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August Bostroem

De Commission Historique


August Bostroem
Prénom August
Nom Bostroem
Sexe masculin
Naissance 17 juillet 1886 (Giessen)
Décès 3 février 1944 (Straβburg)
These Thesis title (Giessen)
Profession Arzt

Titre Prof. Dr. med.[41]

Spécialités Psychiatrie u. Neurologie


August Bostroem (1886-1944) était titulaire d’une chaire de neuropsychiatrie à la Reichsuniversität Straßburg et psychiatre consultant pour la Wehrmacht.

Sa nomination fut appuyée par nul autre que Max de Crinis (1889-1945), un psychiatre national-socialiste de premier plan.[1] À première vue, cela semble indiquer que Bostroem correspondait parfaitement à ce que la « dictature biopolitique de l’évolution » (biopolitische Entwicklungsdiktatur – Hans Walter Schmuhl) attendait d’un professeur titulaire d’une chaire (Ordinariat) résolument national-socialiste. De plus, il est indéniable qu’il jouissait de la reconnaissance professionnelle de ses pairs. Dans une nécrologie, le neurologue hambourgeois Max Nonne (1861-1959) le décrit comme l’un des « combattants de première ligne pour notre science »[2] et son professeur Oswald Bumke (1870-1950) le dépeint dans ses mémoires comme un « clinicien exceptionnel, un chercheur couronné de succès, un médecin remarquable et l’un des hommes les plus brillants »[3] qu’il ait jamais rencontrés. Toutefois, comment se positionnait Bostroem par rapport à la stérilisation forcée, à « l’euthanasie » et aux principes diagnostiques et thérapeutiques de sa profession ? De quelle marge de manœuvre disposait-il dans la conception du futur institut universitaire de neuropsychiatrie et quelle influence y a-t-il exercé sur la pratique clinique quotidienne ?

Parcours et formation

August Bostroem naît le 3 février 1886 à Giessen. Son père est professeur d’anatomie pathologique et sa mère est la fille d’un professeur titulaire d’une chaire de gynécologie à Fribourg. Bostroem étudie la médecine d’abord à Fribourg puis à Giessen où il soutient une thèse intitulée Benennung optischer Eindrücke (La dénomination d’impressions optiques) qu’il consacre au « temps de réaction à différentes impressions optiques chez le bien portant et chez le malade mental » dans le but de développer une méthode diagnostique. Selon Nonne, déjà à cette époque, Bostroem met en œuvre une méthode de travail personnelle caractérisée par « une grande minutie, une extrême propreté, une attention scrupuleuse portée aux sources d’erreurs possibles [et] une comparaison approfondie avec les bien portants ». Il effectue son stage pratique d’un an notamment auprès d’Emil Kraepelin (1856-1926) à la clinique psychiatrique de Munich avant de s’engager comme médecin de bord dans la compagnie maritime Hamburg-Amerika-Linie. Après un séjour de huit mois à la clinique de Nonne à Hambourg-Eppendorf, il exerce pendant la Première Guerre mondiale comme médecin militaire et se retrouve confronté durant trois années à une pathologie jusque-là inconnue : la « névrose de guerre », dont il observe les signes cliniques. C’est dans ce contexte qu’il publie en 1917 son premier article : Neurologische und psychiatrische Fronterfahrung eines Truppenarztes (Observations neurologiques et psychiatriques d’un médecin militaire au front). À son retour, et comme il est d’usage à la clinique de Hambourg, Bostroem étudie la manière dont ces signes cliniques se traduisent d’un point de vue anatomo-pathologique. En outre, il a affaire dans cette période à un grand nombre de patients atteints de neurosyphilis. Ces entrevues seront également déterminantes pour son travail de recherche. Après avoir exercé pendant trois ans et demi à Hambourg, il travaille à Rostock auprès de Karl Kleist (1879-1960) puis à Wrocław auprès d’Oswald Bumke. Devenu Oberarzt (chef de clinique), Bostroem suit Oswald Bumke à Leipzig en 1921.[4] Bumke et Bostroem s’entendent bien, tant sur le plan professionnel que personnel. Ils resteront amis, même après avoir emprunté des voies professionnelles différentes. Bien que Bumke soit considéré comme un représentant de la somato-psychiatrie, il intègre une approche psychologique à sa réflexion. Durant ses années à Leipzig, il se prononce tout particulièrement en faveur d’une prise en charge plus humaine des patients et rejette l’utilisation de la contrainte, sauf en dernier recours.

Bumke adopte une position plutôt critique, voire hostile par rapport au débat sur l’hérédité des maladies psychiatriques et la théorie de la dégénérescence. En effet, s’il n’écarte pas la possibilité que certaines maladies psychiatriques puissent être en partie héréditaires, il considère que la théorie d’une dégénérescence inéluctable de peuples entiers est totalement infondée. Il doute de l’efficacité de mesures eugéniques, quand bien même cette dégénérescence viendrait à être prouvée un jour. La question de savoir si Bostroem partage au moins en partie ou à un moment donné les divers points de vue de son professeur reste ouverte.[5] En 1922, Bostroem soutient à Leipzig une thèse d’habilitation intitulée Der amyostatische Symptomenkomplex. Klinische Untersuchungen unter Berücksichtigung allgemeiner pathologischer Fragen (Le complexe symptomatique amyostatique. Études cliniques tenant compte de questions de pathologie générale). Ensuite, il suit Bumke à Munich.[6] Durant cette période, il se consacre particulièrement à l’étude de pathologies situées à la frontière entre la psychiatrie et la neurologie, comme par exemple les maladies du système moteur extrapyramidal, ainsi qu’à l’étude des syndromes neurologiques et psychiatriques dans la neurosyphilis et l’encéphalite. Ses travaux trouvent leur point culminant dans la revue Fortschritte der Neurologie, Psychiatrie und ihrer Grenzgebiete (Progrès en neurologie, psychiatrie et leurs domaines annexes) que Bostroem fonde en 1929 et édite à partir de cette date avec le psychiatre et biologiste criminel Johannes Lange (1891-1938). Il succède à Ernst Meyer (1871-1931) à la chaire de Königsberg avant de devenir Ordinarius (professeur titulaire) à Leipzig en 1938.[7] Bostroem est favorable aux nouvelles thérapies somatiques. Alors qu’il travaille à la clinique de Leipzig, il introduit l’insulinothérapie et l’électroconvulsivothérapie.[8]

La situation à Strasbourg

Qu’est-ce qui pousse Bostroem à accepter sa nomination à Strasbourg ? Si l’on en croit l’une des nécrologies écrites à son sujet, il y a « la possibilité de s’ouvrir à de nouvelles opportunités » et « l’attachement à cette région du sud de l’Allemagne».[9] En qualité de Referent für medizinische Fachfragen (consultant pour les questions médicales) au Reichsministerium für Wissenschaft, Erziehung und Volksbildung (ministère de la Science, de l’éducation et de la formation populaire du Reich), c’est Max de Crinis qui est responsable des nominations. Bostroem se rend à Strasbourg pour se faire une idée de la situation de la future Reichsuniversität. Il n’est prêt à accepter sa nomination qu’à condition qu’on « accède à ses demandes ». On ne sait pas exactement en quoi ces demandes consistent. Bostroem correspond tout à fait aux attentes de Max de Crinis. Après la visite de Bostroem, de Crinis écrit à Johannes Stein (1896-1967), doyen de la faculté de médecine : « Malgré mon insistance, je n’ai rien pu obtenir de plus. » Le doyen a cependant l’impression que Bostroem « serait ravi » de venir.[1] Bostroem envoie d’abord son collègue Nikolaus Jensch (1913-1964) le suppléer à Strasbourg. Au semestre d’hiver 1942/43, Bostroem devient ordentlicher Professor (professeur titulaire) en psychiatrie et en neurologie.[10] Il donne toutes les semaines les cours magistraux de Psychiatrische und Nervenklinik (einschl. Wehrpsychologie) (Clinique psychiatrique et neurologique [englobant la psychologie militaire]) et Forensische Psychiatrie mit Krankenvorstellungen (Psychiatrie médico-légale avec présentation de malades). Le cours pratique correspondant (Untersuchungskurs) est assuré par Jensch.[11] En plus de ce dernier, Bostroem fait venir beaucoup de personnel de Leipzig à Strasbourg.[6]

Dans quelles conditions Bostroem arrive-t-il à Strasbourg ? La clinique neurologique dépend de la clinique psychiatrique. Cette dernière se compose de six services dans lesquels 77 des 142 lits disponibles sont réservés aux hommes et 65 aux femmes. Il y a 40 lits pour « malades agités ». Tous les services sont fermés et surveillés par des gardiens de nuit. En 1942, 30 lits sont mis à disposition du département psychiatrique de l’hôpital militaire de Strasbourg. La clinique neurologique comporte quatre services avec 62 lits. Elle peut en plus accueillir séparément 32 patients privés. ll y a en outre une policlinique commune pour les patients en psychiatrie et en neurologie. En 1942, un service de radiologie, une salle d’opération pour les interventions diagnostiques ainsi qu’un « département des sciences de l’hérédité » (Erbwissenschaftliche Abteilung) sont en projet.[12]

Attitude envers l’eugénisme et l’ « euthanasie »

L’attitude de Bostroem envers l’idéologie national-socialiste et son rôle en matière de stérilisation forcée et d’assassinat de malades nécessite également une étude approfondie. Depuis 1937, Bostroem est membre du NSDAP et fait partie du NS-Lehrerbund[13] , la ligue national-socialiste des enseignants. L’échange épistolaire intense qu’il entretient avec Bumke, son ancien professeur, a notamment pour objet les événements politiques et leurs conséquences sur le quotidien de la clinique psychiatrique, ainsi que la loi pour la prévention d'une descendance malade héréditaire (Gesetz zur Verhütung erbkranken Nachwuchses) de 1933.[14] L’examen de ces lettres permettrait peut-être de se faire une idée plus claire du point de vue de Bostroem. Dans son article Erbbiologie und Psychiatrie (Génétique et psychiatrie) de 1934, il décrit dans le détail et pour différents tableaux cliniques la complexité des liens entre l’hérédité, les influences environnementales et la probabilité de développer une pathologie, mais toujours sur un arrière-fond d’eugénisme et en sous-entendant l’existence d’ « individus indésirables d’un point de vue eugénique » (eugenisch unerwünschte Persönlichkeiten).[15] Pour finir, Bostroem indique également, qu’une « connaissance approfondie de l’hérédité » ne doit pas pour autant conduire à « abandonner tout espoir de traitement ».[16] Bostroem s’exprime plus concrètement en 1934 lors d’une session de formation continue pour médecins où il donne un exposé intitulé « Approche psychiatrique de la loi pour la prévention d'une descendance malade héréditaire » (Das Gesetz zur Verhütung erbkranken Nachwuchses vom Standpunkt der Psychiatrie) :

« Le médecin traitant, qui se sent le devoir de contribuer au bien-être de ses patients, est naturellement réticent à amorcer par son signalement une procédure qui déplaise aux intéressés. […] Je crois cependant que l’obéissance aux lois ne doit en aucune façon paraître contraire à l’éthique médicale. Les malades et leurs proches ont besoin, en particulier dans le cadre de ces mesures radicales pour eux, que le médecin fasse preuve de réconfort et d’humanité. […] Il est de notre devoir à nous, médecins, de faire en sorte que les personnes directement concernées par cette loi la comprennent. Il faut beaucoup de patience et de temps mais je crois que ces efforts en valent la peine. »[17]

Il explique également le contenu, la forme et l’objectif de la loi et place ainsi la psychiatrie au service des dirigeants nationaux-socialistes. Certains cas de stérilisation forcée à Strasbourg ont déjà été mis en évidence mais dans ce domaine, des recherches plus poussées sont nécessaires.

L’attitude de Bostroem par rapport à l’ « euthanasie » est bien plus difficile à évaluer. Sur cette question, la principale source d’informations est sa correspondance avec son confrère, le docteur Karsten Jaspersen (1896-1968), chef des services de neurologie et de psychiatrie de l’hôpital diaconal de Bethel en Westphalie (Psychiatrische und Nervenabteilung des Westfälischen Diakonissenanstalt in Bethel), et l’un des rares psychiatres à s’opposer farouchement à l’assassinat de malades. Jaspersen informe les institutions les plus diverses de ces assassinats et essaye d’intervenir auprès des plus hautes sphères. Il rédige de nombreux courriers pour solliciter le soutien des plus éminents professeurs titulaires et organiser une large opposition à l’Aktion T4. Le 18 juillet 1940, Bostroem reçoit une lettre de Jaspersen, son « élève reconnaissant et assistant de longue date » – ils se sont connus alors que Bostroem était Oberarzt (chef de clinique) à Munich – qui lui fait part des assassinats et du rôle funeste des questionnaires distribués à tous les asiles du Reich. Bostroem lui répond rapidement qu’il « a déjà entendu parler de l’affaire » et lui conseille de refuser de remplir les questionnaires.[18] À cette époque, il est Ordinarius (professeur titulaire) à Leipzig. On ignore si Bostroem a sciemment ordonné ou empêché le transfert de patients dans des cliniques psychiatriques ayant servi de centres de mise à mort. Dans l’état actuel des recherches, on estime que la clinique de l’université de Leipzig n’était pas directement impliquée dans ces assassinats car elle s’occupait principalement de l’accueil primaire des patients en psychiatrie et non de leur prise en charge à long terme.[19]

Sous l’impulsion de Jaspersen, Bostroem passe lui-même à l’action. Il écrit à Bumke et cherche à obtenir une entrevue. Au moment où celle-ci a lieu, Bumke, qui a reçu une lettre similaire de Jaspersen, a déjà essayé d’intervenir auprès d’Ernst Rüdin (1874-1952), sans succès. Ce n’est pas la seule action de Bostroem. Il écrit à Jaspersen : « J’ai essayé tout autre chose, en vain » bien qu’on ne sache pas à quoi il fait référence ici. En outre, Bostroem remarque que l’annulation de l’assemblée annuelle du Fachverband der Deustchen Psychiater (association des psychiatres allemands) en 1940 n’est certainement pas due au hasard et qu’on a ainsi délibérément cherché à éviter tout échange sur ces événements.[20] Bostroem mentionne qu’il souhaite à l’occasion justifier son point de vue auprès des principaux responsables de l’Aktion T4. Plus loin dans sa lettre à Jaspersen, il écrit :

« Il ne faut pas adopter une attitude hostile d’emblée car l’euthanasie chez les malades incurables ou ceux qui souffrent atrocement est un sujet dont on peut débattre. Mais on ne peut pas prendre de décision à la simple lecture d’un questionnaire. Il s’agit après tout d’une décision difficile à prendre. Du reste, les conséquences sur les proches, les malades mais aussi le personnel soignant sont imprévisibles. Par-dessus tout, il me semble que c’est l’essence de la médecine qui est ici en jeu. »[21]

Cette déclaration semble d’autant plus étrange que Bostroem a assuré Jaspersen de son soutien contre les assassinats de malades explicitement et à plusieurs reprises, et qu’il a lui-même agi en conséquence. À la suite de cela, Bostroem nomme des personnes qui pourraient encore être sollicitées. Il conclut sa lettre par la phrase suivante : « Je suis disponible à tout moment si je peux me rendre utile. »[22] Si l’on ne s’en tient qu’à la déclaration citée ci-dessus, on pourrait penser qu’il rejette seulement la manière dont les décisions sont prises (à partir de réponses données à des questionnaires), et pas l’ « euthanasie » en tant que telle. En prenant ses autres déclarations en considération, ce passage semble plutôt relever d’une stratégie argumentative contre les ardents défenseurs de l’ « euthanasie ». Retenons que cette prise de distance par rapport aux assassinats de malades, si on l’interprète de cette manière, reste cantonnée à la sphère privée. Cet échange épistolaire et la prise de contact avec des collègues partageant les mêmes opinions ne dépassent pas cette sphère et n’ont donc aucun impact sur la suite de la carrière de Bostroem et sur sa nomination à Strasbourg. Selon un médecin alsacien, le Dr Bernard, Bostroem est allé plus loin lors d’un cours dans lequel il aurait clairement pris position contre les assassinats. Il aurait dénoncé l’ « euthanasie » comme étant « inhumaine » et « indigne de notre civilisation ».[23] Plus tard, le fils de Bostroem soulignera que son père n’a jamais ordonné le transfert de ses patients dans des centres de mise à mort comme celui d’Hadamar, ce que les dernières recherches ont confirmé. D’après ce que les chercheurs ont pu reconstituer grâce aux dossiers médiaux des patients et aux registres d’entrée, seuls des patients de l’asile psychiatrique de Stephansfeld y ont été transférés.

Électroconvulsivothérapie et recherches

Concernant l’importance de l’électroconvulsivothérapie dans le national-socialisme, les chercheurs actuels s’accordent pour dire que « la nouveauté que représentait la thérapie par électrochocs suscitait un grand intérêt scientifique en Allemagne, que les psychiatres, poussés par les conséquences de la guerre sur la santé mentale des soldats, s’efforçaient d’introduire cette nouvelle méthode en psychiatrie et qu’ils étaient soutenus par des fonctionnaires de haut rang du régime nazi. »

Ils constatent de plus que cette nouvelle forme de thérapie somatique « est intégrée sans difficulté à la dialectique de guérison et d’extermination si caractéristique du national-socialisme. »[24] Cependant, des études locales poussées mettent en évidence un recours à l’électroconvulsivothérapie très inégal selon les régions. Tandis que certaines cliniques l’intègrent très rapidement et à grande échelle dans leur pratique clinique, d’autres se montrent extrêmement réticentes : la clinique de Wiesloch dirigée par Herbert Linden doit selon lui devenir « un modèle pour la recherche en électroconvulsivothérapie » alors que Karl Bonhoeffer (1868-1948) est franchement sceptique quant à cette thérapie somatique qui reste par conséquent dans un premier temps très marginale à l’hôpital de la Charité à Berlin.[25] On en arrive inévitablement à la question de son utilisation à Strasbourg. Dans sa description de la clinique neuropsychiatrique, le président de la Reichsuniversität met bien en évidence l’électroconvulsivothérapie comme seule méthode de traitement à côté de l’insulinothérapie et du traitement au Cardiazol.[26] Les électrochocs sont utilisés à la clinique psychiatrique depuis juillet 1942.[27] Il reste dans ce contexte à interroger les liens entre les différents paradigmes de la psychiatrie national-socialiste. Quelle importance confère-t-on aux nouvelles thérapies somatiques qui donnent pour la première fois un espoir de guérison pour des maladies auparavant déclarées héréditaires telles que la schizophrénie? La stérilisation forcée était auparavant promue comme seul traitement efficace contre ces maladies. Ainsi, Ernst Rüdin, directeur du service de recherche psychiatrique de Munich et Reichsleiter (président) de la Gesellschaft Deutscher Neurologen und Psychiater (Société des neurologues et psychiatres allemands) souligne que les méthodes de thérapie somatique ne doivent « en aucun cas avoir d’effet rétroactif fâcheux sur la loi sur la stérilisation ».[28] Peut-on décrire l’ « euthanasie » et les thérapies somatiques comme des « éléments complémentaires au sein de la psychiatrie moderne » ?[29] Est-ce le cas à Strasbourg ? Sur cette question, les dossiers médicaux des patients pourraient permettre de procéder à une analyse quantitative et qualitative, d’avoir un aperçu concret des pratiques au sein de la clinique psychiatrique et par là de participer à une évaluation globale. Par ailleurs, Bostroem dirige plusieurs projets de thèse en lien avec l’électroconvulsivothérapie. D’après leurs titres, les sujets de recherche touchent aussi bien l’évaluation des résultats de cette thérapie que ses effets indésirables comme les troubles mnésiques. Il faut noter ici la grande attention portée au tableau clinique maniaco-dépressif. Les thèses ne traitent de l’utilisation de cette thérapie ni dans la schizophrénie ni dans d’autres psychoses.[30]

En plus de ces thérapies, Bostroem s’intéresse aux manifestations somatiques des pathologies psychiatriques. Des passerelles et des collaborations avec d’autres domaines tels que la neuroanatomie et la physiologie s’établissent. Bostroem soutient par exemple les travaux diagnostiques et les protocoles de test en physiologie expérimentale des docteurs Paul Link (*1892) et Frédéric Bernard (1912-2008) dans le service de neuropsychiatrie de la clinique.[31]

Psychiatrie militaire

Craignant que les névroses de guerre apparues pour la première fois pendant la Première Guerre mondiale n’affaiblissent la Wehrmacht, le professeur Otto Wuth (1885-1946), directeur de la Militärärztliche Akademie (académie de médecine militaire) de Berlin ordonne la formation d’un service de psychiatrie militaire avant même que la Seconde Guerre mondiale n’éclate. Ce service comprend les domaines suivants : « Psychiatrie, psychologie médicale, hygiène psychique, soin des cérébrolésés, psychopathie et hygiène médico-légale. » En tant que Beratender Psychiater beim Heeres-Sanitätsinspektor (psychiatre consultant auprès de l’inspecteur sanitaire des armées), Wuth est la plus haute autorité en matière de psychiatrie dans ce domaine. Bostroem qui est psychiatre militaire pour la région militaire Wehrkreis V Straßburg, lui est subordonné.[32] Les rapports d’activité que Bostroem doit transmettre à Wuth tous les quinze jours, puis tous les mois à partir du 13 janvier 1941 offrent un aperçu des tâches réalisées. Ces rapports traitent les points suivants :

« a. Ambiance et attitude des troupes, différences entre les classes en fonction de leur ancienneté ? b. Conséquences des anormalités psychopathiques et de la consommation d’alcool ? c. Accumulation de manifestations de névroses d’organes et répartition sur les classes en fonction de leur ancienneté ? d. Apparition de réactions hystériques vraies (psychogènes) (tremblements, paralysies, aphonie), causes déterminantes ?[33]

L’expérience de Bostroem en tant que médecin militaire pendant la Première Guerre mondiale et son exercice prolongé dans le « service des névrosés » à Hambourg Eppendorf l’ont prédestiné à l’exercice de la psychiatrie militaire.[34] De plus, l’une des principales tâches dans ce domaine consiste à établir des expertises psychiatriques de responsabilité en cas de délits, suicide, automutilation et d’infraction au paragraphe 175 du Code pénal allemand qui punit l’homosexualité. Là aussi, Bostroem met à profit son « vif intérêt » pour la psychiatrie médico-légale.[35] Les médecins experts se rencontrent pendant la guerre à l’occasion de plusieurs congrès.[36] Bostroem publie un article intitulé Der seelische Zustand der Truppe (L’État psychologique des troupes).[37]


L’attitude et les agissements de Bostroem quant à l’homosexualité permettent aussi de mieux comprendre où il se situe dans l’idéologie nazie. Il est indéniable qu’il défend une position opposée à l’émancipation. Dans un article appelé Seelische Schwierigkeiten in der Pubertät (Difficultés psychiques à la puberté), il se prononce en faveur d’une « protection de la jeunesse » contre les homosexuels et légitime les pratiques de persécution du régime national-socialiste à leur encontre.[38] Dans un précis de psychiatrie qu’il édite, il s’exprime de manière similaire et met en avant « la base héréditaire » (erbliche Grundlage) de l’homosexualité. Il établit de manière péjorative un lien entre homosexualité et « consommation de stupéfiants ».[39]

August Bostroem décède subitement le 3 février 1944 à Strasbourg des suites d’une maladie cardiaque non détectée.[40]

Biographie

Repères

Localisations

Nationalités

  • Allemand

Confessions

Publications

Relations

Directeur de thèse de

Supérieur hierarchique de

Collègue de

Liens à institutions

Giessen

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Naissance
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Vie privée
Décès
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Références

À propos de cette page

Rédaction : ©Léa Marquart, ©Lea Münch
Traduction : ©Marion Speisser, ©Élisabeth Fuchs



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