époque, il rencontre à Paris le futur instigateur des centres régionaux anticancéreux en France, Jean-Alban Bergonié. Cette rencontre est un double tournant dans la carrière de Gunsett, vers la radiologie et la radiothérapie d’une part, vers la France et la médecine française d’autre part. Il le déclare rétrospectivement dans un article de 1925 :

« C’est lui [Bergonié] qui me persuada de m’engager dans la voie des agents physiques et me communiqua son enthousiasme pour l’électricité médicale qui lui devait déjà tant, et pour les rayons X qui n’en étaient alors qu’à leurs débuts, mais dont il entrevoyait déjà l’immense importance future. »

En 1908, toujours installé en ville, il prend la qualification de médecin radiologue. Rien d’étonnant à cela puisque les deux spécialités médicales auxquelles Gunsett est formé sont les premières à utiliser la roentgenthérapie et la curiethérapie. En effet, les organes soignés en gynécologie et en dermatologie étant à la surface du corps humain, ils sont facilement accessibles aux rayons X et . [Pour plus de simplicité, dans la suite de l’article, nous utiliserons le terme radiothérapie (Strahlentherapie) pour nous référer à la fois à la roentgenthérapie (avec rayons X) et à la curiethérapie (rayons ).] Il se forme auprès de médecins français tels que Bergonié à Bordeaux, Belot à Paris, Regaud à l’Institut du radium de Paris et Roussy à Villejuif. Gunsett introduit leurs techniques à Strasbourg et collabore à Kiel avec Hans Meyer (1877-1964). C’est à cette époque qu’il épouse Marguerite Wohlhüter à Paris.

Précisons un peu le contexte. Après la découverte des rayons X en 1895 par Wilhelm Röntgen et la mise en évidence des rayons uraniques par Becquerel en 1896, Marie et Pierre Curie ont découvert, en 1898, deux nouveaux éléments dotés de propriétés rayonnantes spontanées, le polonium et le radium. La description des premières brûlures vives par le radium par Pierre Curie et Henri Becquerel à l’Académie des sciences en 1901 et leur analogie avec les brûlures provoquées par les rayons X, conduisent le médecin français Danlos à essayer le radium en thérapeutique dermatologique. Il publie ses résultats en 1903-1904 avec Pierre Curie qui lui avait prêté le radium. En juillet 1906, ouvre à Paris la première structure spécialement consacrée à l’étude des applications médicales et biologiques du radium : le laboratoire biologique du radium. En 1913, l’Université de Paris et l’Institut Pasteur ouvrent conjointement un laboratoire consacré au radium, l’Institut du radium, dont le laboratoire traitant des applications biologiques et médicales des radioéléments est dirigé par Claudius Regaud.

À Strasbourg, l’hôpital civil construit entre 1910 et 1914 un bâtiment pour le service central de radiologie principalement dédié au radiodiagnostic mais également à la roentgenthérapie. Ce nouveau service de pointe ouvre en 1913 et la direction de l’hôpital charge Auguste Gunsett d’en assurer la direction. En 1914, la faculté de médecine de la KWU propose un poste de chef de clinique (Oberarzt) pour le service de roentgenthérapie au sein de la clinique gynécologique sans faire appel à Gunsett. C’est Albert Hamm qui occupe ce poste pendant la guerre de 1914 à 1918.

Selon le récit de Gunsett, dans les années 1910, « personne ne parlait de radium » et la curiethérapie était inconnue des médecins (allemands) strasbourgeois. Le radium est introduit à l'hôpital de Strasbourg sur une initiative personnelle du docteur Gunsett au titre de sa fonction de directeur du service central de radiologie. Il s'adresse aux gynécologues de la faculté de médecine de la KWU et réussit à fonder avec eux une association « destinée à l'achat d'une quantité de radium suffisante pour le traitement de certains cancers de l'utérus et de la peau ». Composée de médecins, l’association est constituée le 18 décembre 1913 dans le but de rendre accessible cette innovation thérapeutique mais sans le soutien financier de l’administration des hospices civils. À la veille de la Première Guerre mondiale, dans un Strasbourg allemand, Gunsett aurait pu se procurer du radium à l'usine de Sankt-Joachimsthal, installée en 1903 par le gouvernement autrichien sur le seul gisement connu de pechblende (un minerai riche en uranium) de l’aire culturelle germanique. Or en 1913, il préfère acheter ses premières quantités de radium à Paris, à l’Affaire de la vente de métaux rares d’Armet-de-Lisle. Il le fait vérifier par Marie Curie à l'Institut du Radium. Selon son propre récit, accompagné de son collègue Hans Meyer de Kiel, Gunsett se rend chez Armet-de-Lisle et ramène le radium dans sa poche. À partir de ce moment, il fait fonctionner « un service privé de curiethérapie complètement indépendamment de la faculté de médecine et des hospices civils. »

Lorsque la Première Guerre mondiale est déclarée, Auguste Gunsett n’est pas mobilisé. Il accomplit seulement un stage de six semaines dans un hôpital militaire allemand à Saverne en 1915. En 1916, prétextant une affection pulmonaire (en partie réelle et ancienne), il se soustrait au service militaire allemand et se réfugie en Suisse. Il y dirige un sanatorium et passe des examens médicaux cantonaux pour pouvoir exercer la médecine en Suisse. En effet, du fait de sa désertion, il envisage, en cas de victoire allemande, de s’installer en Suisse. Les évènements militaires prennent une autre tournure et après l’Armistice, il rentre en Alsace. En 1919 l’administration des hospices civils le charge de la direction du service de radiologie et de physiothérapie de l’hôpital de Strasbourg. En même temps (1919), il devient Français par réintégration (Alsaciens nés allemands qui restent sur place après 1918). En novembre 1919, le doyen de la nouvelle faculté de médecine française, Georges Weiss (1859-1931), lui propose un poste de chargé de cours de radiologie. La situation matérielle du service central de radiologie de l’après-guerre est difficile. De nombreux pièces d’appareils de radiologie sont prélevées pour faire fonctionner d’autres appareils, la centrale des machines fournissant l'énergie électrique fonctionne mal et il est difficile de se procurer des pièces détachées pour réparer des appareils de construction allemande. Selon le récit rétrospectif de Gunsett, la situation matérielle du service central de radiologie est tellement mauvaise que pendant toute l'année 1920, il assure le radiodiagnostic avec un appareil qui lui appartient personnellement. Il reprend à son compte le radium qu’il avait acheté avec l’association des médecins universitaires allemands et l’utilise pour faire fonctionner son service privé pendant plusieurs années. A la suite de la réorganisation des hospices civils ainsi que de leurs finances par le nouveau directeur adjoint de l’administration nommé en 1920, Joseph Oster (1892-1957), la situation de l'équipement du service central de radiologie commence à s’améliorer à partir de 1921. En effet, au début de l'année 1923, la commission administrative des hospices civils décide l'achat d'une nouvelle quantité de radium. Le 31 mai 1922, le ministre de l’Hygiène et de la Prévoyance sociale nomme une commission dont la tâche est de coordonner les travaux relatifs à l'étiologie, à la pathologie, à l'étude clinique, à la thérapeutique et à la prophylaxie du cancer (Commission du cancer). Cette commission propose également d’équiper Strasbourg d’un Centre régional de lutte anticancéreuse créé par l’arrêté ministériel du 19 novembre 1923. Depuis longtemps membre de l’association française pour l’étude du cancer, Gunsett est nommé directeur du centre régional anticancéreux Paul Strauss en 1924. À la fin des années 1920, il conçoit un certain nombre d’appareils de curiethérapie pour le centre Paul Strauss. Parmi ces innovations se trouve un appareil de télécuriethérapie gynécologique et un appareil de télécuriethérapie ordinaire.

Pendant l’entre-deux-guerres, Gunsett revendique un attachement profond à la France. En 1925, il déclare sans ambiguïté que Bergonié est « heureux de trouver en moi un Strasbourgeois attaché à la France.». Dans le même article, il fait preuve d’un certain anti-germanisme en affirmant, à propos d’un congrès à Berlin où Bergonié s’est rendu en 1911 : « Il partit d’ailleurs navré de ce congrès où perçait déjà, malgré une réception des plus correctes, le nationalisme de plus en plus exalté de l’Allemagne. » Il y a très peu de traces de relations entre le centre Paul Strauss et l'Allemagne dans l’entre-deux-guerres. Sous les rubriques « Publications du centre » et « Archives du centre anticancéreux » dans le Strasbourg médical, seul deux articles sont publiés dans des revues allemandes. Entre 1923 et 1939, Gunsett publie une quarantaine d’articles liés à ses recherches thérapeutiques dans les revues Strasbourg médical et Journal de radiologie et d'électrologie. Ses travaux suivent les grandes lignes établies par le Centre anticancéreux de Villejuif et l’Institut du radium de Paris et il reste chargé de cours à la faculté de médecine jusqu’en 1940. Après la création du centre, son activité d’enseignement se développe, notamment avec les cours de perfectionnement sur le cancer qu’il organise tous les deux ans et les conférences qu’il donne devant ses confrères non-spécialistes. Le personnel du centre est réduit ; il n’a que deux assistants : Spack et Sichel. Depuis la fin des années 1920, la Commission générale de propagande de l’office national d’hygiène sociale et la Ligue française contre le cancer organisent chaque année la semaine de défense contre le cancer. En tant que directeur du centre Paul Strauss, Auguste Gunsett participe à cette information, par exemple avec une causerie faite au micro de Radio-Strasbourg, le 29 juin 1932. En 1935, le Centre Paul Strauss traite plus de 1 000 malades par an. Une nouvelle construction du centre est terminée en 1935 et inaugurée par le président de la République, Albert Lebrun, le 18 octobre 1936 [Image].

Dans l’entre-deux-guerres, le Centre Paul Strauss s’équipe progressivement, grâce à des achats de nouvelles quantités de radium réparties en aiguilles et en tubes de platine. [Image] Ils sont financés à la fois par la commission administrative des hospices civils, le département du Bas-Rhin, l’État par le biais du Paris-mutuel et les assurances sociales héritées de l'empire allemand à la fin du XIXe siècle dans les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle. En 1931, le centre anticancéreux possède 2 g de radium-élément d'une valeur de 3 millions de francs. Pour les curiethérapies à distance (télécuriethérapie), le centre emprunte 6 g de radium à la société Belge Union Minière du Haut Katanga ainsi que 2 g pour des études spéciales. Avec ses 10 g de radium, le centre Paul Strauss est en 1936 l’un des mieux dotés d’Europe pour ce qui concerne ce métal précieux.

À la veille de la Seconde Guerre mondiale, Auguste Gunsett a 63 ans. Éduqué et formé en Alsace allemande, il est devenu français par réintégration et a pris des positions clairement francophiles dans l’entre-deux-guerres. Il possède une fortune personnelle remarquable étant notamment propriétaire d’immeubles à Strasbourg. Son frère est le directeur des sucreries d’Erstein. Il est membre du parti clérical anti-autonomiste régional alsacien (APNA) sans y déployer une activité notable. À Strasbourg, cela fait 30 ans qu’il porte et marque de son empreinte l’organisation de la lutte contre le cancer qui est devenue une cause nationale en France à partir de 1922. Ses principes d’organisation mélangent souvent initiative privée et action publique, et son engagement professionnel témoigne de ses capacités tant de médecin que d’ingénieur d’appareils de radiothérapie. Il est promu devenu officier de la Légion d’honneur pour son engagement médico-administratif. Son poste de directeur du service central de radiologie et son implication dans les soins aux cancéreux font qu’il jouit d’une grande visibilité publique dans le champ de la lutte contre le cancer en Alsace. Par ailleurs, il est prolifique en matière de publications scientifiques si bien qu’il ne rédige pas moins d’une quarantaine d’articles médicaux, publiés notamment dans Strasbourg médical. Il signe également tous les documents relatifs à l’activité du centre et à ses développements. Le nom de Gunsett apparaît dans tous les événements majeurs de la vie du centre et de Strasbourg. Comme le résume une note des renseignements généraux de 1950, il est « très connu dans la capitale alsacienne pour ses sentiments francophiles et, à l’époque, son loyalisme à l’égard de son pays et des institutions républicaines ».

En 1939, Strasbourg est évacué. L’hôpital de Strasbourg se retrouve au Hohwald puis à Clairvivre près de Périgueux en Dordogne. Gunsett est toujours directeur du centre anticancéreux Paul Strauss. Dans un premier temps, celui-ci est un centre de fortune. Le 27 septembre 1939, le ministre de la Santé Publique lui écrit :

« Vous pouvez demander au préfet de la Dordogne d’imputer sur les crédits des réfugiés la somme nécessaire à la construction d’un puits et d’une baraque en brique destinés au fonctionnement de votre Centre Régional contre le Cancer. »

Dans un questionnaire des autorités allemandes Gunsett déclarera concernant cette époque :

« Je dus démonter et transporter là-bas [Clairvivre] tout mon matériel de rayons X et de radium et ceci avec les plus grandes difficultés. Je fis remonter là-bas [Clairvivre] toujours avec les plus grandes difficultés tout ce matériel, ce qui me permis de soigner les évacués dans des circonstances extrêmement difficiles ».

Le centre anticancéreux fonctionne à Clairvivre sous la direction de Gunsett jusqu’au mois d’août 1940. Dès le 3 juin 1940, alors qu’il se trouve encore à Clairvivre et à sa demande, Gunsett se voit confier, « […] à titre bénévole, la mission d’organiser dans les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle, parmi les populations non évacuées, le dépistage et le triage des malades susceptibles d’être efficacement traités ». C’est la première mention, précoce, de son souhait de retourner en Alsace. Trois semaines plus tard, la France signe l’armistice de Compiègne (22 juin 1940) et l’Alsace annexée de fait passe désormais sous la Zivilverwaltung de Robert Wagner. De son côté, l’ancien directeur de l’hôpital civil, Joseph Oster, qui avait été arrêté par la police française pour ses liens avec Roos est libéré par la Wehrmacht. Signataire du manifeste des Trois épis, demandant le rattachement de l’Alsace au Reich (18 juillet 1940) et attaché aux idées nationales-socialistes, Oster est rétablit dans ses fonctions de directeur de l’hôpital civil désormais sous administration allemande fin août 1940. Le Gauleiter Wagner, Chef der Zivilverwaltung im Elsaß (CdZ), le charge de diriger et de superviser le retour des équipements de l’hôpital civil de Clairvivre à Strasbourg.

La biographie d’Auguste Gunsett entre ici directement en résonance avec l’histoire de la demande de retour (Zurückführung) en Alsace des bibliothèques, des équipements et du matériel de l’université de Strasbourg repliés à Clermont-Ferrand. Pour la faculté de médecine, cette demande est d’autant plus complexe que la distinction de ce qui relève des soins (et donc de l’hôpital) et de ce qui relève de l’enseignement et de la recherche (donc de l’université) n’est pas toujours aisée. Le 10 juillet 1940, le CdZ Wagner nomme le directeur de la bibliothèque de Colmar, Franz-Albert Schmitt-Claden, chargé des bibliothèques scientifiques en Alsace (Beauftragter für das gesammte wissenschaftliche Bibliothekswesen im Elsass) avec comme mission principale le retour à Strasbourg de la bibliothèque universitaire et régionale (Universitäts- und Landesbibliothek). Le 23 août 1940, le CdZ Wagner fait la première demande officielle de retour de cette bibliothèque auprès du gouvernement de Vichy. Le gouvernement français refuse de donner suite, étant donné que la Zivilverwaltung d’un territoire annexé de fait n’a pas d’existence selon le droit international. Wagner se tourne alors vers le commandement militaire de Paris qui exerce des pressions sur le gouvernement de Vichy et l’université et menace d’engager des représailles et de saisir des livres et des biens dans les universités de la zone occupée. Le 22 octobre 1940, le gouvernement de Vichy cède sur le principe du renvoi des livres et du matériel alors que le ministre de l’Éducation et de la Culture du pays de Bade, Schmitthenner, nomme Herbert Kraft, national-socialiste de la première heure, chargé de mission pour les retours (Beauftragter für die Rückführung). L’administrateur en chef (Kurator) de la Reichsuniversität Straβburg (RUS) nomme l’enseignant (Dozent) en histoire de l’art et membre du NSD-Studentenbund Hans Fegers chargé de mission pour le retour des livres et du matériel de l’université de Strasbourg en mars 1941. Ce dernier remplacera Kraft par la suite. Muni d’un certificat du commandement militaire, Kraft rencontre le ministre de l’Éducation Georges Rippert et le recteur de l’université de Strasbourg à Clermont Terracher à Vichy. L’université de Strasbourg et le recteur refusent toujours de rendre livres et matériel scientifique. De ce fait, Kraft menace de saisine des bibliothèques de Paris et de Nancy face à cette attitude réfractaire. Un accord écrit rédigé sous la contrainte le 16 novembre, suivi d’un document officiel du gouvernement de Vichy demandant à l’Allemagne d’organiser le retour en Alsace des livres de la BNU, servent alors à faire semblant de respecter le droit international. Le renvoi en Alsace des livres des bibliothèques s’échelonne entre le 12 février et avril 1941. Une nouvelle altercation entre Kraft et le doyen de la faculté des sciences Danjon au sujet du retour des équipements de l’université se termine de manière similaire par un accord ministériel du 12 décembre 1940 et une demande française rédigée sous la contrainte d’organiser le retour du matériel en Alsace.

Par contraste avec la situation de l’université, le retour en Alsace de l’hôpital civil est plus rapide et plus précoce. Le rapatriement de la population générale commence avec un premier train le 6 août 1940. Lors du conseil de la faculté de médecine repliée du 17 août 1940, le professeur Léon Ambard constate que le retour des Hospices à Strasbourg est désormais décidé et le professeur Pautrier évoque la question du transfert du radium à Strasbourg. Le procès-verbal de la réunion note à cet effet que « cette question sera examinée lors de la prochaine réunion du Conseil d’administration du Centre anticancéreux ». Le retour de l’hôpital civil de Strasbourg se concrétise entre le 1er septembre et le 21 octobre 1940, c’est-à-dire six mois avant le matériel universitaire. La création à Clairvivre de l’hôpital des réfugiés de la Dordogne, branche de l’hôpital civil administrée par Marc Lucius qui refuse de retourner en Alsace, est actée le 25 septembre 1940.

Une note de l’inspecteur principal de police judiciaire Frey datée du 25 juillet 1945, dans le cadre de l’instruction de la Cour de justice de Strasbourg, établit au sujet du rapatriement du radium par Gunsett qu’au mois d’août 1940, le commissaire de la ville de Strasbourg (Stadtkommissar) Ernst et le directeur de l’hôpital Joseph Oster ordonnent à l’hôpital civil de rentrer dans sa « résidence » avec le personnel, les services et le matériel. Cet ordre est transmis à Auguste Gunsett et :

« comme il correspondait à ses sentiments intimes et que presque la totalité du personnel voulait revenir en Alsace, il a fait le nécessaire auprès de la commission d’administration des hospices civils de Strasbourg à Clairvivre pour que ses services soient rapatriés.

À noter que depuis la défaite française, le docteur Gunsett qui était jusque-là considéré par ses collègues comme un excellent patriote, s’était éloigné de leur milieu, évitant de les voir et de leur parler et on disait alors à Clairvivre qu’il était acquis aux idées nationales-socialistes. »

Comme dans le cas de la bibliothèque et du matériel universitaire, la demande de retour en Alsace de l’hôpital, du centre anticancéreux et de son équipement, radium inclus, est rapidement accompagnée de menaces allemandes « de s’emparer de la même quantité de radium à l’Institut Curie de Paris, si l’Administration des Hospices Civils ne cédait pas aux exigences [allemandes] de rapatrier le radium à Strasbourg ». Contrairement aux affaires universitaires, les renseignements concernant le radium sont rapides et précis. Joseph Oster, chargé de mission par le CdZ Wagner pour le retour des équipements de l’hôpital civil, et Auguste Gunsett se connaissent bien puisque le premier a soutenu l’équipement et le développement du service de radiologie du second depuis son arrivée à l’hôpital civil en 1920. En outre, ils connaissent bien à la fois les quantités et la localisation du radium en question. Comme dans le cas des affaires universitaires, le rapatriement est acté de manière officielle comme s’il s’agissait d’une décision française alors qu’il a été obtenu sous la contrainte avec la menace d’une saisie ailleurs en cas de refus. Le procès-verbal de la séance de la Commission Administrative des Hospices Civils de Strasbourg qui s’est tenue à Périgueux le 27 août 1940 déclare :

« M. le Dr. Gunsett est autorisé à rentrer à Strasbourg dès le 2 septembre 1940, et à y ramener, outre le stock de radium appartenant aux Hospices civils et au Centre anticancéreux, soit 9 gr 99743 moins les 30 milligrammes [nécessaires aux traitements en cours à Clairvivre], tout l’appareillage de radiodiagnostic et de radiothérapie profonde faisant partie de son service. »

Ainsi, Auguste Gunsett rentre avec sa famille à Strasbourg début septembre 1940 et ceci, sans prendre congé de ses collègues. Il rapporte avec lui les appareils radiologiques et le radium et réinstalle son service au sein de l’hôpital civil. Il laisse 30 milligrammes de radium à la disposition de l’hôpital des réfugiés de Clairvivre. Les 9,97 gr qu’il rapporte appartiennent en partie à l’hôpital, en partie à la faculté de médecine et pour une troisième partie à la Union minière du Haut-Katanga à Bruxelles.

Le 2 juillet 1940, le ministre de l’Éducation et de la Culture de Bade (Badischer Kultusminister) Schmitthenner demande oralement à Ernst Anrich, vieux alsacien et doyen fondateur de la faculté de philosophie ainsi que cheville ouvrière de la création de la RUS, d’engager les préparatifs pour créer une université allemande à Strasbourg. Quelques jours auparavant, le 29 juin, Robert Ernst, le futur Generalreferent et Oberstadtkommissar, ainsi que le fondateur du Elsaessischer Hilfsdienst (EHD), avait demandé une première liste d’enseignants et de chefs de clinique de l’université française susceptibles d’être réemployés dans la nouvelle université allemande. En octobre 1940, Auguste Gunsett se trouve sur la première liste d’Ernst Anrich. On y trouve les noms des professeurs et chefs de clinique dont les compétences et la fiabilité nationale-socialiste intéressent la Zivilverwaltung pour une reprise d’emploi à la faculté de médecine de la RUS (Medizinische Fakultät, MFRUS). Dès le début, il fait partie des 8 professeurs extraordinaires (Extraordinarien) qu’Ernst Anrich et le doyen de la MFRUS Johannes Stein, nommé doyen « fondateur » depuis le 16 août, envisagent de solliciter. Le 12 octobre 1940, ils transmettent cette liste de noms à Louis Bennmann au service de sécurité de la NSDAP (Sicherheitsdienst, SD) pour examen de leur attitude politique antérieure (politische Überprüfung) et de leur aptitude à servir l’institution allemande.

Tableau 1 : Évaluation politique d‘Auguste Gunsett par le SD (NSDAP-Kreisleiter Hermann Bickler, Kreispersonalamtsleiter Besenfelder et Kreisamtsleiter Amt für Beamte Ganz) le 26 mai 1941. Source : ADBR, 1558_W_30_3083_Gunsett_Auguste
Name/Beurteilung Charakterliche Haltung Frankophile Einstellung Bekenntnis zum deutschen Volkstum Fachliche Eignung Beurteilung
Gunsett, Auguste, 1876 Offen, zielbewusst, ehrlich, selbstlos, gerader Charakter. Politisch nicht aktiv. Reiner Wissenschaftler Nein. Zum Deutschtum positiv eingestellt Gut, zeigt Interesse. Ärztlicher Berater NSKK. Sohn in der SS Leiter der Röntgenzentrale und Strahleninstitut im Bürgerspital. Ansehen in der Bevölkerung sehr gut Gegen die Übernahme keine Bedenken
Tableau 2 : Évaluation politique d‘Auguste Gunsett par le SD (NSDAP-Kreisleiter Hermann Bickler, Kreispersonalamtsleiter Besenfelder et Kreisamtsleiter Amt für Beamte Ganz) le 26 mai 1941 (traduction française). Source : ADBR, 1558_W_30_3083_Gunsett_Auguste
Nom/Critère Caractère et attitude Convictions francophiles Adhésion à la cause national-socialiste (völkisch) Compétences professionnelles Evaluation
Gunsett, Auguste, 1876 Ouvert, volontaire, honnête, désintéressé, droiture. Pas d’activité politique, scientifique pur Non. Attitude favorable à la cause allemande Bonne, se montre intéressé. 
Conseiller médical du NSKK. Fils dans la SS Directeur du centre de radiologie et de radiothérapie à l’Hôpital Civil. Très estimé par la population locale Aucune réserve pour le réemploi

Depuis son arrivée à Strasbourg début septembre 1940, Gunsett « se fait remarquer par son zèle et sa prévenance à l’égard des Allemands pensant de cette façon s’attirer leurs bonnes grâces », ainsi que le souligne l’inspecteur principal de la police judiciaire après la guerre. Son calcul paie comme le montre son évaluation par le SD en mai 1941 (voir ci-dessus). Selon des témoins de l’enquête de la police judiciaire en février 1945, Gunsett ordonne par ailleurs à son personnel « de ne parler que le Hochdeutsch (allemand standard) et de saluer à la Hitler en précisant qu’il fallait en même temps lever le bras pour qu’on le voie ». Il fait confectionner des papillons portant les formules Deutsch sei dein Gruss (Que ta salutation soit allemande) et Elsaesser sprecht Deutsch (Alsaciens parlez allemand) et les fait afficher dans son service. Après-guerre, l’inspecteur de la police judiciaire conclut : « Il avait une peur incroyable des Allemands et perdait toute contenance pour l’incident le plus futile. On raconte à ce sujet les anecdotes les plus burlesques. »

À l’automne 1940, Gunsett rejoint d’abord l’Elsaessischer Hilfsdienst, puis dès sa création, l’Opferring. Le 21 mai 1941, il indique comme garants pour son attestation de loyauté à la cause allemande (Volkstum), le médecin SS Kurt Weiss, le SS-Untersturmführer Uhrig, le Studienrat Mildenberger, le professeur Hans Meyer de Brème ainsi que les Drs Franke et Pohlmann des Siemens-Reiniger Werke à Erlangen (Bavière). Dans un questionnaire rempli de sa main le 14 septembre 1941, Gunsett déclare aux autorités allemandes avoir, malgré des difficultés de toutes sortes, récupéré pour le compte de l’hôpital allemand de Strasbourg tout le matériel radiologique et le radium transportés à Clairvivre en septembre 1939.

« Après la victoire des armées allemandes je voulus ramener le tout dans ma petite patrie, mais j’en fus empêché par la faculté et l’administration française. Je pus néanmoins réussir quoiqu’également avec les plus grandes difficultés à ramener le tout à Strasbourg et l’y remonter de façon à ce que déjà en octobre 1940 la population de Strasbourg put à nouveau être soignée. (…) En dépit des entraves je parvins à rapporter tout ce radium (…), bien qu’en m’attirant ainsi la haine de mes anciens collègues de faculté, je le considérai pour mon devoir et j’ai tout fait pour l’obtenir ».

Pour les Renseignements généraux (RG) ce questionnaire apporte en 1945 « la meilleure preuve de son [Gunsett] attachement au national-socialisme ». L’entourage familial d’Auguste Gunsett renforce encore cette impression. Son fils Charles, qui vit toujours au domicile familial, rejoint fin 1940 l’Allgemeine SS et y participe activement. Le frère d’Auguste, directeur des sucreries d’Erstein, est décrit comme « un arriviste dans l’âme » qui « écœura ses compatriotes francophiles par son zèle pro-nazi ». En octobre 1940, une fois que Gunsett a réinstallé les appareils du service de radiologie à l’hôpital de Strasbourg, il livre aussi aux Allemands, maîtres des lieux, les 9997,67 mg de radium. En mars 1941, le doyen Stein et le directeur de l’hôpital Lembke lui demandent de mettre 500 mg de radium à la disposition du professeur de gynécologie Jacobi. Il obtempère. En même temps, le gouvernement allemand honore les termes du contrat de prêt de radium à l’hôpital et à Gunsett et règle à l’Union minière du Haut-Katanga à Bruxelles la somme due pour les 3 805 mg qui ont été prêtés. Le 1er mai 1941, Auguste Gunsett figure sur les registres de la RUS-Bürgerspital comme faisant fonction de médecin directeur (kommissarischer Chefarzt) du Zentral-Röntgenabteilung und Strahleninstitut (service de radiologie et de radiothérapie). Il semble avoir retrouvé sa position.

En résumé, Auguste Gunsett figure sur la première liste du personnel d’avant-guerre alsacien que les autorités allemandes estiment ré-employables dans la nouvelle université du Reich. Par son attitude et par son « offrande du matin » (Morgengabe) de 10 g de radium, Auguste Gunsett courbe l’échine et devance même les attentes allemandes et s’assure en novembre 1941, à l’ouverture de la MFRUS, un poste de Dozent et de directeur de la section thérapeutique du Strahleninstitut. Il est ainsi le plus âgé et le médecin alsacien le mieux considéré à intégrer la MFRUS. Mais comme pour tous les autres postes de directeur d’institut ou de clinique, le Strahleninstitut devait être dirigé dans son ensemble par un Allemand. En conséquence, dès l’ouverture de la MFRUS, c’est le jeune Wilhelm Dieker qui est chargé de faire fonction de professeur de radiologie et de radiothérapie et de diriger l’Allgemeines Strahleninstitut und Röntgenabteilung der medizinischen Universitätsklinik. Dieker est responsable de la diagnostische Abteilung comme professeur « hors cadre », c’est-à-dire non titulaire (ausserplanmässiger Professor). Il est donc le supérieur hiérarchique d’Auguste Gunsett. Dans son interrogatoire par la police judiciaire française le 20 février 1945, Gunsett déclare à ce sujet : « en 1940 j’ai réinstallé mon service mais j’en ai bientôt été éliminé et remplacé par un jeune docteur allemand nommé Dieker, de Heidelberg ».

Sans charge d’enseignement et avec comme seule responsabilité la section thérapeutique, Gunsett fréquente peu la communauté de collègues allemands si bien que son collègue et professeur de pharmacologie Karl Gebhardt écrit en juillet 1943 à Max de Crinis, professeur de neurologie à Berlin et conseiller au ministère de l’Éducation et de la Culture : « je n’ai pas encore fait sa connaissance, et puisqu’il [Gunsett] ne fait pas partie de ma faculté de sciences, on ne le rencontre jamais. Il paraît qu’il est tous les jours 2 à 3 heures à l’hôpital civil, sinon il se consacre à ses patients privés ». Gunsett semble s’être arrangé une existence de niche à la fois dans la faculté mais sans donner de cours d’une part, à l’hôpital au sein de l’institut de radiothérapie mais en marge de la communauté médicale allemande d’autre part. Comme prévu, il a monnayé « son » radium contre une place à l’hôpital et à la faculté mais il ne parvient pas à y acquérir une place à part entière. La situation est d’ailleurs la même pour ses confrères alsaciens semblablement fidèles au système. Pire, au fond il reste inquiet puisqu’après l’armistice de 1918, il a rédigé un certain nombre d’articles revanchards et tonitruants adressés par exemple au Dr Taenzer, rédacteur en chef de la Dermatologische Wochenschrift, périodique médical allemand qui les a publiés en 1925 et où Gunsett déclarait que :

« Comme beaucoup d’Allemands, vous êtes probablement convaincu que les Alsaciens sont des Allemands de souche, ont aimé être allemands et désirent l’être encore. C’est une méprise fondamentale. (…) Les vieux-Alsaciens ont toujours porté un masque. Leur véritable conviction, leur attachement indéfectible à la France et leur aversion contre tout l’être germanique, ils ne l’expriment que dans les cercles intimes et fermés de leurs amis proches. (…) Enfin, est arrivée pour l’Alsace la levée du jour qui la libéra du joug allemand (…) Le cauchemar de 47 ans de domination allemande se termine pour l’Alsace, espérons-le pour toujours. »

Finalement, le passé rattrape Gunsett mais autrement que prévu. Le 8 juillet 1943, son ancien collègue à la clinique dermatologique de la KWU, Paul Mulzer (1880-1947), promu depuis professeur de dermatologie à l’université de Hambourg et candidat malheureux à un poste à la MFRUS, adresse une plainte à Max de Crinis au ministère à Berlin. Informé par hasard que Gunsett occupe un poste de direction au Strahleninstitut, il se sent appelé à protester contre cette nomination pour les raisons suivantes :

« Monsieur Gunsett, dont j’ai fait la connaissance alors que j’étais chef de clinique à la clinique dermatologique de Strasbourg, m’est apparu comme un collègue à la fois agréable et aimable, qui n’avait qu’un seul défaut, celui d‘être très chauvin ».

Mulzer relate l’affaire de l’épouse de Gunsett qui lors d’un dîner prétend ne pas comprendre un mot d’allemand et insiste pour parler uniquement français, mais qui plus tard, lors d’une rencontre fortuite, se révèle parler parfaitement l’allemand. Plus sérieusement, Mulzer accuse sans ambages Gunsett d’avoir déserté de l’armée allemande lors de la Première Guerre mondiale :

« Lorsque j'étais médecin à l'hôpital de réserve de Saverne pendant la dernière moitié de la guerre, on m'a demandé de reprendre la consultation de M. Gunsett en tant que remplaçant, car il était soudainement tombé gravement malade des poumons et avait dû déménager en Suisse avec sa femme et son enfant. Son médecin traitant, le professeur juif Kahn, chef de la 2e clinique médicale de Strasbourg, lui avait délivré un certificat à cet effet, dans lequel il était déclaré inapte au service et autorisé à entrer en Suisse. Comme je n'étais pas en mesure de le remplacer à long terme et que son assistante m'a dit que son retour était peu probable car sa mort était pratiquement imminente, j'ai demandé à mon médecin principal de la réserve, le Dr Wittmer, de se charger de ce remplacement. (...) Le rapport ci-joint du Dr Wittmer montre comment la maladie de M. Gunsett s'est réellement développée. (...) Je considère qu'il est impossible qu'un officier allemand déserteur et ouvertement antiallemand appartienne maintenant à la Reichsuniversität. Je pense qu'il est préférable de vous soumettre la question en privé pour le moment. Personnellement, je ne peux plus être membre des "Amis de la Reichsuniversität", si un vaurien tel que M. Gunsett continue à faire partie du corps enseignant ».

La déclaration du Dr Wittmer datée du 5 juillet 1943 précise davantage les circonstances de la disparition et de la réapparition d’Auguste Gunsett à Strasbourg en 1918. Wittmer remplace Gunsett dans son cabinet de médecin. Le lendemain de l’arrivée des Français à Strasbourg, Wittmer trouve le cabinet médical fermé. Il se renseigne auprès de la secrétaire et se rend au domicile privé de Gunsett dont il constate qu’il est en parfaite santé. Gunsett le renvoie. Le lendemain Wittmer doit, une valise à la main, traverser à pied le pont de Kehl, humilié et laissant derrière lui le reste de ses biens. Auguste Gunsett fait partie de la commission de « triage » le concernant. Wittmer conclut sa déclaration par le constat suivant : « Je suis convaincu que le Dr Gunsett a déserté l’armée allemande et qu’il a rejoint les forces ennemies ».

Déjà à l’occasion de l’ouverture de la MFRUS en novembre 1941, Mulzer avait protesté, sans succès, contre la nomination de Gunsett auprès des responsables de l’université. « On » lui avait répondu qu’on connaissait les positions de Gunsett mais que « certains au sein de la faculté » l’estimaient pour avoir mis « ses précieux appareils et le radium de manière "si désintéressée" à la disposition de la jeune université ». En 1943, de Crinis ne veut plus en rester là. Le 13 juillet 1943, il charge officieusement son fidèle camarade Karl Gebhardt, professeur de pharmacologie, de mener une enquête. Le 24 juillet 1943, Gebhardt répond au « cher camarade de Crinis » qu’il lui est extrêmement difficile d’obtenir des renseignements sur « Monsieur G. » puisque les faits datent d’il y a 26 ans. Mais malgré tout, Gebhardt avoue ne pas remettre en cause les allégations de Mulzer et Wittmer. Pour se décharger de l’affaire, il demande l’autorisation de de Crinis de transmettre ces informations au chef du Sicherheitsdienst. Trois jours plus tard, de Crinis demande à Gebhardt de transmettre les informations au SD puisque « nous devons démasquer par tous les moyens des créatures telles que G. ». En novembre 1943, toujours sans autre information, Max de Crinis relance Gebhardt au sujet de son enquête dans l’affaire Gunsett. C’est également dans ce cadre que de Crinis réitère les réserves concernant les procédures de nomination à la MFRUS qu’il avait exprimées dès l’été 1941 en affirmant : « J’ai acquis la certitude que l’évaluation de certaines personnes à Strasbourg s’est déroulée de manière assez superficielle ».

Le fil de la transmission par les archives s’interrompt ici. Tout ce qu’il est possible de reconstruire, c’est qu’à partir de fin 1943, Gunsett partage son temps entre Strasbourg et sa résidence secondaire à Thannenkirch. A partir du moment où son train de Strasbourg à Ribeauvillé est sévèrement mitraillé le 3 août 1944, il ne retourne plus dans la capitale alsacienne. Il semble que ses protections au sein de la faculté et le marché conclu continuent à le protéger, au moins en partie. Il est mis à la retraite par l’administration allemande le 1er octobre 1944 sans qu’aucune autre mesure ne soit prise. Selon une note des renseignements généraux d’avril 1950, Gunsett quitte Strasbourg pour s’installer dans sa maison de campagne à Thannenkirch en février 1944. Il quittera ensuite cette localité le 16 octobre 1945 pour s’installer à Nice. Nous y reviendrons ultérieurement.

Dans son rapport secret du 28 novembre 1941 au CdZ Wagner concernant les évènements graves du mois de novembre, à savoir les rétractions subites de Charles Apffel et Adolphe Jung, le doyen Johannes Stein remarque que « les médecins âgés qui sont encore présents à l’hôpital civil prendront peut-être le même chemin [de la démission]. Mais il ne s’en trouve parmi eux aucun qui soit particulièrement qualifié. Il s’agit surtout d’assistants surannés, de bien plus de cinquante ans et sans espoir de devenir Dozent ». Auguste Gunsett entre en quelque sorte dans cette catégorie définie par Stein, même si son statut le distingue puisqu’il est Dozent et directeur du service thérapeutique du Strahleninstitut. Figurant initialement sur les premières listes de Stein et d’Anrich comme potentiel Extraordinarius, Gunsett n’accédera jamais à cette fonction à la MFRUS. Son statut très particulier (il est Dozent mais n’a pas de charge d’enseignement officielle, c’est-à-dire qu’il est à la fois intégré et mis à l’écart) est directement lié au fait qu’il s’est mis à la disposition des autorités allemandes et qu’il a rendu service à la MFRUS en assurant le retour du radium et des installations de radiothérapie. Mais une place de professeur à part entière, ça ne s’achète pas.

Le dernier jour où Gunsett est présent à l’hôpital de Strasbourg, le 3 août 1944, il affirme que le radium se trouve encore sur place. Pourtant, il en manque 6 g à l’arrivée des Alliés en novembre 1944. Le comité de libération suspecte Gunsett d’être responsable de sa disparition. Qu’est devenu le précieux radioélément d’une valeur de plusieurs millions de francs ?

Suite à la libération de Paris le 25 août 1944 et à l’avancée des Alliés, le directeur du Planungsamt des Reichsforschungsrates (office de planification du conseil supérieur de la recherche), Werner Osenberg, est chargé début septembre 1944 de transférer les instituts de recherche de la MFRUS à l’intérieur du Reich. Le 17 septembre, le ministère de l’Armement octroie des capacités de transport et d’accueil à la RUS. Le Medizinische Forschungsinstitut (Institut interdisciplinaire de recherche médicale) trouve une nouvelle localisation secrète à Tauberbischofsheim mais le déménagement tarde. En attendant, et au nom du recteur et du Kurator de la RUS, Wilhelm Dieker prend attache avec Carl Joseph Gauss, professeur et directeur de la clinique gynécologique de l’université de Würzburg. Membre de la NSDAP depuis mars 1933 (Märzgefallener), Gauss travaille depuis l’époque de sa formation à l’université de Freiburg dans le domaine de la radiothérapie gynécologique. Il est habitué à manipuler le radium et il est l’un des fervents avocats de la stérilisation forcée par rayons dans le cadre de la politique « d’empêchement de la reproduction des malades héréditaires » (Gesetz zur Verhütung erbkranken Nachwuches, 14 juillet 1933). À Würzburg, le 24 septembre 1944, Wilhelm Dieker et Rudolf Fleischmann signent un protocole pour la « mise en sécurité transitoire du radium de Strasbourg » qui prévoit de remettre le précieux élément à Gauss, à la clinique des maladies des femmes de Würzburg. Il s’agit à la fois d’une partie du radium de l’institut de radiothérapie de Dieker et de celui du département de physique du Medizinisches Forschungsinstitutde Fleischmann. Les préparations radioactives du Forschungsinstitut se trouvent dans une boîte en laiton cachetée marquée RF (Rudolf Fleischmann) ; le radium du Strahleninstitut est dans une boîte en plomb. Une liste détaillée fait état de 6 des 10 g de radium de la MFRUS. Le protocole précise que le radium doit rester immédiatement accessible en vue de son utilisation dans des projets de recherche importants pour l’effort de guerre (kriegswichtig). Il s’agit de recherches ordonnées par le ministère de l’Intérieur du Reich qui doivent reprendre dès la réinstallation du Forschungsinstitut effectuée. La durée de dépôt prévue est de l’ordre de deux mois. L’ensemble des tractations se fait en secret, initialement sous forme orale afin d’éviter d’ébruiter ce transfert. Le 30 septembre, Gauss demande dans une lettre au doyen Stein l’autorisation d’informer par écrit le recteur de l’université de Würzburg parce qu’il considère que l’affaire est trop importante pour ne pas en garder une trace. La communication par lettre semble perturbée puisque Gauss réitère sa demande le 13 octobre mais n’obtient toujours pas de réponse. Par la même occasion, il demande l’autorisation d’utiliser 100 mg de radium pour les stérilisations effectuées dans sa clinique. Cette demande lui sera accordée par le doyen Stein. Avec le temps qui passe et l’achèvement des travaux pour la nouvelle installation du Forschungsinstitut qui tarde, le dépôt semble devenir encombrant pour Gauss qui demande le 13 octobre que le radium soit transféré dans la forteresse de Würzburg. Dans sa réponse tardive du 10 novembre 1944, Dieker ne rejette pas cette possibilité à condition qu’il « existe un local d’environ 2 x 2 mètres à proximité » pour pouvoir venir de temps en temps en voiture exécuter des travaux de recherche et sous garantie que le local soit inaccessible à des personnes extérieures. Néanmoins, Dieker insiste sur le fait que la proposition d’emmurer le radium dans la forteresse est inappropriée car il prévoit encore son utilisation prochaine. Concernant les autres appareils qui se trouvent au château de Weikersheim dans le Wurtemberg, Dieker considère qu’il convient de les y laisser puisque la nouvelle installation du Forschungsinstitut devrait se terminer prochainement.

Ce même jour, le 10 novembre 1944, Dieker rédige une autre lettre, cette fois à Ernst Anrich à Tübingen. Anrich était pressenti, avec Richard Dehm et Adalbert Erler, pour préparer l’évacuation de la RUS à Tübingen, dix jours après la deuxième attaque aérienne sur Strasbourg le 25 septembre 1944. Le 10 novembre, Dieker demande à Anrich de prospecter auprès du Bauamt (service municipal d’urbanisme) à Tübingen pour y trouver des salles souterraines avec un accès réservé où entreposer des quantités significatives de radium. En clair, Dieker cherche à mettre à l’abri les 4 g de radium de la MFRUS qui restent. Compte tenu de la valeur du radium « pour lequel il se trouvera certainement des amateurs » et du risque d’irradiation, Dieker propose un tunnel rocheux sous le château mais qui, là encore doit rester accessible. Il ajoute « [ceci] pour des raisons que je ne peux pas vous expliciter ici ». Dieker propose de se déplacer personnellement à Tübingen pour régler cette affaire dès que des locaux convenables seront trouvés. Le 23 novembre, les Alliés libèrent Strasbourg et Dieker est arrêté avec ses collègues de la MFRUS. Le transport du radium restant en lieu sûr (Auslagerung) à Tübingen ne se concrétise pas. Dès le printemps 1945, le bruit se répand à Strasbourg qu’à l’automne 1944, les autorités allemandes auraient transporté 7 g du radium de l’hôpital en Allemagne, sans plus de précisions.

Rapidement après la Libération, la commission d’épuration de Strasbourg soupçonne Auguste Gunsett d’intelligence avec l’ennemi et le tient pour responsable de la disparition du précieux radium. Il est arrêté à Thannenkirch et interné au lycée Fustel de Coulanges en février 1945. Le comité départemental de libération du Bas-Rhin saisit le préfet le 14 février 1945 pour qu’il ouvre une enquête, étant donné que Gunsett « aurait fait ramener du lieu de repliement la quantité de radium dont notre ville était propriétaire. Le Dr G. s’est vanté auprès du professeur Ehret à Thannenkirch d’avoir été obligé de faire, à cet effet, des démarches auprès de la commission d’armistice ». Le préfet confie l’enquête à la police judiciaire. Un premier interrogatoire de Gunsett est conduit par l’inspecteur de police judiciaire Émile Duminy le 20 février 1945. L’inspecteur relève son état civil, son curriculum vitae ainsi que ses opinions et activités politiques. Au centre de l’interrogatoire figure la question du radium. Dans le récit qu’il livre aux autorités françaises, Gunsett affirme qu’il est revenu à Strasbourg pour obéir à un ordre : « la direction de l’hôpital à Clairvivre m’a donc transmis cet ordre de rentrer à Strasbourg. … et lorsqu’au mois de septembre 1940 il s’est agi de ramener cette même quantité de radium à Strasbourg, le gouvernement français installé alors à Vichy ne s’est pas davantage opposé à ce transfert ». Il renie les déclarations qu’il avait faites aux autorités allemandes et qui se trouvent désormais entre les mains des inspecteurs. Il déclare qu’il les a écrites « dans un moment de désespoir car [il avait] appris [qu’il devrait] être expulsé » et, « pour plaire aux Allemands pour qu’ils [le] laissent tranquille », c’est-à-dire qu’il les met à distance en expliquant qu’il les a rédigées pour donner satisfaction aux Allemands mais qu’elles sont « mensongères ». Au bout du compte, il résume : « j’ai rapporté mon stock de radium de Clairvivre à Strasbourg pour pouvoir reprendre mes cours et mes travaux ».

En même temps, lorsqu’il parle de son retour dans sa première déposition devant l’inspecteur de la police judiciaire Émile Duminy le 20 février 1945, Gunsett affirme :

« Je suis revenu à Strasbourg parce que j’y avais tous mes intérêts et que je n’étais plus capable à mon âge de refaire en France une nouvelle situation. Je n’ai jamais entretenu de relations avec les Allemands et je n’ai jamais participé à une manifestation organisée par eux. Je n’étais pas inscrit au parti national-socialiste mais néanmoins j’étais obligé de payer la cotisation de « l’Opferring ». Mon adhésion à l’Opferring m’avait été imposée pour garder mes fonctions à l’hôpital. »

Or on trouve bien d’autres appréciations concernant sa conduite parmi les contemporains des évènements. Certains de ses confrères décrivent Gunsett comme un personnage opportuniste qui a retourné sa veste, cherchant à se faire bien voir par sa nouvelle hiérarchie et à faire oublier ses positions d’entre-deux-guerres :

« Réfugié pendant l’évacuation de nos régions au cours des hostilités 1939-40 à Clairvivre, lieu de repli des Hospices Civils, le précité [Gunsett], contrairement à ce que firent beaucoup de ses confrères de la Faculté, est retourné, après l’armistice de 1940, à Strasbourg. Il s’est mis alors à la disposition des autorités allemandes occupantes. Au moment de quitter l’établissement sanitaire de Clairvivre, le Dr Gunsett a ramené à Strasbourg tout le matériel de radiologie ainsi que le radium détenu dans cet hospice. De retour à l’Hôpital de Strasbourg, l’intéressé s’est fait remarquer par son zèle et ses prévenances à l’égard des Allemands. Il pensait de cette façon s’attirer leurs bonnes grâces et se faire pardonner ses antécédents francophiles. Certains de ses confrères, présents en notre ville pendant cette période, le représentent comme ayant fait preuve d’une servilité incompréhensible. Il était surtout préoccupé de faire ressortir ses nouvelles convictions. Toutefois, d’autres médecins qui ont pu pénétrer dans son intimité et qui ont fréquenté sa maison, affirment que malgré les apparences, le Dr Gunsett n’a jamais cessé d’être français et que c’est la crainte d’être expulsé et de perdre tous ses biens qui l’a fait agir ainsi. »

Dans sa note de synthèse du 21 février 1945, l’inspecteur de police Duminy affirme que les Français possèdent un dossier contenant un document dans lequel Gunsett déclarait « avoir voulu ramener tout son matériel dans sa petite patrie bien qu’il en fut empêché par la faculté et l’administration française ». Il insistait particulièrement sur le fait « qu’on voulut retenir de force en France une grande quantité de radium précieux et que des démarches ont été faites à Vichy pour entraver ses manœuvres ». Gunsett terminait son récit « aux Allemands » en se félicitant d’avoir pu rapporter « tout le radium jusqu’au dernier milligramme considérant ceci comme son devoir ». Interpellé par l’inspecteur sur ce témoignage de 1941, Gunsett se défend énergiquement d’avoir exprimé ses véritables sentiments aux Allemands. Par ailleurs, il prétend n’avoir rencontré aucune opposition de la part des autorités françaises. Surtout, Gunsett affirme en 1945 que tout ce qu’il a écrit et destiné aux Allemands n’était que des mensonges proférés dans le but d’obtenir la considération des autorités allemandes et de lui permettre de vivre en paix à Strasbourg.

Au fil des recherches de la police judiciaire, l’inspecteur constate les points suivants :

« Il semble que son attitude [les sentiments pro-allemands d’Auguste Gunsett durant la période 1940-1945] ait déteint quelque peu sur son fils [il s’agit de son second fils, Charles Claude]. Celui-ci a, en effet, appartenu aux SS dès fin 1940 ou début 1941. […] Il fut à cette époque remarqué par ses anciens camarades, paradant en uniforme noir et participant même à des services d’ordre. Or, avant 1939, il affectait d’ignorer le dialecte alsacien. »

A cette époque, Charles âgé de vingt ans habite à cette époque chez ses parents au 15 boulevard Gambetta. Il se rend en juin 1942 en Autriche pour suivre une formation d’orateur nazi. Il se trouve qu’Auguste Gunsett omet ce détail dans son premier interrogatoire du 20 février 1945. En outre, il donne une fausse date de naissance pour son fils. Désirant un complément d’enquête, le commissaire de police judiciaire convoque de nouveau Gunsett le lendemain. Il l’interroge sur les omissions de la veille, notamment sur son affiliation au corps de transport NSKK (National-Sozialistischer Kraftfahrer Korps), sur la liste de ses garants nationaux-socialistes et surtout sur l’appartenance de son fils Charles aux SS. Gunsett se contente d’admettre : « J’ai évité de vous dire que mon fils Charles avait appartenu aux SS ».

L’inspecteur conclut sa note de renseignement par une remarque sévère :

« En résumé, Auguste Gunsett se révèle aussi bon Allemand qu’il dit être bon Français actuellement. »

Suite à cette enquête, Gunsett fait l’objet à la fois d’une procédure administrative et d’une enquête du Tribunal militaire de la Xe région qui aboutissent conjointement à son renvoi devant la Cour de justice de Strasbourg. Une instruction pour faits de collaboration est ouverte par le juge d’instruction Feypell. On relève contre Gunsett que, par ses manœuvres, il a mis à la disposition des Allemands du matériel sanitaire et en particulier du radium qui était la propriété du gouvernement français. De plus, le Comité de Libération lui reproche d’avoir fait passer ses intérêts personnels bien avant les intérêts de la France. Il est également accusé d’être le responsable d’un « vol d’État » concernant la quantité de radium dont il était dépositaire se trouvant désormais entre les mains des Allemands.

Contrairement à beaucoup d’autres confrères médecins alsaciens qui font l’objet d’une procédure administrative ou juridique, Auguste Gunsett fait appel à un avocat pour se défendre. Maître Charles Riegert, dont certaines lettres portent encore son nom et son adresse en allemand (Dr. jur. Karl Riegert, Rechtsanwalt, Meisengasse 7), élabore avec Gunsett sa ligne de défense. Trois griefs essentiels sont formulés par l’instruction : (1) le fait qu’il soit rentré à Strasbourg, (2) le transfert du radium, et enfin (3) deux lettres écrites de sa main dans lesquelles il « se fait passer pour avoir des sentiments germanophiles ».

La défense de Riegert concernant Gunsett allègue qu’il est victime de la « création artificielle d’une atmosphère défavorable contre lui » qui ne peut que « représenter une rancune de certains éléments qui probablement sont à chercher parmi les confrères du Dr Gunsett ». En outre, « ce sont d’ailleurs probablement les mêmes éléments qui ont provoqué son arrestation et la mise en scène de tout cet appareil juridique ».

La ligne de justification et de défense de Gunsett répond aux trois points mentionnés ci-dessus. Le fait d’être rentré à Strasbourg ne semble pas constituer un argument de valeur juridique ; concernant le transfert du radium, Gunsett a reçu une autorisation officielle, voire on lui a ordonné de le ramener pour ne pas démunir la population parisienne en cas d’exécution de la menace allemande ; concernant les lettres d’allégeance au national-socialisme qu’il a écrites spontanément, il s’agit, selon l’avocat Riegert, de pièces produites sous la menace d’une expulsion. D’après lui, Gunsett « [cherchait] avec tous les moyens possibles, notamment aussi en avançant des contre-vérités, à éviter cette expulsion ». Sa façon d’agir aurait été « dictée par une certaine crainte justifiée, mais peut être exagérée par suite de son état maladif (ce que l’on désigne neurologiquement comme un grand anxieux) ».

Le 27 février, la police judiciaire transmet ses conclusions au Commissaire régional de la République. Le 1er mars 1945, le préfet prononce l’internement d’Auguste Gunsett et transmet l’ensemble du dossier concernant Gunsett et le radium au président du Comité départemental de libération. Après son internement administratif au Lycée Fustel de Coulange en février, Gunsett est transféré au camp du Struthof en mars 1945, puis en mai à la « rue du Fil ». Le 15 juin 1945, l’enquête du juge Feypell mène à la remise en liberté provisoire de Gunsett. La chambre civique de la Cour de justice de Strasbourg prononce après sept mois d’ennuis judiciaires finalement son acquittement le 8 août 1945. D’après son avocat, ce jugement tourne les personnes qui sont à l’origine de son arrestation et de la mise en scène de ses poursuites judiciaires « à leur confusion ».

Dans une lettre du 11 août, le commissaire divisionnaire, chef du service régional des Renseignements Généraux informe le Commissaire de la République que la sentence prononcée provoque l’indignation de nombreux Strasbourgeois dès sa publication dans la presse locale. Elle fait également l’objet de critiques sévères dans les milieux médicaux. Un certain nombre de médecins considèrent en effet que la posture de Gunsett qui a consisté à se mettre ostensiblement « aux ordres absolus des Allemands » est indigne d’un médecin décoré de la Légion d’Honneur, la plus haute distinction de la République française. Selon les RG, les témoignages recueillis par le chef des renseignements sont accablants et le présentent comme étant bien plus qu’un simple « suiveur » ou un homme contraint d’obéir aux ordres. Les RG considèrent Gunsett comme « étant toujours allé au-devant des désirs de ses maîtres nazis et préoccupé de faire ressortir par son comportement extérieur ses nouvelles convictions ». En revanche, son avocat, Charles Riegert, minore les faits en déclarant :

« S’il est exact qu’une certaine presse, notamment "l’Humanité de Strasbourg" a jugé utile de commenter défavorablement cet acquittement, d’ailleurs en alléguant des faits diffamatoires contre certains magistrats qui n’avaient absolument rien à voir dans cette affaire, en supposant en outre des influences qui n’ont certainement pas joué, il apparait que pareille création artificielle d’une atmosphère défavorable contre celui qui venait d’être acquitté ne peut représenter qu’une rancune de certains éléments qui probablement sont à chercher parmi les confrères du Dr. Gunsett. »

Étant donné l’acquittement dont a bénéficié Gunsett, le chef des RG propose au commissaire de la République de prendre à son encontre une mesure provisoire d’assignation à résidence en dehors du Bas-Rhin et de le révoquer de ses fonctions de directeur du centre anticancéreux de l’hôpital civil.

Le commissaire de la République Émile Bollaert annote à la main la lettre du chef des RG :

« Je ne puis comprendre cet acquittement par la chambre civique. Peut-on lui interdire malgré l’arrêt survenu, le séjour en Alsace-Lorraine ? Il ne serait que justice ».

Le préfet Cornut-Gentille ajoute : « Oui. Prendre un arrêté d’éloignement des 3 départements à présenter ce soir à la signature ». L’arrêté préfectoral est publié le 29 août 1945. Il interdit à Auguste Gunsett de résider dans les trois départements recouvrés d’Alsace et de Lorraine.

Gunsett est informé de la décision et interjette appel avec son avocat. Charles Riegert adresse une lettre argumentée à la commission de vérification de l’internement administratif de la préfecture dans laquelle il avance que « les mêmes arguments qui étaient à la base des premières dénonciations […] on les retrouve dans le rapport de la Sûreté Nationale à la base de l’arrêté préfectoral du 29 août 1945 ». Selon l’avocat, tous ces griefs sont « liquidés définitivement dans la procédure terminée par l’acquittement par la chambre civique » et le principe de la chose jugée implique que leur reprise est contraire au droit administratif. Pour Riegert, l’arrêt du 29 août est une ingérence du pouvoir administratif dans la sphère du pouvoir juridique et est à ce titre inadmissible. Un arrêté du Commissaire de la République daté du 15 octobre 1945 revient sur l’interdiction de séjour de Gunsett en s’inclinant devant la décision de la Cour de justice en vertu du principe de la chose jugée. La gendarmerie lui ayant notifié le premier arrêté et son annulation tardant, Auguste Gunsett décide de quitter Thannenkirch pour s’établir à Nice dans les Alpes-Maritimes à partir du 16 octobre 1945. Il s‘y installe à la Villa Consolata, avenue Michel de Ciniret.

Enfin, par décision de la Commission d’Épuration des Médecins d’Alsace en date du 6 juillet 1946, Auguste Gunsett est privé du droit d’exercer la médecine pour une durée de trois ans à compter du 1er août 1946 En outre, il est exclu temporairement des fonctions universitaires, hospitalières et administratives pour la même durée.

Son confrère, également assistant alsacien à la MFRUS, René Burgun, conclut son article sur Gunsett dans la NDBA en affirmant qu’« on a reproché à Gunsett alors d'avoir rapporté le radium : il avait agi sur ordres ». Contrairement à cette relecture posthume, Gunsett lui-même admet dans ses déclarations à la police judiciaire en 1945 être revenu à Strasbourg parce qu’il y avait « tous [ses] intérêts et [qu’il n’était] plus capable à [son] âge de refaire en France une nouvelle situation ».

Le dossier des RG concernant Auguste Gunsett se clôture en juin 1950 par la sollicitation de son fils Charles Claude Gunsett pour obtenir un visa afin de se rendre en Autriche. Formulé auprès de la Haute Commission Alliée en Allemagne, la demande est transmise au chef du Service des Renseignements généraux pour enquête et avis motivé, compte tenu de sa prétendue condamnation le 5 juillet 1949 par la Cour de Justice de Strasbourg à 7 ans de travaux forcés et dégradation nationale pour son appartenance au Waffen-SS. Selon les renseignements de la police judiciaire, le fils ainé d’Auguste Gunsett, Jean, a été employé par son oncle, frère d’Auguste, à la sucrerie d’Erstein. Jean quitte cet emploi en raison d’un désaccord politique avec son oncle nazi, suit des cours à l’école d’études commerciales de Vienne en Autriche et aurait, après la libération « réendossé l’uniforme d’officier français et se serait offert comme auxiliaire bénévole de l’antenne de la Sécurité Militaire de Ste Marie-aux-Mines ».

La note de renseignements rédigée à cet effet revient à cinq ans de distance sur l’appréciation de la situation et de la personne d’Auguste Gunsett pour conclure :

« Effectivement, l’intéressé [Auguste Gunsett] est dépeint comme un homme sans caractère, ni beaucoup de volonté et ayant manqué de courage pour défendre ses opinions. D’autre part, à la tête d’une grosse fortune et propriétaire d’immeubles à Strasbourg, il est assez égoïste et intéressé. »

Auguste Gunsett décède à Strasbourg le 5 mai 1970.


Repères

Localisations

Nationalités

  • Allemand (1876 - 1919)
  • Français (1919 - 1940)
  • Alsacien (1940 - 1945)
  • Français (1945 - 1970)

Confessions

  • Protestant

Publications

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Kaiser-Wilhelm-Universität Straβburg

1876-11-19T00:00:00Z
Vie privée
Naissance
1970-05-05T00:00:00Z
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Rédaction : ©Christian Bonah