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Différences entre les versions de « Paul Matthis »

De Commission Historique
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Avec le repli de la ''Reichsuniversität Strassburg'' vers Tübingen face à l’arrivée des troupes alliées, le Dr. Paul Matthis fait partie des rares Alsaciens à fuir l’Alsace, notamment par peur des représailles dues aux multiples ralliements effectués par sa famille et à son engagement en faveur du national-socialisme. Après avoir exercé brièvement dans une petite ville de la Forêt Noire au printemps 1945, il s’installe après la guerre dans une grande maison à Bruchsal dans le Bade-Wurtemberg (près de Karlsruhe et donc près de l’Alsace). Débutant une nouvelle vie, il fonde une famille, ouvre un cabinet de médecine générale et travaille comme médecin traitant (''praktischer Arzt'') jusque dans les années 1980.
Avec le repli de la ''Reichsuniversität Strassburg'' vers Tübingen face à l’arrivée des troupes alliées, le Dr. Paul Matthis fait partie des rares Alsaciens à fuir l’Alsace, notamment par peur des représailles dues aux multiples ralliements effectués par sa famille et à son engagement en faveur du national-socialisme. Après avoir exercé brièvement dans une petite ville de la Forêt Noire au printemps 1945, il s’installe après la guerre dans une grande maison à Bruchsal dans le Bade-Wurtemberg (près de Karlsruhe et donc près de l’Alsace). Débutant une nouvelle vie, il fonde une famille, ouvre un cabinet de médecine générale et travaille comme médecin traitant (''praktischer Arzt'') jusque dans les années 1980.
|Contexte_fr=De l’enfance aux études de médecine : vers le conditionnement ?
Né au cœur d’une Alsace allemande, Paul Matthis obtient la nationalité française par réintégration dans sa plus jeune enfance à la suite de la fin de la Première Guerre mondiale et du Traité de Versailles. Élevé dans une famille relativement aisée et cultivée, d’un père instituteur, il grandit aussi dans un foyer alsacien pro-allemand et profondément marqué par le rejet de la France. Après le lycée, Paul Matthis accomplit ses études de médecine à l’université française de Strasbourg jusqu’à l’obtention de son doctorat de médecine en 1939.
Enfance et scolarité : entre Alsace allemande et Alsace française
Paul Matthis, de son nom complet Paul Alfred Jacques Matthis, est né le 21 octobre 1913 à Hohfrankenheim , un petit village d’environ 300 habitants situé dans le nord-ouest de l’Alsace, à proximité de la ville de Saverne. Son père, Jacques (Jakob) Matthis, né le 5 août 1885 à Niedersoultzbach dans le Bas-Rhin, était un enseignant (Lehrer) issu d’une famille alsacienne de condition paysanne et de confession protestante-luthérienne . Élevé au cœur d’une Alsace devenue allemande à la suite du Traité de Francfort du 10 mai 1871 mettant fin à la guerre franco-prussienne de 1870-1871, Jacques Matthis avait fréquenté l’école élémentaire protestante, puis l’école préparatoire à Strasbourg-Neudorf, avant d’entrer au séminaire pour se destiner à une carrière d’enseignant. Il accomplit son service militaire à l’âge de vingt-quatre ans, entre le 1er octobre 1909 et le 1er octobre 1910 dans le 14e régiment d’artillerie à pied badois stationné à Strasbourg (badisches Fußartillerie-Regiment Nr. 14) .
Alors qu’il est en poste à Hoerdt, Jacques Matthis épouse le 14 septembre 1910 la fille d’un aubergiste (Gastwirt), Caroline (Emma Karolina) Riedinger, née le 14 mars 1891 dans cette petite ville du nord de l’Alsace . Le couple donne naissance à trois enfants : Margarete (également appelée Yvonne), née le 31 janvier 1911 à Hoerdt , Paul né le 21 octobre 1913 à Hohfrankenheim et enfin Pierre, né à Hoerdt le 5 novembre 1921 . Le père de famille a exercé la profession d’instituteur pendant trente-deux ans, de 1905 à 1937. Au cours de sa carrière, il a été en poste dans le nord de l’Alsace, successivement à Weyer, à Hoerdt, à Hohfrankenheim, puis de nouveau à Hoerdt de 1920 à 1937 .
Il ne subsiste que peu d’informations sur l’enfance de Paul Matthis, de son frère et de sa sœur. Toutefois, il faut rappeler qu’à sa naissance, il naît avec la nationalité allemande, puisque l’Alsace fait partie intégrante du Reich wilhelmien. Mais avec le retour de l’Alsace à la France selon les termes du traité de Versailles, il obtient la nationalité française par « réintégration », comme le reste de sa famille resté en Alsace après la Première Guerre mondiale. En âge d’être scolarisé, il débute alors son cursus scolaire à l’école de la République dans sa terre natale redevenue française jusqu’à l’obtention du baccalauréat, probablement au début des années 1930. Enfin, précisons que la mère de Paul meure à Hoerdt le 9 juillet 1934, à l’âge de quarante-trois ans .
Une « famille foncièrement pro-allemande »
L’environnement familial dans lequel Paul Matthis a grandi, tout particulièrement durant l’entre-deux-guerres et le retour de l’Alsace à la France, est tout à fait caractéristique. L’attitude du père mérite notamment d’être mentionnée, car c’est probablement lui qui a donné l’impulsion au comportement de ses enfants par la suite. Il convient ici de retracer l’intégralité du parcours militant, politique et idéologique du père Matthis (Jacques) depuis la fin de la Première Guerre mondiale. Les documents retrouvés dans les archives permettent d’affirmer que l’armistice de 1918 et le retour de l’Alsace dans le giron français qui s’en est suivi a marqué pour Jacques Matthis un tournant dans son itinéraire et ses convictions politiques. En effet, Jacques Matthis s’engage « immédiatement dans le mouvement autonomiste (Heimatbewegung) » , devenant membre de la Fortschrittspartei dès sa création  et de la Elsässische Landespartei de 1938 à sa dissolution . Ses engagements politiques ont précipité sa mise à la retraite en 1937 à cause de « difficultés avec l’administration scolaire ». En outre, dans un curriculum vitae rédigé durant la période nazie, Jacques Matthis ajoute :
« Depuis les jours critiques de 1938, ma famille a été catégorisée comme étant germanophile (deutschfreundlich) et a été placée sous surveillance (unter Aufsicht). Le 5 juin 1940, j’ai été arrêté et amené au camp de concentration (Konzentrationslager) d’Arches. La joie fut grande quand l’armée allemande nous a libérés. Dès le retour chez moi, j’ai immédiatement participé à l’établissement du parti nazi [en Alsace] » .
Dans un autre document, il écrit :
« Durant la [Première] Guerre mondiale, j’étais actif dans le Heimatsdienst et j’ai reçu la Verdienstkreuz. Ensuite est venu novembre 1918. Dans quel état je me suis trouvé ! Seul celui qui l’a connu peut le comprendre ! Pendant vingt-deux ans, j’ai sans cesse mené un combat défensif [face à la France] (Abwehrkampf), pensant constamment que j’allais recevoir des avertissements [des autorités françaises] en raison de mon attitude germanophile (deutschfreundliche Einstellung). En juin 1940, j’ai été arrêté et interné au "Fort d’Arches" avec beaucoup d’autres personnes partageant les mêmes convictions (Gleichgesinnten). Grâce à l’incomparable armée allemande, mon plus grand rêve de vivre à nouveau dans une Alsace allemande s’est réalisé » .
C’est donc dans un milieu sensiblement empreint de rejet de la France et de sympathies tournées de manière ostensible vers l’Allemagne que Paul Matthis, son frère et sa sœur ont été élevés durant l’entre-deux-guerres. Bénéficiant d’une solide instruction avec un père enseignant, Paul Matthis décide d’entreprendre des études de médecine et d’embrasser une carrière de médecin.
Les études de médecine
Une fois diplômé du secondaire, Paul Matthis suit les traces de sa sœur aînée – qui fait des études de pharmacie – et s’engage dans un cursus universitaire de médecine à l’université française de Strasbourg. Comme de coutume en France, il commence par préparer le certificat d’études physiques, chimiques et de sciences naturelles (PCN) à la faculté des sciences, puis se tourne ensuite vers les études de médecine à proprement parler. Ses études sont interrompues par son service militaire, qu’il accomplit en 1936 dans le service médical, avant d’être versé dans la réserve militaire avec le grade de médecin auxiliaire (sous-officier) jusqu’à la fin des années 1930 . Finalement, en 1939, à l’âge de vingt-six ans, Paul Matthis soutient à Strasbourg sa thèse de doctorat de médecine intitulée « Suite immédiates et résultats éloignés du traitement du Mal de Pott par les opérations ankylosantes ». Il avait réalisé ce travail sous la direction du professeur Georges Canuyt (1888-1975) , un éminent chercheur et universitaire connu pour ses travaux sur la pathologie de guerre et l’anesthésie locale en oto-rhino-laryngologie, ainsi que pour la fondation du centre de transfusion sanguine d’urgence à Strasbourg en 1932 .
Ajoutons enfin qu’en vertu d’un décret publié au Journal officiel de la République française dans les jours qui suivent l’entrée en guerre de la France contre l’Allemagne, Paul Matthis est apparemment rappelé dans l’armée. Par décret du 9 septembre 1939, il est en effet nommé médecin sous-lieutenant dans la 20e région militaire avec effet rétroactif au 1er septembre 1939, à une époque où son père avait été placé sous surveillance par les autorités françaises pour ses sentiments clairement pro-allemands . Jusque-là, rien ne nous permet d’affirmer que Matthis ait effectivement participé à la guerre de 1939-1940 ou qu’il a été fait prisonnier par les troupes allemandes avec l’uniforme français à la suite de l’armistice de Compiègne du 22 juin 1940. On sait toutefois qu’à l’automne 1940, alors que l’Alsace avait été annexée de fait au territoire du Reich nazi, Paul Matthis est toujours en Alsace : il vit chez son père à Hoerdt (qui s’y était réinstallé après sa libération du camp d’Arches par les Allemands) et réussit à obtenir très rapidement un poste à l’hôpital civil allemand de Strasbourg.
Médecin sous l’Allemagne nazie (1940-1945)
Dès la fin de l’année 1940, le Dr. Paul Matthis parvient à obtenir un poste à l’hôpital civil de Strasbourg devenu allemand à la suite de l’annexion de l’Alsace au Reich. Intégrant l’équipe de la clinique médicale B entre fin novembre et fin décembre 1940, il est ensuite muté à la clinique médicale Ludolf-Krehl d’Heidelberg jusqu’à l’inauguration de la Reichsuniversität Strassburg en novembre 1941. De retour en Alsace en novembre 1941, il retrouve son poste à l’Abteilung I (Médicale B) et le conserve jusqu’à sa fuite fin novembre 1944 au moment de l’évacuation de l’université nazie outre-Rhin.
La réhabilitation d’un médecin alsacien à l’hôpital civil allemand de Strasbourg (novembre-décembre 1940)
Installé au domicile familial au Adolf-Hitlerstraße 58 (l’actuelle rue de la République) à Hoerdt après l’armistice de Compiègne de juin 1940, Paul Matthis cherche dans un premier temps à trouver un emploi de médecin et à obtenir l'agrément nécessaire des autorités allemandes pour pouvoir exercer en Alsace. De toute évidence, il prend contact avec les services administratifs de l’hôpital civil de Strasbourg – devenu entre-temps allemand – afin de se mettre à disposition. Assez rapidement, à peine trois mois après la réouverture des hospices civils de Strasbourg par les Allemands, Paul Matthis réussit à obtenir un poste. Dès le début du mois de novembre 1940, l’administration de l’hôpital avait déjà enregistré qu’il allait compter parmi son personnel sitôt que la nouvelle medizinische Abteilung A (correspondant à la clinique médicale A qui deviendra ensuite l’Abteilung II) allait être rouverte, c’est-à-dire le 20 novembre. Ainsi, le nom de Paul Matthis figure déjà sur la liste du personnel en date du 3 novembre 1940, mais à ce moment-là, il n’y travaille pas encore .
En effet, dès le 14 novembre 1940, moins d’une semaine avant que les deux cliniques médicales ne soient regroupées en une seule Medizinische Klinik avec deux sections, la A (future Abteilung II) et la B (future Abteilung I), le directeur général des hospices civil, Josef Oster, cite au Medizinalrat Walther les noms des cinq médecins alsaciens qu’il était « prévu » (vorgesehen) d’y affecter. Il s’agit des Dr. Charles Maurer – qui allait être muté de l’Abteilung B à l’Abteilung A – et des Drs. René Piffert, Theodor Uhl, Edgar Risser et Paul Matthis . Quelques jours plus tard, Oster explique dans un nouveau courrier au Dr. Walther que « Messieurs les docteurs Josef Babillotte et Mat[t]his (Hoerdt) ont pris leur service à la medizinische Abteilung A le 20 novembre 1940 en qualité d’Assistenzärzte. Les docteurs [Edgar] Risser (Colmar) et [Theodor] Uhl (Mulhouse) ont rejoint la même clinique le 25 novembre 1940 .
Il convient d’ajouter qu’à ce moment-là, un tel recrutement, après la guerre et l’annexion de fait de l’Alsace et de la Moselle au territoire du IIIe Reich, ne doit rien au hasard. En effet, avec l’annexion de fait de l’Alsace et l’imposition du régime national-socialiste, de sa politique, de ses instances et de son administration, l’ancienne région française est désormais régie par le Chef de l’administration civile en Alsace (Chef der Zivilverwaltung im Elsass), à savoir le Gauleiter Robert Wagner. S’agissant de l’installation des médecins en Alsace, une ordonnance émise le 13 juillet 1940 par l’entremise du département médical de la Gauleitung (et publiée dans la presse locale), précise que tous les médecins et personnels soignants devaient se présenter sans délai à la Gauleitung pour obtenir l’agrément nécessaire pour exercer. Dès lors, pour pouvoir s’établir comme médecin en Alsace, il fallait en avoir l’autorisation de la part de la nouvelle administration nationale-socialiste, ce qui constituait pour ainsi dire une première étape de sélection du personnel soignant en poste dans la région . De plus, rappelons que si Paul Matthis, alors jeune docteur, a pu obtenir un emploi si vite au sein de cet établissement allemand – même si les nominations n’étaient toutes que « provisoires » (kommissarisch)  –, c’est bien parce que la nouvelle administration nationale-socialiste établie en Alsace en avait décidé ainsi et qu’elle cherchait à faire refonctionner au plus vite l’hôpital dès d’automne 1940.
Un passage à la Ludolf-Krehl-Klinik d’Heidelberg (janvier-octobre 1941)
La première présence du Dr. Matthis à l’hôpital civil de Strasbourg est tout d’abord éphémère, dans la mesure où il ne reste en Alsace qu’un peu plus d’un mois, du 20 novembre au 31 décembre 1940. En effet, dans une Mitteilung du directeur général des hospices civils de la fin du mois de décembre 1940, on apprend qu’il avait été prévu que le Dr. Matthis quitte la medizinische Abteilung A au 1er janvier 1941 pour prendre de nouvelles fonctions à la clinique médicale Ludwig von Krehl-Klinik à Heidelberg . Comme l’écrit son père dans un curriculum vitae rédigé à la même période, il apparaît que Paul Matthis occupait un poste d’« Hilfsarzt » à Heidelberg, c’est-à-dire avec le statut de médecin auxiliaire .
Une telle mutation, rapide et imposée, laisse subodorer que les Allemands souhaitaient dans un premier temps que Matthis acquière une certaine expérience. Sans doute avait-il été décidé qu’il fallait qu’il ait servi dans un hôpital allemand avant de pouvoir être titularisé à un poste au sein de la future Reichsuniversität Strassburg dont les préparatifs concernant la création avaient été engagés dès l’été 1940. Il ne faut pas oublier que Matthis n’avait terminé ses études qu’en 1939 et qu’il n’avait pas eu l’occasion de pratiquer longuement la médecine, hormis durant son cursus universitaire avec l’externat, l’internat et les stages. Par ailleurs, on pourrait aussi voir dans ce transfert une volonté des Allemands de s’assurer de ses convictions politiques et de le gagner à la cause nationale-socialiste avant de pouvoir prétendre entrer dans l’institution universitaire nationale-socialiste que le régime nazi souhaitait créer à Strasbourg. En tous les cas, quelle qu’ait été la motivation des autorités allemandes concernant cette mutation, on sait que Paul Matthis a passé en totalité dix mois à Heidelberg, occupant son poste d’Hilfsarzt à la clinique médicale universitaire jusqu’en octobre 1941.
La carrière à la clinique médicale B de la Reichsuniversität Strassburg (novembre 1941-novembre 1944)
De retour à Strasbourg en Alsace annexée en novembre 1941, Paul Matthis reprend ses fonctions à la clinique médicale de la nouvelle Reichsuniversität Strassburg inaugurée le 23 novembre 1941. Dans un premier temps, il sert en qualité de « faisant fonction d’assistant scientifique » (Verwalter einer wissenschaftlichen Assistentenstelle) pendant neuf mois, jusqu’en juillet 1942, avant d’être promu au rang d’Assistenzarzt en août 1942. Durant les trois années de son service à la Reichsuniversität Strassburg, de novembre 1941 à novembre 1944, le Dr. Paul Matthis est affecté à l’Abteilung I de la Medizinische Klinik, c’est-à-dire la clinique médicale B, l’un des établissements hospitalo-universitaires rattachés à l’ensemble des cliniques médicales dirigées par le professeur et interniste Johannes Stein (1896-1967) .
Entre 1941 et 1944, la direction de la clinique médicale B est assurée successivement par deux Oberärzte allemands, à savoir le Dozent Hajo Wolbergs (1910-1975) et le Dr. Werner Fink (1908-?). Il évolue parmi une équipe composée en majorité de médecins allemands et d’une minorité d’Alsaciens . On remarque aussi que la carrière de Paul Matthis à la Reichsuniversität Strassburg semble également très prometteuse, dans la mesure où seulement cinq années après l’obtention de son doctorat et à peine trois ans après son arrivée à la Reichsuniversität Strassburg, l’institution nazie prévoyait que Matthis puisse présenter une thèse d’habilitation (für Habilitation vorgesehen), c’est-à-dire de pouvoir entrer dans le corps enseignant hospitalo-universitaire . D’ailleurs, c’est un argument mis en avant par le doyen Stein pour permettre à Matthis d’éviter d’être envoyé en Allemagne ou d’être envoyé au front, à une époque où ces mesures s’intensifient à la Reichsuniversität Strassburg en 1944.
Rappelons à ce propos que le 12 avril 1944, la Gauleitung adresse à tous les Staatliche Gesundheitsämter d’Alsace la requête suivante :
« Avec le manque considérable de personnel médical, les difficultés liées à la mise à disposition de médecins suffisamment formés sur le plan clinique sont toujours plus grandes. Il n’est plus possible de continuer à envoyer des jeunes médecins au service médical obligatoire pour exercer la médecine seuls, alors qu’ils ont à peine reçu leur Approbation et qu’ils ne sont pas aptes, en termes d’expérience, à exercer seuls ni à assumer des responsabilités si rapidement après l’obtention de l’examen médical d’État […]. Le Reichsgesundheitsführer a ainsi ordonné que l’on commence immédiatement à transférer les médecins assistants qui ont déjà travaillé pendant une plus grande période en milieu hospitalier et en cliniques. Une exception pourra être accordée uniquement pour les médecins assistants qui ont été promus au rang de chef de clinique (Oberarzt) ou qui sont pressentis en raison de compétences particulières à présenter une habilitation, à occuper un poste de médecin-chef (Chefarzt) ou une tout autre position supérieure » .
Ayant été destinataire de ce courrier, le Kurator Scherberger charge tous les directeurs de cliniques et d’instituts de la Reichsuniversität Strassburg d’établir une liste de leurs assistants et d’indiquer les noms de ceux qui y travaillent depuis un an, depuis deux ans et depuis trois ans ou plus. Les directeurs ayant tardé à répondre, le Kurator n’adresse son rapport à la Gauleitung que le 29 juillet 1944, fournissant tout de même une liste comprenant cinquante-sept noms de médecins dont la faculté de médecine aurait pu, en principe, se séparer, s’il fallait appliquer les mesures officielles. Paul Matthis, travaillant depuis trois ans dans une clinique universitaire, est l’une de ces personnes, tout comme les Drs. Auguste Bostetter, Evamarie Embacher, Karl Heinz, Werner Jordan, Charlotte Petri et Renatus Piffert . Les tractations se poursuivent entre l’université, les directeurs de cliniques et les autorités de la Gauleitung pour savoir quels médecins pouvaient effectivement être soustraits à la clinique : un mois plus tard, le Kurator indique avoir à nouveau redemandé aux directeurs « les noms des femmes médecins de leurs établissements qui pouvaient être remplacées par des femmes médecins plus jeunes », de même que les hommes dont un « échange pouvait être envisagé avec des médecins plus âgés qui se trouvent alors au front » . En tous les cas, il semble que l’argument avancé par Stein selon lequel il était prévu de permettre à Matthis de préparer, puis de soutenir une thèse d’habilitation, ait permis à Matthis de rester à Strasbourg jusqu’à l’évacuation de l’université en novembre 1944.
Enfin, il est intéressant de souligner qu’à l’Abteilung I (Médicale B), tout comme dans le reste des Abteilungen de la clinique médicale de Stein, le taux d’occupation des lits est très élevé au cours la période d’annexion. Par exemple, de mars à décembre 1942, sur l’ensemble des Abteilungen, ce sont en moyenne 82% des lits qui sont occupés, soit un total équivalent à 689 lits. Plus précisément, cette statistique générale et globale peut être nuancée en prenant en compte la seule Abteilung I où travaille Matthis. Ainsi, l’Abteilung I – qui compte au départ 175 lits disponibles, puis 194 à la fin de l’année –, affiche un taux d’occupation des lits disponible dépassant quasiment chaque mois 90% de saturation, ce qui surpasse de près de dix points la moyenne globale de l’ensemble des cliniques de la clinique médicale de Stein .
Cette situation s’aggrave au fil du temps, tout particulièrement en raison des politiques étatiques de remplacement et d’incorporation des médecins qui aggravent le manque de personnel au sein de la clinique. C’est ce qu’explique le professeur Stein dans un rapport de situation adressé à l’administrateur-en-chef de l’université en février 1944. Dans celui-ci, Stein indique qu’à la date du 5 janvier 1944, sur les 765 lits disponibles dans tous les services de sa clinique, 651 d’entre eux étaient occupés, ce qui porte le taux global d’occupation à environ 85%. Par ailleurs, le nombre de patients examinés (untersucht) et soignés (behandelt) de manière ambulatoire (ambulant) atteignait un total de 734 patients par jour, des chiffrent qui permettent d’approcher de manière plus concrète encore la pratique médicale dans ses services . Toutefois, cette masse de travail s’effectue avec une équipe relativement restreinte, à une époque où les autorités nazies adoptent des politiques fortes visant soit à enrôler des médecins dans l’armée, soit à les envoyer en formation outre-Rhin, soit à les affecter dans le cadre d’un service médical obligatoire visant à assurer les soins à la population civile dans le Reich (notdienstverpflichtet). Ainsi, si Stein dispose officiellement de vingt-neuf médecins dans son équipe au début du mois de janvier 1944, la réalité, elle, est tout autre. Si ce ratio médecin-patients semble satisfaisant et correspond à la réglementation en vigueur dans le Reich, il s’avère qu’un grand nombre de médecins sous sa direction sont malades ou mutilés de guerre, tandis que d’autres ne travaillent qu’à temps partiels voire ont été mutés ou ont quitté le service. Stein écrit ainsi que la « situation a complètement changé ces dernières semaines », et qu’« à [s]on avis, on ne peut pas dire que la clinique médicale possède trop de médecins-assistants (überbesetzt) » . 
Un médecin alsacien nazi ?
De novembre 1940 à novembre 1944, Paul Matthis a pu exercer sans interruption l’art médical au sein deux cliniques médicales allemandes situées sur le territoire du Reich. Il est intéressant d’examiner son adhésion et son attitude vis-à-vis du national-socialisme, de considérer la manière dont il était perçu et de questionner ses engagements (volontaires) pour l’Allemagne hitlérienne, mais aussi de le mettre en relief avec les parcours politiques, idéologiques et militants de son père, de sa sœur et de son frère cadet, tous Alsaciens acquis à la cause nationale-socialiste dès la première heure.
L’« évaluation politique » : aucune réticence d’ordre politique et idéologique à son emploi à l’institution hospitalo-universitaire nazie
Comme l’exige la procédure de recrutement d’Alsaciens et de Mosellans postulant un emploi au sein de la Reichsuniversität Strassburg, le docteur Paul Matthis fait l’objet – assez tardivement – d’une évaluation politique (politische Beurteilung). Le 17 mars 1942, le doyen de la faculté de médecine, Johannes Stein, initie l’enquête en confiant la mission aux services de la direction du parti nazi (Kreisleitung) et du SD (Sicherheitsdienst). Les archives de cette évaluation politique n’ont pas été conservées en totalité, mais il est certain que quelques jours après avoir été mandaté par le doyen Stein, le chef du bureau du personnel au sein de l’administration civile en Alsace (Gauleitung) a aussitôt chargé son homologue de la Kreisleitung du parti nazi de Strasbourg d’instruire le dossier. Ainsi, dès le 26 avril 1942, les fonctionnaires du NSDAP doivent collecter des renseignements pour s’assurer que Matthis soit effectivement apte à être « employé comme médecin à la clinique médicale » de la Reichsuniversität Strassburg, une institution pensée, conçue et voulue comme un modèle de l’Allemagne nazie . Les autres cas étudiés de médecins alsaciens montrent que « normalement », le Dr. Ludwig Benmann du Sicherheitsdienst (SD) adresse un premier rapport préliminaire dans lequel il prend position en quelques lignes. Ici, ce document n’a pas été conservé et seul le rapport détaillé de l’antenne locale du parti nazi (Kreisleitung), rédigé à partir des informations du SD, subsiste. Ce rapport, en tous points « positif », avalise sans la moindre objection d’ordre politique ou idéologique le recrutement de Paul Matthis dans l’institution hospitalo-universitaire nationale-socialiste. Signé par le Kreisleiter et le Kreispersonalamtsleiter, il précise les points suivants :
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Version du 1 juillet 2021 à 12:03


Paul Matthis
Prénom Paul
Nom Matthis
Sexe masculin
Naissance 21 octobre 1913 (Hohfrankenheim)
Profession du père Enseignant (Lehrer)

These Suite immédiates et résultats éloignés du traitement du Mal de Pott par les opérations ankylosantes (Strasbourg)
Directeur de thèse Georges Canuyt
Titre Dr. med.

Spécialités Médecine interne


Paul Matthis (1913-?) est un médecin alsacien rallié au national-socialisme qui a exercé en Alsace durant la période d’annexion. Issu d’une famille alsacienne profondément germanophile, il obtient la nationalité française par réintégration après la Première Guerre mondiale et a fait ses études à l’université française de Strasbourg dans les années 1930, devenant docteur en médecine en 1939. Officier de réserve de l’armée française en 1939-1940, Paul Matthis est réhabilité par les autorités nationales-socialistes après l’annexion de fait de l’Alsace au IIIe Reich. À peine trois mois après la réouverture de l’hôpital civil de Strasbourg – devenu allemand –, il reçoit, pour une courte période, un poste à la medizinische Abteilung A (future Abteilung II) dès son ouverture le 20 novembre 1940.

De janvier 1941 à octobre 1941, Paul Matthis est ensuite muté à la clinique médicale Ludolf-Krehl d’Heidelberg, puis obtient un poste de médecin assistant à la Reichsuniversität Strassburg dès sa création en novembre 1941. Affecté à la clinique médicale B (Abteilung I), il travaille aux côtés du professeur Johannes Stein (1896-1967) et des Oberärzte Hajo Wolbergs (1910-1975) et Werner Fink (1908-?) pendant trois ans, jusqu’en novembre 1944.

Avec le repli de la Reichsuniversität Strassburg vers Tübingen face à l’arrivée des troupes alliées, le Dr. Paul Matthis fait partie des rares Alsaciens à fuir l’Alsace, notamment par peur des représailles dues aux multiples ralliements effectués par sa famille et à son engagement en faveur du national-socialisme. Après avoir exercé brièvement dans une petite ville de la Forêt Noire au printemps 1945, il s’installe après la guerre dans une grande maison à Bruchsal dans le Bade-Wurtemberg (près de Karlsruhe et donc près de l’Alsace). Débutant une nouvelle vie, il fonde une famille, ouvre un cabinet de médecine générale et travaille comme médecin traitant (praktischer Arzt) jusque dans les années 1980.

Biographie

De l’enfance aux études de médecine : vers le conditionnement ?

Né au cœur d’une Alsace allemande, Paul Matthis obtient la nationalité française par réintégration dans sa plus jeune enfance à la suite de la fin de la Première Guerre mondiale et du Traité de Versailles. Élevé dans une famille relativement aisée et cultivée, d’un père instituteur, il grandit aussi dans un foyer alsacien pro-allemand et profondément marqué par le rejet de la France. Après le lycée, Paul Matthis accomplit ses études de médecine à l’université française de Strasbourg jusqu’à l’obtention de son doctorat de médecine en 1939.

Enfance et scolarité : entre Alsace allemande et Alsace française

Paul Matthis, de son nom complet Paul Alfred Jacques Matthis, est né le 21 octobre 1913 à Hohfrankenheim , un petit village d’environ 300 habitants situé dans le nord-ouest de l’Alsace, à proximité de la ville de Saverne. Son père, Jacques (Jakob) Matthis, né le 5 août 1885 à Niedersoultzbach dans le Bas-Rhin, était un enseignant (Lehrer) issu d’une famille alsacienne de condition paysanne et de confession protestante-luthérienne . Élevé au cœur d’une Alsace devenue allemande à la suite du Traité de Francfort du 10 mai 1871 mettant fin à la guerre franco-prussienne de 1870-1871, Jacques Matthis avait fréquenté l’école élémentaire protestante, puis l’école préparatoire à Strasbourg-Neudorf, avant d’entrer au séminaire pour se destiner à une carrière d’enseignant. Il accomplit son service militaire à l’âge de vingt-quatre ans, entre le 1er octobre 1909 et le 1er octobre 1910 dans le 14e régiment d’artillerie à pied badois stationné à Strasbourg (badisches Fußartillerie-Regiment Nr. 14) . Alors qu’il est en poste à Hoerdt, Jacques Matthis épouse le 14 septembre 1910 la fille d’un aubergiste (Gastwirt), Caroline (Emma Karolina) Riedinger, née le 14 mars 1891 dans cette petite ville du nord de l’Alsace . Le couple donne naissance à trois enfants : Margarete (également appelée Yvonne), née le 31 janvier 1911 à Hoerdt , Paul né le 21 octobre 1913 à Hohfrankenheim et enfin Pierre, né à Hoerdt le 5 novembre 1921 . Le père de famille a exercé la profession d’instituteur pendant trente-deux ans, de 1905 à 1937. Au cours de sa carrière, il a été en poste dans le nord de l’Alsace, successivement à Weyer, à Hoerdt, à Hohfrankenheim, puis de nouveau à Hoerdt de 1920 à 1937 . Il ne subsiste que peu d’informations sur l’enfance de Paul Matthis, de son frère et de sa sœur. Toutefois, il faut rappeler qu’à sa naissance, il naît avec la nationalité allemande, puisque l’Alsace fait partie intégrante du Reich wilhelmien. Mais avec le retour de l’Alsace à la France selon les termes du traité de Versailles, il obtient la nationalité française par « réintégration », comme le reste de sa famille resté en Alsace après la Première Guerre mondiale. En âge d’être scolarisé, il débute alors son cursus scolaire à l’école de la République dans sa terre natale redevenue française jusqu’à l’obtention du baccalauréat, probablement au début des années 1930. Enfin, précisons que la mère de Paul meure à Hoerdt le 9 juillet 1934, à l’âge de quarante-trois ans .

Une « famille foncièrement pro-allemande »

L’environnement familial dans lequel Paul Matthis a grandi, tout particulièrement durant l’entre-deux-guerres et le retour de l’Alsace à la France, est tout à fait caractéristique. L’attitude du père mérite notamment d’être mentionnée, car c’est probablement lui qui a donné l’impulsion au comportement de ses enfants par la suite. Il convient ici de retracer l’intégralité du parcours militant, politique et idéologique du père Matthis (Jacques) depuis la fin de la Première Guerre mondiale. Les documents retrouvés dans les archives permettent d’affirmer que l’armistice de 1918 et le retour de l’Alsace dans le giron français qui s’en est suivi a marqué pour Jacques Matthis un tournant dans son itinéraire et ses convictions politiques. En effet, Jacques Matthis s’engage « immédiatement dans le mouvement autonomiste (Heimatbewegung) » , devenant membre de la Fortschrittspartei dès sa création et de la Elsässische Landespartei de 1938 à sa dissolution . Ses engagements politiques ont précipité sa mise à la retraite en 1937 à cause de « difficultés avec l’administration scolaire ». En outre, dans un curriculum vitae rédigé durant la période nazie, Jacques Matthis ajoute : « Depuis les jours critiques de 1938, ma famille a été catégorisée comme étant germanophile (deutschfreundlich) et a été placée sous surveillance (unter Aufsicht). Le 5 juin 1940, j’ai été arrêté et amené au camp de concentration (Konzentrationslager) d’Arches. La joie fut grande quand l’armée allemande nous a libérés. Dès le retour chez moi, j’ai immédiatement participé à l’établissement du parti nazi [en Alsace] » . Dans un autre document, il écrit : « Durant la [Première] Guerre mondiale, j’étais actif dans le Heimatsdienst et j’ai reçu la Verdienstkreuz. Ensuite est venu novembre 1918. Dans quel état je me suis trouvé ! Seul celui qui l’a connu peut le comprendre ! Pendant vingt-deux ans, j’ai sans cesse mené un combat défensif [face à la France] (Abwehrkampf), pensant constamment que j’allais recevoir des avertissements [des autorités françaises] en raison de mon attitude germanophile (deutschfreundliche Einstellung). En juin 1940, j’ai été arrêté et interné au "Fort d’Arches" avec beaucoup d’autres personnes partageant les mêmes convictions (Gleichgesinnten). Grâce à l’incomparable armée allemande, mon plus grand rêve de vivre à nouveau dans une Alsace allemande s’est réalisé » . C’est donc dans un milieu sensiblement empreint de rejet de la France et de sympathies tournées de manière ostensible vers l’Allemagne que Paul Matthis, son frère et sa sœur ont été élevés durant l’entre-deux-guerres. Bénéficiant d’une solide instruction avec un père enseignant, Paul Matthis décide d’entreprendre des études de médecine et d’embrasser une carrière de médecin.

Les études de médecine

Une fois diplômé du secondaire, Paul Matthis suit les traces de sa sœur aînée – qui fait des études de pharmacie – et s’engage dans un cursus universitaire de médecine à l’université française de Strasbourg. Comme de coutume en France, il commence par préparer le certificat d’études physiques, chimiques et de sciences naturelles (PCN) à la faculté des sciences, puis se tourne ensuite vers les études de médecine à proprement parler. Ses études sont interrompues par son service militaire, qu’il accomplit en 1936 dans le service médical, avant d’être versé dans la réserve militaire avec le grade de médecin auxiliaire (sous-officier) jusqu’à la fin des années 1930 . Finalement, en 1939, à l’âge de vingt-six ans, Paul Matthis soutient à Strasbourg sa thèse de doctorat de médecine intitulée « Suite immédiates et résultats éloignés du traitement du Mal de Pott par les opérations ankylosantes ». Il avait réalisé ce travail sous la direction du professeur Georges Canuyt (1888-1975) , un éminent chercheur et universitaire connu pour ses travaux sur la pathologie de guerre et l’anesthésie locale en oto-rhino-laryngologie, ainsi que pour la fondation du centre de transfusion sanguine d’urgence à Strasbourg en 1932 . Ajoutons enfin qu’en vertu d’un décret publié au Journal officiel de la République française dans les jours qui suivent l’entrée en guerre de la France contre l’Allemagne, Paul Matthis est apparemment rappelé dans l’armée. Par décret du 9 septembre 1939, il est en effet nommé médecin sous-lieutenant dans la 20e région militaire avec effet rétroactif au 1er septembre 1939, à une époque où son père avait été placé sous surveillance par les autorités françaises pour ses sentiments clairement pro-allemands . Jusque-là, rien ne nous permet d’affirmer que Matthis ait effectivement participé à la guerre de 1939-1940 ou qu’il a été fait prisonnier par les troupes allemandes avec l’uniforme français à la suite de l’armistice de Compiègne du 22 juin 1940. On sait toutefois qu’à l’automne 1940, alors que l’Alsace avait été annexée de fait au territoire du Reich nazi, Paul Matthis est toujours en Alsace : il vit chez son père à Hoerdt (qui s’y était réinstallé après sa libération du camp d’Arches par les Allemands) et réussit à obtenir très rapidement un poste à l’hôpital civil allemand de Strasbourg.

Médecin sous l’Allemagne nazie (1940-1945)

Dès la fin de l’année 1940, le Dr. Paul Matthis parvient à obtenir un poste à l’hôpital civil de Strasbourg devenu allemand à la suite de l’annexion de l’Alsace au Reich. Intégrant l’équipe de la clinique médicale B entre fin novembre et fin décembre 1940, il est ensuite muté à la clinique médicale Ludolf-Krehl d’Heidelberg jusqu’à l’inauguration de la Reichsuniversität Strassburg en novembre 1941. De retour en Alsace en novembre 1941, il retrouve son poste à l’Abteilung I (Médicale B) et le conserve jusqu’à sa fuite fin novembre 1944 au moment de l’évacuation de l’université nazie outre-Rhin.

La réhabilitation d’un médecin alsacien à l’hôpital civil allemand de Strasbourg (novembre-décembre 1940)

Installé au domicile familial au Adolf-Hitlerstraße 58 (l’actuelle rue de la République) à Hoerdt après l’armistice de Compiègne de juin 1940, Paul Matthis cherche dans un premier temps à trouver un emploi de médecin et à obtenir l'agrément nécessaire des autorités allemandes pour pouvoir exercer en Alsace. De toute évidence, il prend contact avec les services administratifs de l’hôpital civil de Strasbourg – devenu entre-temps allemand – afin de se mettre à disposition. Assez rapidement, à peine trois mois après la réouverture des hospices civils de Strasbourg par les Allemands, Paul Matthis réussit à obtenir un poste. Dès le début du mois de novembre 1940, l’administration de l’hôpital avait déjà enregistré qu’il allait compter parmi son personnel sitôt que la nouvelle medizinische Abteilung A (correspondant à la clinique médicale A qui deviendra ensuite l’Abteilung II) allait être rouverte, c’est-à-dire le 20 novembre. Ainsi, le nom de Paul Matthis figure déjà sur la liste du personnel en date du 3 novembre 1940, mais à ce moment-là, il n’y travaille pas encore . En effet, dès le 14 novembre 1940, moins d’une semaine avant que les deux cliniques médicales ne soient regroupées en une seule Medizinische Klinik avec deux sections, la A (future Abteilung II) et la B (future Abteilung I), le directeur général des hospices civil, Josef Oster, cite au Medizinalrat Walther les noms des cinq médecins alsaciens qu’il était « prévu » (vorgesehen) d’y affecter. Il s’agit des Dr. Charles Maurer – qui allait être muté de l’Abteilung B à l’Abteilung A – et des Drs. René Piffert, Theodor Uhl, Edgar Risser et Paul Matthis . Quelques jours plus tard, Oster explique dans un nouveau courrier au Dr. Walther que « Messieurs les docteurs Josef Babillotte et Mat[t]his (Hoerdt) ont pris leur service à la medizinische Abteilung A le 20 novembre 1940 en qualité d’Assistenzärzte. Les docteurs [Edgar] Risser (Colmar) et [Theodor] Uhl (Mulhouse) ont rejoint la même clinique le 25 novembre 1940 . Il convient d’ajouter qu’à ce moment-là, un tel recrutement, après la guerre et l’annexion de fait de l’Alsace et de la Moselle au territoire du IIIe Reich, ne doit rien au hasard. En effet, avec l’annexion de fait de l’Alsace et l’imposition du régime national-socialiste, de sa politique, de ses instances et de son administration, l’ancienne région française est désormais régie par le Chef de l’administration civile en Alsace (Chef der Zivilverwaltung im Elsass), à savoir le Gauleiter Robert Wagner. S’agissant de l’installation des médecins en Alsace, une ordonnance émise le 13 juillet 1940 par l’entremise du département médical de la Gauleitung (et publiée dans la presse locale), précise que tous les médecins et personnels soignants devaient se présenter sans délai à la Gauleitung pour obtenir l’agrément nécessaire pour exercer. Dès lors, pour pouvoir s’établir comme médecin en Alsace, il fallait en avoir l’autorisation de la part de la nouvelle administration nationale-socialiste, ce qui constituait pour ainsi dire une première étape de sélection du personnel soignant en poste dans la région . De plus, rappelons que si Paul Matthis, alors jeune docteur, a pu obtenir un emploi si vite au sein de cet établissement allemand – même si les nominations n’étaient toutes que « provisoires » (kommissarisch) –, c’est bien parce que la nouvelle administration nationale-socialiste établie en Alsace en avait décidé ainsi et qu’elle cherchait à faire refonctionner au plus vite l’hôpital dès d’automne 1940.

Un passage à la Ludolf-Krehl-Klinik d’Heidelberg (janvier-octobre 1941)

La première présence du Dr. Matthis à l’hôpital civil de Strasbourg est tout d’abord éphémère, dans la mesure où il ne reste en Alsace qu’un peu plus d’un mois, du 20 novembre au 31 décembre 1940. En effet, dans une Mitteilung du directeur général des hospices civils de la fin du mois de décembre 1940, on apprend qu’il avait été prévu que le Dr. Matthis quitte la medizinische Abteilung A au 1er janvier 1941 pour prendre de nouvelles fonctions à la clinique médicale Ludwig von Krehl-Klinik à Heidelberg . Comme l’écrit son père dans un curriculum vitae rédigé à la même période, il apparaît que Paul Matthis occupait un poste d’« Hilfsarzt » à Heidelberg, c’est-à-dire avec le statut de médecin auxiliaire . Une telle mutation, rapide et imposée, laisse subodorer que les Allemands souhaitaient dans un premier temps que Matthis acquière une certaine expérience. Sans doute avait-il été décidé qu’il fallait qu’il ait servi dans un hôpital allemand avant de pouvoir être titularisé à un poste au sein de la future Reichsuniversität Strassburg dont les préparatifs concernant la création avaient été engagés dès l’été 1940. Il ne faut pas oublier que Matthis n’avait terminé ses études qu’en 1939 et qu’il n’avait pas eu l’occasion de pratiquer longuement la médecine, hormis durant son cursus universitaire avec l’externat, l’internat et les stages. Par ailleurs, on pourrait aussi voir dans ce transfert une volonté des Allemands de s’assurer de ses convictions politiques et de le gagner à la cause nationale-socialiste avant de pouvoir prétendre entrer dans l’institution universitaire nationale-socialiste que le régime nazi souhaitait créer à Strasbourg. En tous les cas, quelle qu’ait été la motivation des autorités allemandes concernant cette mutation, on sait que Paul Matthis a passé en totalité dix mois à Heidelberg, occupant son poste d’Hilfsarzt à la clinique médicale universitaire jusqu’en octobre 1941.

La carrière à la clinique médicale B de la Reichsuniversität Strassburg (novembre 1941-novembre 1944)

De retour à Strasbourg en Alsace annexée en novembre 1941, Paul Matthis reprend ses fonctions à la clinique médicale de la nouvelle Reichsuniversität Strassburg inaugurée le 23 novembre 1941. Dans un premier temps, il sert en qualité de « faisant fonction d’assistant scientifique » (Verwalter einer wissenschaftlichen Assistentenstelle) pendant neuf mois, jusqu’en juillet 1942, avant d’être promu au rang d’Assistenzarzt en août 1942. Durant les trois années de son service à la Reichsuniversität Strassburg, de novembre 1941 à novembre 1944, le Dr. Paul Matthis est affecté à l’Abteilung I de la Medizinische Klinik, c’est-à-dire la clinique médicale B, l’un des établissements hospitalo-universitaires rattachés à l’ensemble des cliniques médicales dirigées par le professeur et interniste Johannes Stein (1896-1967) . Entre 1941 et 1944, la direction de la clinique médicale B est assurée successivement par deux Oberärzte allemands, à savoir le Dozent Hajo Wolbergs (1910-1975) et le Dr. Werner Fink (1908-?). Il évolue parmi une équipe composée en majorité de médecins allemands et d’une minorité d’Alsaciens . On remarque aussi que la carrière de Paul Matthis à la Reichsuniversität Strassburg semble également très prometteuse, dans la mesure où seulement cinq années après l’obtention de son doctorat et à peine trois ans après son arrivée à la Reichsuniversität Strassburg, l’institution nazie prévoyait que Matthis puisse présenter une thèse d’habilitation (für Habilitation vorgesehen), c’est-à-dire de pouvoir entrer dans le corps enseignant hospitalo-universitaire . D’ailleurs, c’est un argument mis en avant par le doyen Stein pour permettre à Matthis d’éviter d’être envoyé en Allemagne ou d’être envoyé au front, à une époque où ces mesures s’intensifient à la Reichsuniversität Strassburg en 1944. Rappelons à ce propos que le 12 avril 1944, la Gauleitung adresse à tous les Staatliche Gesundheitsämter d’Alsace la requête suivante : « Avec le manque considérable de personnel médical, les difficultés liées à la mise à disposition de médecins suffisamment formés sur le plan clinique sont toujours plus grandes. Il n’est plus possible de continuer à envoyer des jeunes médecins au service médical obligatoire pour exercer la médecine seuls, alors qu’ils ont à peine reçu leur Approbation et qu’ils ne sont pas aptes, en termes d’expérience, à exercer seuls ni à assumer des responsabilités si rapidement après l’obtention de l’examen médical d’État […]. Le Reichsgesundheitsführer a ainsi ordonné que l’on commence immédiatement à transférer les médecins assistants qui ont déjà travaillé pendant une plus grande période en milieu hospitalier et en cliniques. Une exception pourra être accordée uniquement pour les médecins assistants qui ont été promus au rang de chef de clinique (Oberarzt) ou qui sont pressentis en raison de compétences particulières à présenter une habilitation, à occuper un poste de médecin-chef (Chefarzt) ou une tout autre position supérieure » . Ayant été destinataire de ce courrier, le Kurator Scherberger charge tous les directeurs de cliniques et d’instituts de la Reichsuniversität Strassburg d’établir une liste de leurs assistants et d’indiquer les noms de ceux qui y travaillent depuis un an, depuis deux ans et depuis trois ans ou plus. Les directeurs ayant tardé à répondre, le Kurator n’adresse son rapport à la Gauleitung que le 29 juillet 1944, fournissant tout de même une liste comprenant cinquante-sept noms de médecins dont la faculté de médecine aurait pu, en principe, se séparer, s’il fallait appliquer les mesures officielles. Paul Matthis, travaillant depuis trois ans dans une clinique universitaire, est l’une de ces personnes, tout comme les Drs. Auguste Bostetter, Evamarie Embacher, Karl Heinz, Werner Jordan, Charlotte Petri et Renatus Piffert . Les tractations se poursuivent entre l’université, les directeurs de cliniques et les autorités de la Gauleitung pour savoir quels médecins pouvaient effectivement être soustraits à la clinique : un mois plus tard, le Kurator indique avoir à nouveau redemandé aux directeurs « les noms des femmes médecins de leurs établissements qui pouvaient être remplacées par des femmes médecins plus jeunes », de même que les hommes dont un « échange pouvait être envisagé avec des médecins plus âgés qui se trouvent alors au front » . En tous les cas, il semble que l’argument avancé par Stein selon lequel il était prévu de permettre à Matthis de préparer, puis de soutenir une thèse d’habilitation, ait permis à Matthis de rester à Strasbourg jusqu’à l’évacuation de l’université en novembre 1944. Enfin, il est intéressant de souligner qu’à l’Abteilung I (Médicale B), tout comme dans le reste des Abteilungen de la clinique médicale de Stein, le taux d’occupation des lits est très élevé au cours la période d’annexion. Par exemple, de mars à décembre 1942, sur l’ensemble des Abteilungen, ce sont en moyenne 82% des lits qui sont occupés, soit un total équivalent à 689 lits. Plus précisément, cette statistique générale et globale peut être nuancée en prenant en compte la seule Abteilung I où travaille Matthis. Ainsi, l’Abteilung I – qui compte au départ 175 lits disponibles, puis 194 à la fin de l’année –, affiche un taux d’occupation des lits disponible dépassant quasiment chaque mois 90% de saturation, ce qui surpasse de près de dix points la moyenne globale de l’ensemble des cliniques de la clinique médicale de Stein . Cette situation s’aggrave au fil du temps, tout particulièrement en raison des politiques étatiques de remplacement et d’incorporation des médecins qui aggravent le manque de personnel au sein de la clinique. C’est ce qu’explique le professeur Stein dans un rapport de situation adressé à l’administrateur-en-chef de l’université en février 1944. Dans celui-ci, Stein indique qu’à la date du 5 janvier 1944, sur les 765 lits disponibles dans tous les services de sa clinique, 651 d’entre eux étaient occupés, ce qui porte le taux global d’occupation à environ 85%. Par ailleurs, le nombre de patients examinés (untersucht) et soignés (behandelt) de manière ambulatoire (ambulant) atteignait un total de 734 patients par jour, des chiffrent qui permettent d’approcher de manière plus concrète encore la pratique médicale dans ses services . Toutefois, cette masse de travail s’effectue avec une équipe relativement restreinte, à une époque où les autorités nazies adoptent des politiques fortes visant soit à enrôler des médecins dans l’armée, soit à les envoyer en formation outre-Rhin, soit à les affecter dans le cadre d’un service médical obligatoire visant à assurer les soins à la population civile dans le Reich (notdienstverpflichtet). Ainsi, si Stein dispose officiellement de vingt-neuf médecins dans son équipe au début du mois de janvier 1944, la réalité, elle, est tout autre. Si ce ratio médecin-patients semble satisfaisant et correspond à la réglementation en vigueur dans le Reich, il s’avère qu’un grand nombre de médecins sous sa direction sont malades ou mutilés de guerre, tandis que d’autres ne travaillent qu’à temps partiels voire ont été mutés ou ont quitté le service. Stein écrit ainsi que la « situation a complètement changé ces dernières semaines », et qu’« à [s]on avis, on ne peut pas dire que la clinique médicale possède trop de médecins-assistants (überbesetzt) » .

Un médecin alsacien nazi ?

De novembre 1940 à novembre 1944, Paul Matthis a pu exercer sans interruption l’art médical au sein deux cliniques médicales allemandes situées sur le territoire du Reich. Il est intéressant d’examiner son adhésion et son attitude vis-à-vis du national-socialisme, de considérer la manière dont il était perçu et de questionner ses engagements (volontaires) pour l’Allemagne hitlérienne, mais aussi de le mettre en relief avec les parcours politiques, idéologiques et militants de son père, de sa sœur et de son frère cadet, tous Alsaciens acquis à la cause nationale-socialiste dès la première heure.

L’« évaluation politique » : aucune réticence d’ordre politique et idéologique à son emploi à l’institution hospitalo-universitaire nazie

Comme l’exige la procédure de recrutement d’Alsaciens et de Mosellans postulant un emploi au sein de la Reichsuniversität Strassburg, le docteur Paul Matthis fait l’objet – assez tardivement – d’une évaluation politique (politische Beurteilung). Le 17 mars 1942, le doyen de la faculté de médecine, Johannes Stein, initie l’enquête en confiant la mission aux services de la direction du parti nazi (Kreisleitung) et du SD (Sicherheitsdienst). Les archives de cette évaluation politique n’ont pas été conservées en totalité, mais il est certain que quelques jours après avoir été mandaté par le doyen Stein, le chef du bureau du personnel au sein de l’administration civile en Alsace (Gauleitung) a aussitôt chargé son homologue de la Kreisleitung du parti nazi de Strasbourg d’instruire le dossier. Ainsi, dès le 26 avril 1942, les fonctionnaires du NSDAP doivent collecter des renseignements pour s’assurer que Matthis soit effectivement apte à être « employé comme médecin à la clinique médicale » de la Reichsuniversität Strassburg, une institution pensée, conçue et voulue comme un modèle de l’Allemagne nazie . Les autres cas étudiés de médecins alsaciens montrent que « normalement », le Dr. Ludwig Benmann du Sicherheitsdienst (SD) adresse un premier rapport préliminaire dans lequel il prend position en quelques lignes. Ici, ce document n’a pas été conservé et seul le rapport détaillé de l’antenne locale du parti nazi (Kreisleitung), rédigé à partir des informations du SD, subsiste. Ce rapport, en tous points « positif », avalise sans la moindre objection d’ordre politique ou idéologique le recrutement de Paul Matthis dans l’institution hospitalo-universitaire nationale-socialiste. Signé par le Kreisleiter et le Kreispersonalamtsleiter, il précise les points suivants :


Repères

Localisations

Nationalités

  • Allemand (1913 - 1919)
  • Français (1919 - 1940)

Confessions

  • Protestant

Publications

Liens à institutions

Ludolf-Krehl-Klinik, U-Heidelberg

Cabinet médical privé, Bruchsal

Medizinische Klinik

Medizinische Abteilung A, BürgS

Strasbourg

Nationalsozialistische Arbeiterpartei, NSDAP

Medizinische Abteilung I, RUS

1913-10-21T00:00:00Z
Vie privée
Naissance
1913-01-01T00:00:00Z
1919-01-01T00:00:00Z
Vie privée
1919-01-01T00:00:00Z
1940-01-01T00:00:00Z
Vie privée
1941-01-01T00:00:00Z
1941-10-31T00:00:00Z
Carrière
1958-01-01T00:00:00Z
1981-01-01T00:00:00Z
Carrière
1945-03-01T00:00:00Z
1945-03-01T00:00:00Z
Carrière
Medizinische Klinik, Assistenzarzt,
1940-11-20T00:00:00Z
1940-12-31T00:00:00Z
Carrière
1942-05-01T00:00:00Z
1945-01-01T00:00:00Z
Carrière
1941-11-01T00:00:00Z
1942-07-31T00:00:00Z
Carrière
Medizinische Abteilung I, RUS, Verwalter einer wissenschaftlichen Assistentenstelle,
1942-08-01T00:00:00Z
1944-11-01T00:00:00Z
Carrière
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Références